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27/09/2023

Diplomatie française : un "moment 1956" ?

Diplomatie française : un
 Michel Duclos
Auteur
Expert Résident, Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie

Voilà que s’achève la rentrée diplomatique, qui a couru du Discours aux ambassadeurs jusqu’à la récente annonce du rappel de l’ambassadeur au Niger : quel bilan en tirer ?

Lire la succession des crises comme l’étoffe habituelle dont sont faites les relations internationales serait trop rapide, nous montre Michel Duclos. Ukraine, Niger, conflits latents (Kosovo, Haut-Karabakh) et tensions sourdes (Maroc), divergences de vues avec les États-Unis, ajustements subis et souhaits de réformes, nécessaire réinvention du système de gouvernance internationale : 2024 s’annonce ainsi comme une année décisive, qui, comme lors de la crise de Suez en 1956, mettra à l’épreuve notre stratégie diplomatique. Il faudra bien l’esprit de "lucidité sans pessimisme excessif" qu'appelle le Président pour y faire face. 

L’allocution du Président de la République devant la conférence des Ambassadeurs, fin août, marque traditionnellement ce que l’on pourrait appeler la "rentrée diplomatique" dans notre pays - par analogie avec la rentrée politique ou la rentrée littéraire. Les rites de rentrée pour les diplomates comportent aussi en général un discours du chef de l’État à l’Assemblée Générale des Nations-Unies dans la seconde moitié du mois de septembre.

Le président Macron a cette année dérogé à ces rites en ne se rendant pas à l’Assemblée Générale des Nations-Unies, où la délégation française était dirigée par Mme Colonna, notre ministre des Affaires étrangères. Choix discutable peut-être car l’enceinte des Nations-Unies reste la seule où l’ensemble des États est représenté sur un pied d’égalité ; nous pouvons donc être soupçonnés de privilégier les formats "élitistes" tels que le G7 ou le G20 ou les "formats ad hoc", convoqués en fonction de thèmes particuliers (type "one planet summit").

C’est l’allocution présidentielle télévisée du 24 septembre, bien que centrée sur les questions écologiques, qui a en quelque sorte conclu cette année la rentrée diplomatique de la France. Le Président a annoncé à cette occasion le rappel à Paris de notre ambassadeur au Niger et le retrait progressif de nos forces armées stationnées dans ce pays. Et cela contrairement à la détermination à résister aux autorités putschistes de Niamey qu’il avait affichée avec force devant les Ambassadeurs le 28 août. 

Si rentrée diplomatique il y a, il faut reconnaître qu’elle s’effectue dans des conditions difficiles pour notre pays.

Si rentrée diplomatique il y a, il faut reconnaître qu’elle s’effectue dans des conditions difficiles pour notre pays. Celui-ci vient de connaître, avec "l’épidémie de putschs", pour reprendre la formule de M. Macron, une série de revers en Afrique (le Niger et le Gabon s’ajoutant cet été au Mali, à la Guinée et au Burkina-Faso). Par ailleurs, la guerre en Ukraine se prolonge, la contre-offensive ukrainienne n’étant pas parvenue jusqu’ici à obtenir de percée décisive.

La Russie marque même des points dans la partie d’échecs engagée à l’échelon international, comme on l’a vu avec l’élargissement des Brics et l’absence de consensus au G20 de New-Delhi sur une condamnation de l’agression russe . De nouveaux foyers de crise s’allument comme l’agression de l’Azerbaïdjan au Haut-Karabakh et peut-être demain de nouvelles tensions entre la Serbie et le Kosovo. Au Proche-Orient, Paris ne pèse guère dans les recompositions en cours.

Enfin, la sourde oreille opposée par les autorités marocaines aux offres de secours de la France à la suite du tremblement de terre dans la région de Marrakech témoigne de la dégradation de la relation bilatérale avec l’un des pays historiquement les plus proches de nous. 

Quelle réponse de la France ?

Face à ce contexte d’adversité, quelle réponse esquisse le président de la République ? Si l’on s’en tient au discours aux Ambassadeurs, complété ou corrigé par l’allocution du 24 septembre, on peut retenir quatre points majeurs :

  • D’abord l’aggiornamento de la politique à l’égard de la Russie, formalisé notamment lors du discours de Bratislava et la position de la France au sommet de l’OTAN à Vilnius, est confirmée. Relevons une formule parmi d’autres : "la Russie ne peut ni ne doit gagner cette guerre, parce qu’alors ce serait l’instabilité sur le sol européen, la fin de toute confiance dans les principes du droit international". Mme Colonna a formulé le même message à la tribune des Nations-Unies.

Dans la tradition française, Emmanuel Macron ne perd pas de vue la perspective d’un "après", où la Russie devra trouver sa place, mais il précise que "cela ne peut pas être un cessez-le-feu reconnaissant l’état de fait, parce que ce serait préparer la guerre de demain voire pire. C’est bien une paix durable [dont nous avons besoin], c’est-à-dire respectueuse de la souveraineté du peuple ukrainien et du droit international". Le chef de l’État insiste beaucoup sur la nécessité d’associer à un règlement "toutes les géographies de la planète". Notons qu’en fait les grands pays du Sud souhaitent précisément une paix rapide de compromis peu "respectueuse de la souveraineté ukrainienne" ;

"[L'après] ne peut pas être un cessez-le-feu reconnaissant l’état de fait, parce que ce serait préparer la guerre de demain voire pire."

  • Le discours aux Ambassadeurs se caractérisait par une crispation sur le Niger, un refus net de reconnaître les autorités de fait issues du putsch et donc l’engagement d’une sorte de bras de fer avec celles-ci. Ce pari ne pouvait être gagné que si la CDEAO - l’organisation régionale compétente - mettait au pas les militaires nigériens comme elle en avait émis l’intention. Cette intention ne se matérialisant pas, Paris était contraint de corriger le tir, comme l’a fait le Président par son allocution du 24 septembre. 

Le fait que les États-Unis se dissocient de nous au Niger [indique] la baisse de prestige qu’entraînent nos déboires africains.

On peut penser cependant que la marche pour le reconstruction d’une politique africaine - laquelle ne peut plus dépendre de notre présence militaire - sera longue. L’enjeu pour notre pays n’est pas seulement africain : le fait par exemple que les États-Unis se dissocient de nous au Niger est indicatif de la baisse de prestige qu’entraînent pour la diplomatie française nos déboires africains ; 

  • S’agissant du diagnostic d’ensemble, Emmanuel Macron fait preuve d’un ton nouveau, empreint d’une grande lucidité ("sans être excessivement pessimiste" précise-t-il). Il est conscient du risque très fort de fracturation du monde, sous l’effet conjugué de la politique russe, de la rivalité sino-américaine, de la montée en puissances des Grands du Sud. Il note dans une formule saisissante que "le contexte international se complique et fait courir le risque d’un affaiblissement de l’Occident et plus particulièrement de notre Europe". On est loin des accents dits "gaullo-mitterandiens" des débuts de l’ère macronienne, qui semblaient poser la France dans un au-delà de la confrontation Est-Ouest 2.0 dans laquelle nous nous trouvons de facto engagés. 

Le président de la République - et au-delà de lui, les dirigeants français - en tirent-ils toutes les conséquences ? Sans doute pas encore, bien sûr, la réponse française consistant souvent à articuler que les évolutions du monde confortent "l’agenda de souveraineté" que nous ambitionnons pour l’Union Européenneou, s’agissant de M. Macron, une politique de "troisième voie" en Asie-Pacifique

Il note un " [...] risque d’un affaiblissement de l’Occident et de notre Europe", loin des accents dits "gaullo-mitterandiens" des débuts. 

  • Enfin, le multilatéralisme - c'est-à-dire le traitement par la concertation internationale des enjeux globaux tels que le changement climatique, le développement et désormais beaucoup d’autres sujets allant des océans à l’intelligence artificielle - reste un axe majeur de l’action internationale française. Le chef de l’État, là aussi avec lucidité, note que la coopération internationale est plus que jamais nécessaire pour relever de tels défis à un moment où elle apparaît très difficile à faire émerger en raison justement des divisions du monde. Il multiplie les initiatives sur ce terrain, tel le récent sommet en juin, sur un nouveau pacte financier international, qui vise à rendre les institutions financières internationales (IFI) plus aptes à aider les pays les plus vulnérables.

Le chef de l’État, là aussi avec lucidité, note que la coopération internationale est plus que jamais nécessaire [et] multiplie les initiatives sur ce terrain.

Juge-t-il que ces initiatives seront insuffisantes pour relancer les IFI telles qu’elles existent ? Et donc pour éviter un affaissement supplémentaire des structures de gouvernance mondiale ? Dans son allocution aux Ambassadeurs, il va très loin dans sa disponibilité à réformer la gouvernance des institutions financières internationales, au risque de perdre la place privilégiée que l’Europe et la France y détiennent encore : "le FMI et la Banque mondiale, nous devons en réformer la gouvernance. Ce n’est plus possible qu’il y ait autour de la table des systèmes qui soient essentiellement déterminés par les adhérents au bureau et que ce ne soient que des pays riches". 

C’est une approche que les États-Unis ne paraissent pas prêts à rejoindre, alors pourtant qu’ils partagent la préoccupation française de réorienter et de doper les IFI (cf. la décision du président Biden de doter la Banque mondiale de 20 milliards de dollars supplémentaires). 

Dans une interview croisée avec Hubert Védrine sur France-Inter, Dominique de Villepin estime que nous nous trouvons dans une sorte de "moment 1956" (en référence à l’affaire de Suez, qui a marqué le point le plus bas de la politique étrangère de la IVe République), nous obligeant à revoir beaucoup de choses dans notre politique.

L’image est peut-être un peu forte mais il est vrai que de proche en proche - de la guerre en Ukraine au rejet de la France au Sahel, des nouvelles frontières de l’Europe à définir à l’affirmation de nouvelles puissances dans le Sud - c’est l’ensemble de nos options de politique étrangère qui sont soumises à une heure de vérité. 

Dominique de Villepin estime que nous nous trouvons dans une sorte de "moment 1956".

Entre autres pistes à explorer, notons la nécessité, comme l’a observé le Président lui-même, d’inventer de nouveaux formats de coopération entre l’UE et les Grands émergents. Le renforcement de tels ou tels liens bilatéraux ne suffiront pas. Au total, bien d’autres révisions que celle de notre politique vis-à-vis de la Russie et de notre présence militaire en Afrique attendent les responsables français dans les années à venir.

Copyright image : Teresa SUAREZ / POOL / AFP

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