AccueilExpressions par Montaigne"Das Auto" : comment l’industrie automobile allemande affronte la criseL'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.30/03/2020"Das Auto" : comment l’industrie automobile allemande affronte la crise États-Unis et amériquesImprimerPARTAGERAuteur Alexandre Robinet-Borgomano Expert Associé - Allemagne L’industrie automobile apparaît comme l’un des secteurs industriels les plus touchés par la crise : les sites de production sont désormais à l’arrêt, la demande mondiale s’effondre et les signes d’une reprise du marché à court et moyen terme restent incertains. Malgré les inquiétudes liées à l’impact économique de la crise du coronavirus sur le secteur automobile, Volkswagen et BMW ont annoncé leur intention de soutenir la production de respirateurs artificiels et de matériel médical par l’utilisation d’imprimantes 3D. Engagée dans la lutte contre l’épidémie à travers la mise en place d’une véritable économie de guerre, l’industrie automobile cherche à faire revivre un "mythe national" proprement allemand.Un secteur en pleine révolutionLe secteur automobile représente l’un des piliers de l’industrie allemande, générant un chiffre d’affaires proche de 423 milliards d’euros et employant près de 820 000 salariés. La part du secteur automobile dans l’emploi manufacturier total se situe en Allemagne autour de 11,8 %, soit 3,3 points au-dessus de la moyenne européenne (8,5 % pour l’UE contre 7,3 % pour la France). Son importance est loin d’être seulement nationale. Le poids de l’industrie automobile allemande est crucial pour le développement économique de plusieurs pays d’Europe centrale et orientale, en Hongrie, en République tchèque et en Slovaquie notamment. Comme l’affirmait Robert Vass, le Président du think tank slovaque Globsec à Paris au début du mois mars, "La principale inquiétude des pays d’Europe centrale et orientale est liée à l’avenir de l’automobile allemande. Un recul de cette industrie ferait d’un pays comme la Slovaquie un nouveau "Detroit" au cœur de l’Europe".Or, l’industrie automobile allemande est entrée depuis le début de l’année dans une zone de turbulences. Dans la mesure où 77 % de la production automobile allemande est destinée à l’exportation, le secteur automobile est l’une des premières victimes de la contraction du commerce mondial, liée au climat de guerre commerciale entretenu par la Chine et les États-Unis. À cette baisse de la demande internationale s’ajoutent les nouvelles contraintes technologiques liées à la prise en compte de l’impératif climatique au niveau européen. Depuis le 1er janvier 2020, les constructeurs automobiles sont contraints de respecter une limite moyenne d'émissions de CO2 de 95 grammes par kilomètre sur leurs ventes de véhicules neufs.L’industrie automobile allemande est entrée depuis le début de l’année dans une zone de turbulences.Cette nouvelle règle oblige l’industrie automobile à investir dans la mise en place de nouveaux modèles électriques, en renonçant progressivement aux moteurs à combustion. Un impératif de transformation invoqué par les constructeurs pour justifier les plans de licenciement intervenus dans le secteur ces derniers mois, et ce alors que l’Institut Frauenhofer estime à 130 000 le nombre de postes supprimés dans l’industrie automobile en Allemagne d’ici 2030.Au moment même où l’industrie automobile européenne est sommée d’investir massivement dans sa transformation, elle fait face, en Allemagne, à une crise de confiance sans précédent. La mise en évidence en 2015 de manipulations opérées par Volkswagen pour réduire le taux d’émission de gaz toxiques de ses véhicules (le fameux Dieselgate) a coûté au premier constructeur automobile mondial plusieurs milliards d’euros. Le scandale, qui touche désormais les trois principaux constructeurs automobiles, Volkswagen, Daimler et BMW, contre lesquels plusieurs procédures judiciaires sont engagées, a largement ébranlé le consensus qui régnait jusqu’alors en Allemagne pour soutenir l’industrie automobile. En Allemagne se développe désormais une nouvelle forme d’"Autobashing" : plusieurs villes comme Hambourg, Berlin ou Stuttgart ont choisi d’interdire la circulation des véhicules diesel dans leur centre et les nouvelles générations renoncent de plus en plus à l’auto. Comme le montre un rapport de l’Institut Montaigne sur l’avenir de l’automobile, la part de jeunes Allemands disposant d’un permis de conduire se situe en dessous des taux français et californiens.La plus grande crise de l’industrie automobile depuis la Seconde Guerre mondiale.C’est donc une industrie fragilisée, économiquement et moralement, qui s’engage dans une lutte pour sa survie. Depuis le milieu du mois de mars, toutes les grandes usines automobiles d’Allemagne sont à l’arrêt : après Volkswagen et Daimler, l’entreprise bavaroise BMW s’est également décidée le 18 mars à fermer temporairement ses sites de production en Europe. À travers cette mesure, il s’agit d’abord de protéger les employés contre les risques de contamination, mais également de réagir à la contraction de la demande mondiale et à l’accumulation des stocks.S’il est vrai que le rétablissement des frontières au sein de l’Union européenne commençait à peser sur les chaînes d'approvisionnement et de fabrication, il ne semble pas que l’épidémie ait eu un impact décisif sur la production. Comme le révèle un article du New York Times, la diffusion du virus en Asie ne s’est pas traduite par une interruption de la production automobile malgré l’importance des sites de production situés en Chine. Le coronavirus a ainsi impacté la Chine comme marché, plutôt que comme lieu de production et au regard de l’exemple allemand, il semble prématuré d’affirmer que la crise sanitaire impose de repenser le rapport de l’industrie à la mondialisation.Le choc que subit aujourd’hui l’industrie automobile est moins un choc de production qu’un choc de demande. Selon la China Passenger Car Association (CPCA), la fermeture de la Chine au mois de février s’est traduite par un recul de 80 % des ventes d’automobile dans l’Empire du milieu. Le groupe Volkswagen, première entreprise automobile au monde, voit ainsi ses ventes sur la période diminuer d’un quart par rapport à l’an passé. Un choc de demande similaire devrait affecter le marché automobile européen dès lors que l’Europe est devenue à son tour l’épicentre de la pandémie.Pour Ferdinand Dudenhöffer, chercheur à l’Institut for Customer Insight (ICI) de l’Université de St. Gallen et considéré en Allemagne comme le plus grand spécialiste du secteur automobile, la crise pourrait se traduire par une baisse de 11 % des ventes de voitures en Europe en 2020, et il faudra attendre 2030 pour voir le marché automobile européen retrouver son niveau d’avant crise. Jointe à une demande globale dont la tendance est à la baisse, cette nouvelle crise prive l’industrie automobile européenne des milliards d’euros dont elle a besoin pour investir dans de nouveaux modèles électriques exigés par l’Union.La fermeture de la Chine au mois de février s’est traduite par un recul de 80 % des ventes d’automobile dans l’Empire du milieu."Nous sommes devant la plus grande crise de l’industrie automobile depuis la seconde guerre mondiale" affirme ainsi le Professeur Ferdinand Dudenhöffer, dans un article publié sur le site du journal Die Zeit.Le Green deal, victime collatérale de la crise ?C’est pour faire face aux risques de faillite et de rachat par des entreprises étrangères qui menacent désormais de nombreuses entreprises du secteur automobile que le gouvernement fédéral a présenté, lundi 23 mars, son arsenal de mesures visant à faire face aux conséquences économiques de l’épidémie. Cet arsenal de mesures est notamment marqué par la création d’un Fonds de stabilisation de l’économie (Wirtschaftsstabilisierungsfonds), mêlant un fond de garantie à hauteur de 400 milliards d’euros, et 100 milliards d’euros pour permettre à l’État d’entrer au capital des entreprises en difficultés. Le VDA, la puissante association de l’industrie automobile allemande, a immédiatement salué l’ensemble de ces mesures, mais une participation de l’État au capital des principales entreprises automobile allemands n’est pour l’instant pas d’actualité.Dans un entretien au quotidien économique Handelsblatt, Ola Källenius, le patron de Daimler AG (Mercedes-Benz) a mis en évidence la solidité de la trésorerie du groupe excluant d’avoir recours aux subventions proposées par l’État. Bien plus qu’à l’apport de liquidités, l’industrie automobile lie actuellement sa survie à la remise en cause des objectifs de neutralité carbone présentés en janvier par la Commission européenne. Si le porte-parole du VDA, Ralf Dietmer, affirme qu’il est trop tôt pour remettre en cause les objectifs européens de réduction des émissions de CO2, il reconnaît également qu’il sera nécessaire de rouvrir le débat si les entreprises étaient endommagées et que des milliers d’emplois étaient en jeu… Le 25 mars 2020, l’Association des constructeurs européens d’automobile plaidait déjà auprès de la Commission pour un report de ces engagements.L’état actuel de l’industrie automobile allemande reflète au fond un questionnement soulevé par la crise : comment éviter que son urgence ne compromette les engagements climatiques contractés précédemment ?Le consensus qui existait en Allemagne avant le déclenchement de l’épidémie pour libérer l’industrie automobile des contraintes du European Green Deal pourrait ainsi se trouver renforcé par la crise. En février dernier, Peter Altmaier (CDU) le Ministre allemand de l’économie, avait déjà envoyé à la Présidente de la Commission européenne un courrier lui demandant d’exclure le secteur automobile des mesures envisagées par le Green Deal ; et dans une interview publiée dans le journal Die Welt le 11 mars 2020, le patron d’IG Metall, le principal syndicat allemand, alertait sur l’impossibilité pour l’industrie automobile de s’adapter aux mesures proposées par la Commission dans le cadre de son "Pacte vert".Sans aller jusqu’à une suspension du Green Deal pour cause de lutte contre le coronavirus, comme le propose le Premier ministre tchèque Andreij Babis, la nécessité de soutenir l’industrie automobile allemande pourrait contribuer à un report des objectifs de réduction des émissions de CO2 pour le secteur automobile au niveau européen.Les Verts allemands, qui cherchent à renforcer leurs liens avec l’industrie et à faire oublier l’image d’une écologie trop punitive, ne devraient pas s’opposer au report des limites d’émissions pesant sur un secteur en crise. Pour autant, à l’instar de la députée verte Lida Badum, de nombreuses voix s’élèvent en Allemagne pour réserver les aides prévues par le plan de relance aux secteurs économiques et aux entreprises engagés dans le décarbonation. L’état actuel de l’industrie automobile allemande reflète au fond un questionnement soulevé par la crise : comment éviter que son urgence ne compromette les engagements climatiques contractés précédemment ? Et comment éviter que la relance de l’activité ne se traduise, comme en 2009, par une hausse des émissions de CO2 ? Il revient désormais aux États européens de faire de leurs plans de relance un levier pour la croissance verte. Copyright : RONNY HARTMANN / AFP ImprimerPARTAGERcontenus associés 19/03/2020 Coronavirus : le repli allemand Alexandre Robinet-Borgomano 30/03/2020 Quand l’Insee remet les pendules à l’heure, on s’aligne Eric Chaney