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09/11/2017

Croissance sous stéroïdes : un risque pour la Chine… et la France ?

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Croissance sous stéroïdes : un risque pour la Chine… et la France ?
 Eric Chaney
Auteur
Expert Associé - Économie

Plusieurs organismes internationaux, à commencer par la Banque des règlements internationaux (BRI), s’inquiètent aujourd’hui de la montée de l’endettement au niveau mondial. Dans son rapport trimestriel de septembre 2017, la BRI signale que l’endettement (prêts bancaires et instruments de marché) contracté par le secteur privé, hors banques, a atteint le niveau record de 105,7 trillions de dollars, en progression de 8,4 % sur les deux dernières années. Comparée au niveau d’avant la crise, considéré rétrospectivement comme excessif, la dette privée mondiale a ainsi gonflé de 26,5 %.

Faut-il tirer le signal d’alarme, comme vient de la faire Zhou Xiaochuan, Gouverneur de la Banque Populaire de Chine devant les délégués du 19ème Congrès du parti communiste chinois, en évoquant le risque d’un "moment de Minsky" ?

Lente décrue dans les pays riches, rapide montée dans les émergents

En réalité, l’évolution de l’endettement privé est très divergente selon les régions, ce à quoi les chiffres agrégés ne rendent pas justice. Si la dette mondiale privée a bien augmenté de 26,5 % depuis mi 2008, elle a néanmoins baissé de 2,4 % dans les pays avancés, où s’était précisément produite l’accumulation excessive de dette, mais a augmenté de 192 % dans les pays émergents. Ce mécanisme de rééquilibrage est la conséquence de l’influence prédominante de la politique monétaire américaine sur tous les marchés financiers, et avant tout sur ceux des pays émergents, comme l’économiste Hélène Rey l’a décrit de façon magistrale. Lorsque les taux directeurs de la Fed étaient élevés (5,25 % en 2006-2007), l’accès au crédit était difficile pour les émergents. En revanche, une fois que la Fed eut baissé son taux directeur à 0,1 % en décembre 2008, pour le maintenir à ce niveau proche de zéro jusqu’en décembre 2015, l’endettement s’envola dans les pays émergents tandis que, dans les pays développés, Etats-Unis et Union européenne (UE) avant tout, ménages et entreprises surendettés réduisaient leurs engagements par tous les moyens, y compris la faillite. Contrairement aux espoirs des banquiers centraux, les politiques de taux zéro et leurs compléments quantitatifs visant à faire baisser les rendements à long terme n’ont pas permis une réduction rapide du surendettement, probablement parce que le taux d’intérêt d’équilibre qui aurait permis de restaurer les bilans était trop nettement négatif pour être à portée des banques centrales.

D’où cette asymétrie fondamentale entre marchés développés, où le désendettement est terriblement lent, et marchés émergents, où, au contraire, la croissance de l’endettement est bien plus rapide que ce que les fondamentaux suggèreraient. Là encore, les chiffres agrégés cachent des dynamiques différentes.

Montée de la dette dans les émergents : c’est la Chine avant tout

Le quasi triplement de la dette privée (+192 %) depuis 2008 dans les pays émergents est en réalité essentiellement tiré par la Chine, où la dette privée a quintuplé durant la même période (+399 %). En 2008, la dette privée chinoise représentait 38 % de celle de l’ensemble des émergents. Elle en fait 65 % aujourd’hui, alors que la croissance économique, pour forte qu’elle ait été, n’a pas été très différente de celle d’autres grands pays émergents, comme l’Inde. Dans ces conditions, on comprend mieux le cri d’alarme du Gouverneur Zhou.

Le risque "Minsky" chinois est asymétrique

Paradoxalement, l’analyse d’Hélène Rey, qui souligne l’importance du canal de transmission monétaire entre les Etats-Unis et les pays tiers, et qui s’applique si bien à l’Amérique latine, ne vaut guère pour la Chine, puisque celle-ci contrôle les mouvements de capitaux à ses frontières. L’explosion – il n’y a pas d’autre terme – de la dette privée en Chine est bien plus endogène. En choisissant un modèle de développement fondé sur les exportations au début des années 2000, la Chine s’exposait au risque d’une chute du commerce mondial, qui se produisit fin 2008. Pour éviter une implosion économique, les dirigeants chinois adoptèrent alors une politique de relance par les investissements, financés par la dette privée ou semi-publique (la frontière est floue dans ce pays), à une échelle qui rend presque anecdotique le New Deal de Franklin Delano Roosevelt. Malgré les appels répétés des dirigeants chinois à se sevrer de la drogue dure que peut devenir la dette, celle-ci continue à progresser, à un rythme ralenti, certes, mais toujours supérieur à celui du PIB. Le moteur en est devenu la hausse des prix immobiliers dans les grandes villes, conséquence de l’urbanisation rapide de la Chine, un bouleversement structurel qui n’est pas près de s’achever.

Si le "risque Minsky" chinois venait à se réaliser, c’est à dire si l’accumulation de créances douteuses dans le système bancaire aboutissait à une série de banqueroutes, il est parfaitement clair que les autorités ne resteraient pas les bras croisés. Elles inonderaient le système bancaire de liquidité pour enrayer la spirale déflationniste, tout en transférant une partie des dettes privées en dette publique, selon un schéma devenu classique. La principale victime en serait la croissance, et, par effet collatéral, la croissance du commerce mondial, dont la Chine est devenue le principal carburant. Les conséquences d’une crise financière chinoise pour le reste du monde ne seraient pas directement financières, puisque la frontière chinoise est assez imperméable aux mouvements de capitaux, mais avant tout réelles, touchant de plein fouet les économies émergentes dont la Chine est le principal débouché, à commencer par l’Asie du Sud-Est. Il y aurait néanmoins des conséquences financières. Les marchés devront s’adapter à un monde où, plus ou moins temporairement, la croissance chinoise serait en berne. Correction des marchés d’actions, avec risque de sur-réaction, et rééquilibrage des portefeuilles vers des actifs sûrs comme les dettes souveraines – obligations du Trésor américain avant tout. Voilà à quoi il faudrait s’attendre.

Et la France ?

Une crise chinoise n’aurait pas de conséquences directes sur l’économie française, si ce n’est par ricochet par le biais des échanges internationaux. Certains partenaires commerciaux de la France, comme l’Allemagne, seraient plus directement affectés. On aurait pourtant tort de considérer que la croissance excessive de la dette concerne uniquement la Chine. Ainsi, et toujours selon les données de la BRI, la dette du secteur privé (ménages et entreprises) non financier français est passé de 156 % du PIB avant la crise (septembre 2008) à 190 % en mars 2017

L’effet de levier – ratio de l’endettement privé sur PIB, par exemple – est plus élevé en France que chez ses principaux partenaires développés. De ce point de vue, notre situation est plus proche de celle de la Corée (levier de 193 %) ou de la Chine (210 %), que des Etats-Unis (152 %) ou de la zone euro (163 %). On peut y déceler une conséquence du traitement fiscal préférentiel de la dette par rapport aux fonds propres comme les actions. La surtaxe de 3 % des dividendes instaurée au début du précédent quinquennat et récemment rejetée par le Conseil constitutionnel en donne un exemple caricatural. Faut-il pour autant craindre un endettement excessif au point de faire craindre un moment de Minsky à la française ? Pas du côté des entreprises, dont l’endettement a baissé de 4,7 % par rapport à son niveau d’avant crise. Le sujet d’inquiétude concerne plutôt les ménages, dont l’endettement a crû rapidement, grâce à des conditions de crédit exceptionnellement favorables, si l’on compare les taux emprunteurs à la progression des salaires, et en raison de la forte croissance des prix immobiliers jusqu’à un passé récent. Que se passerait-il si les prix immobiliers entamaient une décrue significative, à la suite d’un important changement de fiscalité sur le patrimoine, par exemple ? Les biens immobiliers étant la garantie finale des dettes immobilières, c’est le système bancaire dans son ensemble qui en serait ébranlé.

 

Endettement du secteur privé non-financier en % du PIB

 

Graphique 1

 

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Graphique 2

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