AccueilExpressions par MontaigneCOVID-19 : quel avenir pour l'alliance transatlantique dans la tourmente ?L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.09/04/2020COVID-19 : quel avenir pour l'alliance transatlantique dans la tourmente ? États-Unis et amériques EuropeImprimerPARTAGERAuteur Max Bergmann Senior Fellow à American Progress Avant même que la crise du coronavirus ne débute, la relation transatlantique traversait déjà une mauvaise passe. L’hostilité du président Trump envers l’Europe ainsi que l’escalade de la guerre commerciale avaient profondément ébranlé leurs relations, le Royaume-Uni avait quitté l’Union européenne, et les propos d’Emmanuel Macron sur la "mort cérébrale" de l’OTAN avaient provoqué de vives réactions. Et pendant ce temps, l’Allemagne, le plus grand pays d’Europe, manquait à l’appel. La question est désormais de savoir si le Covid-19 sera la goutte d’eau qui fait déborder le vase, ou s’il s’agit plutôt d’un signal d’alarme qui ravivera les relations entre les États-Unis et l’Europe.Il est impossible de prévoir l’impact du Covid-19 sur l’alliance transatlantique, et encore moins sur le monde. La planète n’a pas connu de tels bouleversements depuis la Seconde Guerre mondiale. Pourtant, il est probable que cette pandémie accélère bon nombre des tendances mondiales et nationales qui étaient déjà apparentes avant que la crise ne frappe. Comme l’a révélé Martin Wolf dans un article pour le Financial Times, "l’histoire s’accélère à travers les crises. Cette pandémie ne transforme peut-être pas le monde en soi, mais elle peut accélérer les changements déjà en cours". En effet, dans son livre sur la pandémie de la grippe de 1928-1919 intitulé Pale Rider, Laura Spinney indique que "lors de l’automne de 1918 est advenue une vague de grèves ouvrières et de protestations anti-impériales dans le monde entier ; le mécontentement couvait… mais la grippe a attisé les flammes en aggravant une situation d’approvisionnement déjà désastreuse et en mettant en évidence les inégalités. Elle a provoqué un électrochoc mondial qui a mis en lumière l’injustice du colonialisme, et parfois aussi du capitalisme".Ainsi, si le Covid-19 cristallise les tendances et les développements déjà visibles, qu’en sera-t-il pour l’alliance transatlantique ? La question est la suivante : quelles tendances se voient accélérées par le virus ? Si l’impact sur la mondialisation, le libre-échange et le renouveau de l’État dans la gestion de l’économie sont autant de tendances clés à surveiller, la plus menaçante pour l’alliance demeure l’émergence du populisme en politique. Ainsi, la question la plus critique pour l’alliance est donc certainement d’ordre politique : le Covid-19 alimente-t-il et précipite-t-il une vague de populisme, ou bien au contraire, l’étouffe-t-il ?La question est désormais de savoir si le Covid-19 sera la goutte d’eau qui fait déborder le vase, ou s’il s’agit plutôt d’un signal d’alarme qui ravivera les relations entre les États-Unis et l’Europe.L’inclination populiste en politique est la plus grande menace pour l’alliance : d’une part parce que les dirigeants et les gouvernements populistes mettent en péril la démocratie de leur pays (voir Viktor Orbán), et d’autre part parce car elle compromet la solidarité qui sous-tend l’alliance transatlantique. Donald Trump est ostensiblement hostile à l’Europe et l’OTAN, et sa réélection pourrait entraîner un retrait américain de l’OTAN. Des dirigeants populistes tels que Matteo Salvini en Italie ne manquent pas d’attaquer l’Union européenne. Si ce dernier, ou encore le RN (Rassemblement National) en France ou l’AfD (Alternative für Deutschland) en Allemagne venaient à accroître leur soutien populaire, la survie de l’UE serait remise en question.Si cette crise, et ses conséquences économiques sévères, venaient à alimenter la résurgence populiste, l’alliance transatlantique serait fortement contestée. Dans les principaux États européens, les populistes ne sont pas parvenus à atteindre le pouvoir, suggérant que la vague populiste serait passée. Néanmoins, il convient de rappeler que la montée en puissance des nazis dans l’Allemagne de Weimar a nécessité non pas une, mais deux crises économiques.La principale tendance politique à surveiller est donc de savoir si le Covid-19 renforce ou, au contraire, affaiblit, les dirigeants et les partis politiques actuellement au pouvoir.Il est possible que le Covid-19 provoque un ralliement de l’opinion publique autour des dirigeants et des gouvernements en cette période de crise. En Europe, elle pourrait affaiblir davantage les dirigeants et les partis populistes qui se nourrissent de mécontentement. Mais aux États-Unis, elle pourrait faciliter la réélection du président Trump, ce qui entraînerait l’effondrement de l’alliance.Ceci dit, en ce qui concerne les États-Unis, il est très peu probable que cette crise profite politiquement à Donald Trump. La crainte que l’administration Trump se serve de cette crise pour obtenir des pouvoirs d’urgence, suivant l’exemple d’autres autocrates ou de dirigeants de démocratie "illibérale" tels que Orbán ou Modi, existe. C’est pourtant le contraire qui s’est produit : le gouvernement fédéral de Trump brille par son inaction. La gestion de la crise par Trump est tout simplement désastreuse. Après avoir qualifié le Covid-19 de simple grippe, il n'a pas réussi à mobiliser rapidement l’immense pouvoir potentiel du gouvernement américain, et semble complètement dépassé par les événements.Alors que les sujets politiques ne sont en général suivis que par une faible part de l'électorat, la crise du Covid-19 semble préoccuper tout le monde. La gestion de crise des autres pays est également surveillée de près, soulignant d’autant plus la performance inepte des États-Unis. Les Américains savent que leur gouvernement est en train d’échouer. Et bien que son taux d'approbation ait légèrement augmenté depuis le début de la crise, il commence maintenant à chuter. Il est désormais très probable que les États-Unis dépassent la barre des 100 000 morts, et que la gestion négligente et désordonnée de la crise par l'administration conduise à de sévères répercussions.En 2005, George W. Bush a connu une double crise qui a révélé un manque de compétence : la gestion ratée de l'ouragan Katrina, ainsi qu’une explosion de violence en Irak. Son administration ne s’en est jamais remise. Bush a essuyé une grande défaite aux élections de mi-mandat de 2006 et a ensuite subi la victoire écrasante de Barack Obama en 2008. Mais l’ampleur et les conséquences de la crise actuelle sont d’une plus grande échelle. La gestion par Trump de cette crise pourrait non seulement l'anéantir, mais pourrait aussi avoir avoir un impact sur le pouvoir des Républicains au Sénat.La crise du Covid-19 semble préoccuper tout le monde. La gestion de crise des autres pays est également surveillée de près, soulignant d’autant plus la performance inepte des États-Unis.Si cela arrivait, une nouvelle administration démocrate, renforcée par une victoire électorale importante, cherchera non seulement à réformer le pays en profondeur, mais tentera aussi de se rapprocher de l'Europe et de ses partenaires démocratiques.Mais quand les États-Unis reviendront sur la scène mondiale, les choses auront changé. L’Amérique sera châtiée. Cette crise frappe l’identité de la superpuissance américaine en plein cœur. La génération plus jeune n'adhère tout simplement pas à la notion "d'exceptionnalisme américain", car leur vie a été ponctuée par l'ineptie de la guerre en Irak, une crise économique massive, une dette étudiante écrasante, des logements hors de prix, des services de garde d’enfants coûteux, la peur de la violence par armes à feu, l'élection de Donald Trump, et maintenant une réponse totalement imprudente et incompétente à une crise qui tuera de nombreux parents et proches. Cette génération de millenials entre 20 et 30 ans est sur le point d’occuper des postes de pouvoir. Et cette génération sous-estime ce que l'Amérique peut accomplir, car elle doute de la capacité des États-Unis à réaliser de grandes choses. Pourtant, ils croient aussi fermement qu’il faut s’engager dans le monde et être de bons citoyens. Ainsi, plus que jamais auparavant dans les relations transatlantiques d'après-guerre, l'Amérique ne cherchera pas seulement à coopérer avec les autres, mais voudra former de véritables partenariats.Ainsi, le Covid-19, dans cette vision optimiste, discréditera le "populiste en chef" américain et permettra l’avènement d'une nouvelle administration, désireuse de changer les choses, non seulement dans l’optique de raviver l'alliance transatlantique mais surtout, de forger une alliance encore plus forte.Pourtant, si l'Amérique peut parvenir à surmonter ses populistes, il n’en n’est pas de même pour l’Europe.La réponse de l’Europe à la crise économique peut être inadéquate, manquer de solidarité et laisser l’opportunité aux partis populistes de profiter de l'inanité de l’UE. Le Covid-19 pourrait donc alimenter le sentiment anti-gouvernemental et anti-UE, menant à une autre vague populiste, et prenant le pouvoir dans certains grands pays européens, comme l'Italie.Il est impossible de prévoir l’impact du Covid-19. Mais pour ceux qui soutiennent l'alliance transatlantique en Europe, il est important de reconnaître les enjeux et d’agir en conséquence. Copyright: Sarah Silbiger / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFPImprimerPARTAGERcontenus associés 07/04/2020 Pour que l’épreuve du Coronavirus ne débouche pas sur une crise de l’euro Eric Chaney Lorenzo Codogno 03/04/2020 Une couronne pour le roi ? Comment Viktor Orbán a fait du Covid-19 une arme... Stefano Bottoni