AccueilExpressions par MontaigneCoronavirus et Afrique – au Rwanda, la technologie à la rescousseL'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.06/05/2020Coronavirus et Afrique – au Rwanda, la technologie à la rescousse Moyen-Orient et AfriqueImprimerPARTAGERAuteur Dr Shivon Byamukama Directrice générale de Babyl Rwanda Le Rwanda semble être relativement épargné par le Covid-19, comparativement aux autres pays du continent : on n’y dénombre que 261 cas, dont 129 se sont rétablis et aucun décès, au 6 mai. Le premier cas de coronavirus a été enregistré le 14 mars et, une semaine plus tard, le pays imposait le premier confinement total d’Afrique subsaharienne. Quelles mesures les autorités ont-elles adoptées pour lutter contre l'épidémie ? Le système de santé est-il suffisamment résistant pour faire face au Covid-19 ? Quel rôle jouent les nouvelles technologies dans ce pôle technologique africain ? Quel sera l'impact économique de la pandémie ? Shivon Byamukama, directeur général de Babyl-Rwanda, prestataire de soins de santé numérique, répond à nos questions. Quelle est la situation sanitaire au Rwanda actuellement ? Comment pourrait-elle évoluer dans les prochaines semaines ? Le Rwanda a confirmé son premier cas de Covid-19 le 14 mars. À la date du 6 mai, nous recensons 261 cas de Covid-19, dont 129 se sont rétablis, 132 sont des cas actifs et l’on n’observe aucun décès liés au Covid-19. Dans un premier temps, le nombre d'infections quotidiennes avait augmenté et se comptait en dizaines, mais a finalement diminué ces deux dernières semaines à un nombre de cas entre 0 et 3. Tous les cas suspects et confirmés du virus, y compris ceux provenant de l'étranger, sont soumis à une quarantaine obligatoire. La pandémie de Covid-19 s’est déclarée au moment de la 26ème commémoration du génocide contre les Tutsis. La commémoration du génocide est particulièrement difficile pour les survivants du génocide alors que la distanciation sociale devient obligatoire, car c'est le moment où notre pays, notre peuple tout entier, se remémore les événements passés en étroite communauté. Dans les semaines à venir, je constate une tendance à la baisse en raison des mesures très strictes imposées par le gouvernement pour contrôler la pandémie. Toutes les frontières ont été fermées, sauf pour la circulation des marchandises. Ces derniers jours, un certain nombre de chauffeurs de camion d'Afrique de l'Est ont été testés positifs, ce qui pourrait augmenter le taux d'infection. Étant donné que le Rwanda est un pays enclavé, donc fortement dépendant de l'importation de marchandises par ces chauffeurs de camion, les gouvernements de toute l'Afrique de l'Est devront travailler ensemble pour réduire le risque de propagation du virus dans ces pays.Quelles sont les mesures adoptées par le pays pour lutter contre l’épidémie ? Quelles leçons les autorités peuvent-elles tirer de la lutte contre Ebola en 2019 ? Dès janvier, lorsque le Covid-19 est devenu une préoccupation mondiale majeure, le Rwanda a pris un certain nombre de mesures. Les vols RwandAir vers la Chine ont été interrompus, la température de tous ceux qui passaient par l'aéroport a été vérifiée et un registre des déplacements des personnes a été mis en place afin d'isoler celles qui s'étaient récemment rendues en Chine. Le ministère de la santé a lancé une campagne de masse en utilisant SMS, réseaux sociaux, radio ou encore télévision, afin de mettre la population en garde contre le Covid-19, rappelant les recommandations de l'OMS telles que la distanciation sociale, tout en confirmant l’absence de cas confirmé du virus à l'époque. Il n’y a jamais eu de cas d’Ebola au Rwanda, mais l’une des leçons tirées de la crise d’Ebola a été l’importance d’une intervention rapide et d’une sensibilisation de la population sur les moyens d’éviter la contamination. Lorsque le premier cas de Covid-19 a été avéré au Rwanda le 14 mars, l’information a immédiatement été relayée au public et, trois jours plus tard, alors que le nombre de cas confirmés était passé à cinq, le gouvernement a mis en place un confinement strict, le premier en Afrique subsaharienne. Les frontières terrestres et l'espace aérien ont été fermés, la possibilité de voyager à travers le pays d'un district à l'autre, ainsi que les transports publics ont été arrêtés, les magasins ont été fermés (à l’exception des épiceries), le travail à domicile, d’abord recommandé, est rapidement devenu obligatoire, sauf pour les travailleurs essentiels. Le ministère de la santé communique constamment au public le nombre de personnes testées, les nouvelles infections, les personnes guéries, et encourage continuellement la distanciation sociale, le lavage des mains, etc. Le gouvernement a également mis en place une ligne d'assistance téléphonique nationale pour les personnes qui craignent d'être infectées par le virus, ainsi qu’un outil d’auto-diagnostic que les citoyens peuvent utiliser s'ils sont inquiets ou s'ils soupçonnent d'être porteurs du Covid-19. Le gouvernement a également acquis environ 110 000 kits de dépistage, et soumet actuellement la population à des tests rigoureux. En plus des directives de l'OMS, une vingtaine d’entreprises ont été autorisées à produire des masques que les habitants sont encouragés à porter lorsqu'ils quittent leur domicile. L'armée et la police ont été cooptées, afin d’aider à un traçage rigoureux des contacts.Il n’y a jamais eu de cas d’Ebola au Rwanda, mais l’une des leçons tirées de la crise d’Ebola a été l’importance d’une intervention rapide et d’une sensibilisation de la population sur les moyens d’éviter la contamination. Le système de santé est-il assez résistant pour pallier l’épidémie ? Nous savons que même les systèmes de santé les plus sophistiqués du monde sont en difficulté. Le système de santé rwandais, comme celui de nombreux pays en développement dans le monde, serait incapable de traiter un grand nombre de cas de maladies graves, comme le Covid-19. Même avec un bon système décentralisé, une couverture sanitaire universelle, plus de 500 centres de santé dans tout le pays et une armée d'agents de santé communautaires, ce dont le pays a vraiment besoin actuellement sont des respirateurs, des unités de soins intensifs et le personnel nécessaire pour traiter les patients gravement malades. Or il y a peu de respirateurs au Rwanda, et le gouvernement en a commandé de nouveaux afin de se préparer au pire.La stratégie du gouvernement consiste à faire en sorte que le nombre de cas de Covid-19 demeure faible, afin de préserver le système de santé. Des mesures telles que la recherche rigoureuse des contacts par la police et l'armée, ainsi que la mise en quarantaine de chaque cas suspect dans différents hôtels et appartements à travers le pays aux frais du gouvernement, ce qui n'est en aucun cas une entreprise bon marché pour un pays en développement comme le Rwanda, sont nécessaires pour sauvegarder le système de santé. Là où le pays échoue en étant dépourvu d’un système de santé robuste, il le compense par une bonne organisation afin d’assurer la protection du système de santé. Là où le pays échoue en étant dépourvu d’un système de santé robuste, il le compense par une bonne organisation afin d’assurer la protection du système de santé. L'un des problèmes qui se posent aujourd'hui est que moins de personnes cherchent à se faire soigner par crainte de contracter le virus. Cela aura des conséquences à long terme sur la vie des Rwandais, car le fait de reporter les soins pourrait signifier que les maladies dont souffrent les patients s’aggraveront, et seront donc plus coûteuses à traiter.Quel rôle les nouvelles technologies peuvent-elles jouer dans le secteur sanitaire pour faire face plus efficacement à la pandémie au Rwanda ?Le Rwanda, déjà connu pour être un pays à la pointe de la technologie, a su tirer parti de la technologie de plusieurs façons. Tout d'abord, les autorités envoient continuellement des SMS au sujet des directives de l'OMS pour pallier le Covid-19 et ses symptômes. C'est un moyen de communication très efficace, puisqu'environ 81 % des Rwandais ont un téléphone portable. Ensuite, le gouvernement a mis en place une ligne d'assistance téléphonique nationale pour toute personne craignant d'avoir contracté le virus, ainsi qu'une plateforme USSD (Unstructured Supplementary Service Data) qui permet aux gens de faire leur propre test et de trouver les soins médicaux appropriés. Le gouvernement utilise également des drones afin de diffuser des informations sur le Covid-19 et rappeler aux gens de conserver une distance règlementaire et de rester chez eux si nécessaire. Les Rwandais doivent désormais demander, par l'intermédiaire d'une plateforme USSD, l'autorisation de quitter leur domicile dans le cas où il leur est impératif d'obtenir des services essentiels. L'analyse des données est également utilisée afin d’établir les meilleures prévisions possibles.Étant donné que le virus peut être transmis par l'utilisation de billets et de pièces de monnaie, tous les frais de transaction vers l'argent mobile ont été supprimés pendant cette période afin d'encourager les gens à utiliser ces moyens de paiement sans contact. Enfin, le gouvernement cherche à s'associer à des acteurs économiques (comme ma propre société Babyl-Rwanda), afin de développer une première solution numérique visant à encourager les patients à se faire soigner à domicile, et ainsi éviter de surcharger le système de santé, de sorte qu'il puisse se concentrer sur les patients gravement malades, le cas échéant.Quel sera l’impact économique du coronavirus au Rwanda ? Le tourisme et les voyages, de loin le secteur le plus touché par la pandémie, contribuent à environ 15 % du PIB Rwandais. Le confinement signifie que presque tout est au point mort. Les prévisions de croissance ont donc été ramenées de +8 % à +5,1 %, et pourraient descendre à +3 %, voire moins. L'économie sera durement touchée et les conséquences seront visibles pendant très longtemps. En outre, comme dans de nombreux pays en développement, une grande partie de la population travaille dans le secteur informel (environ 64 % au Rwanda). Le gouvernement se doit désormais de nourrir les millions de personnes qui risquent de mourir de faim, étant donné qu'elles ne mangent que lorsqu'elles travaillent. Grâce aux infrastructures décentralisées déjà existantes, il est cependant très facile d'identifier les personnes les plus nécessiteuses. En effet, le Rwanda dispose d'un système décentralisé très bien structuré, allant des chefs de village et se déclinant ensuite au sein des différentes cellules provinciales. La distribution de nourriture et de matériel de base à ceux qui en ont le plus besoin est ainsi devenue très rapide. Quelles sont vos recommandations pour les pouvoirs publics ? Au vu des tendances mondiales, il semble que cette pandémie ne s'arrêtera pas de sitôt, malgré les efforts de chacun. Le gouvernement devrait donc réfléchir à la manière dont il va ouvrir lentement, mais prudemment, l'économie. Il s'agit en effet d'un équilibre très difficile à atteindre, surtout pour les pays en développement. Ils doivent malheureusement prendre en compte le risque d'ouverture de l'économie, qui pourrait entraîner une augmentation du nombre de cas et la mort potentielle de 1 % des personnes qui contractent le virus, par rapport au risque de décès dû à la faim. Le Rwanda, déjà connu pour sa gouvernance de qualité, devra travailler en étroite collaboration avec l'ensemble du continent pour combattre cette pandémie en bloc. Pour gagner cette guerre, il faut une collaboration au niveau continental et mondial. L'Afrique doit être unie si nous voulons lutter avec succès contre la pandémie, car nous sommes aussi forts que notre maillon le plus faible. Copyright : Simon Wohlfahrt / AFPImprimerPARTAGERcontenus associés 14/04/2020 Coronavirus et Afrique - au Gabon, une réaction rapide et progressive Michaël Cheylan 10/04/2020 Coronavirus et Afrique - en Côte d’Ivoire, vers un report de l’élection pré... Baudelaire Mieu