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18/06/2020

Confrontation sino-indienne : jusqu’où l’escalade peut-elle aller ?

Trois questions à Mathieu Duchâtel et Christophe Jaffrelot

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Confrontation sino-indienne : jusqu’où l’escalade peut-elle aller ?
 Mathieu Duchâtel
Directeur des Études Internationales et Expert Résident
 Christophe Jaffrelot
Expert Associé - Inde, Démocratie et Populisme

Le grave incident de la nuit du 15 juin sur le frontière disputée entre l’Inde et la Chine dans l’Himalaya a causé la mort de 20 soldats indiens et d’un nombre indéterminé de soldats chinois. Il représente une escalade soudaine des tensions accumulées en plusieurs points de la frontière depuis le début du mois de mai. La Chine et l’Inde semblent avoir un intérêt à la dé-escalade, mais cette éruption de violence complique un processus diplomatique déjà chaotique. Mathieu Duchâtel et Christophe Jaffrelot analysent les enjeux pour la Chine et l’Inde de leur affrontement le plus meurtrier depuis 1967.

Quelles sont les zones d'ombre factuelles ?

Mathieu Duchâtel et Christophe Jaffrelot

Le film des événements n’est pas facile à reconstituer. Plusieurs zones d’ombre demeurent sur des faits importants.

On ne connaît pas avec exactitude la cause immédiate du déclenchement des incidents. Il semble que les choses se soient passées ainsi : le mois dernier, des heurts ont opposé les armées indienne et chinoise au Sikkim, à Naku La et au Ladakh en trois points différents. Là, le premier incident sérieux a lieu le 5 mai sur les bords du lac Pangong Tso. Il s’agit d’une confrontation violente entre près de 250 soldats, sans ouverture de feu. Cette absence d’échange de feu est une constante dans le déroulé de la crise. Elle résulte d’une mesure de confiance conclue en 1996, selon laquelle les deux parties s’engagent à ne pas ouvrir le feu dans une bande de 2 kilomètres de part et d’autre de la "Line of Actual Control" (LAC). Un incident similaire a lieu le 9 mai au Sikkim, à plus de 2 000 kilomètres. Mais l’épicentre des tensions se trouve au Ladakh. Les médias indiens y font état d’un déploiement par l’Armée populaire de libération (APL) chinoise de tentes dans une zone de la vallée du Galwan revendiquée par les deux pays et qui se situe au-delà de la LAC, soit une occupation, de fait, d’un territoire contrôlé par l’Inde.

Chaque fois, les deux pays se sont mutuellement accusés d’incursions transfrontalières - sachant que, dans ces zones, ils ont une interprétation différente du tracé de leur frontière, bien qu’ils se soient mis d’accord, en 1993 et 1996, sur les contours de la LAC. C’est que l’accord n’est que très partiel, notamment parce qu’il ne couvre pas l’entièreté des zones litigieuses, en particulier au Ladakh. La Chine maintient en outre une certaine ambiguïté sur le tracé exact de la LAC de son point de vue.

Après trois semaines de face-à-face, dans la nuit du 15 juin, la tension dégénère dans la vallée du Galwan, qui court à plus de 4 000 mètres d’altitude en contrebas de lignes de crête culminant à plus de 5 000 mètres. Cette escalade est paradoxale, car les Chinois et les Indiens avaient annoncé le 6 juin un retrait progressif de leurs troupes hors de la zone de no man’s land, suite à des négociations dont, le 13, le chef de l’armée indienne se félicitait encore… Le bilan est lourd. L’armée indienne a confirmé 20 morts, y compris un colonel, dont 17 auraient succombé à leurs blessures en raison de conditions climatiques extrêmes rendant les soins plus difficiles. Il faut remonter à 1967 pour retrouver de telles pertes dans un face-à-face indo-chinois. Côté chinois, le bilan humain n’a pas été communiqué, mais l’Inde affirme avoir infligé des pertes à l’APL. Le silence chinois est tout sauf inhabituel. La République Populaire ne communique sur ses pertes militaires que longtemps après les faits.

L’incident du 15 juin met en danger le processus de désescalade qui repose sur des négociations conduites via des canaux diplomatiques et militaires. Au total, l’APL, dans le courant du mois de mai, a avancé pour occuper des territoires situés du côté indien de la LAC. Au minimum, la position de négociation indienne vise donc un retour au statu quo ante.

L’incident du 15 juin met en danger le processus de désescalade qui repose sur des négociations conduites via des canaux diplomatiques et militaires.

Des interrogations subsistent sur de nombreux points essentiels à une compréhension précise de la crise. Quelle portion du territoire administré par l’Inde de son côté de la LAC la Chine occupe-t-elle dans la vallée du Galwan ? Sur les rives du lac Pangong Tso? Combien d’hommes les deux armées ont-elles déployé le long de la LAC dans sa partie occidentale (Ladakh/Aksai Chin) ? Combien d’intrusions ont eu lieu depuis le début des tensions ?

Alors que le débat est très vif en Inde, la presse chinoise, à l’exception du Global Times, est très discrète sur les évènements. À ce jour, malgré la certitude de pertes du côté de l’APL, la presse militaire officielle n’a publié qu’un communiqué succinct, par la voix du porte-parole du commandement du théâtre d’opérations de l’Ouest, Zhang Shuili. Il accuse l’armée indienne d’avoir franchi la LAC malgré les efforts de désengagement, fait état de morts et mentionne une "souveraineté historique" (主权历来属我) de la Chine sur la vallée du Galwan, dont l’essentiel du cours est situé dans l’Aksai Chin, occupé par la Chine depuis la guerre sino-indienne de 1962.

Quelle a été jusqu'ici la politique du gouvernement Modi, et quel est le meilleur et le pire scénario pour l'Inde après cette grave escalade ?

Christophe Jaffrelot

Modi a d’emblée essayé de résoudre les litiges territoriaux qui empoisonnent les relations entre l’Inde et la Chine depuis la guerre de 1962 (et même avant, comme en témoignent certains échanges entre Zhou Enlai et Nehru en 1959). Dès le sommet des BRICS de l’été 2014, alors qu’il n’est Premier ministre que depuis quelques semaines, Modi cherche à aborder la question avec Xi Jinping - qu’il invite quelques mois plus tard pour une première visite officielle. Il n’est pas payé de retour - l’armée chinoise faisant même irruption en territoire indien (d’après New Delhi) pendant cette visite ! En 2017, à Doklam (Bhoutan), l’armée indienne fera face à l’armée chinoise pendant 89 jours - la première accusant la seconde d’avoir pénétré sur le territoire du Bhoutan, un pays qu’un accord de défense lie à l’Inde. Mais Modi persévère et prend même l’initiative (à moins que ce ne soit une idée chinoise…) d’un tête-à-tête avec Xi Jinping. Ce premier "sommet informel" a lieu à Wuhan en 2018 et le second en octobre dernier près de Chennai. Chaque fois, les deux leaders se félicitent de la franchise de leurs échanges, qualifiés de constructifs…

En fait, il n’y a guère d’avancées. La suspicion continue de régner de part et d’autre. L’Inde soupçonne la Chine de vouloir l’encercler. Elle s’inquiète en particulier de l’essor de la Belt and Road Initiative, une initiative lancée par Xi Jinping en 2013 et à laquelle l’Inde est restée extérieure, au grand dam de la Chine, qui annonce des investissements massifs (50 à 60 milliards de dollars) au Pakistan, l’ennemi héréditaire de l’Inde où les Chinois installent un port en eau profonde, à Gwadar, depuis longtemps suspecté de pouvoir être transformé à l’avenir en base navale. Au-delà du Pakistan, la Chine prend pied dans le voisinage immédiat de l’Inde : le Sri Lanka est en passe de perdre une partie de sa souveraineté vis-à-vis des intérêts chinois, le Népal n’est pas loin de basculer aussi et certaines îles de l’océan Indien (les Maldives, les Seychelles) pourraient faire de même. Chaque fois, l’Inde peine à résister à la puissance de feu chinoise qui combine investissements (notamment dans les infrastructures) et aide financière (sous la forme de prêts qui rendent ces pays dépendants de la Chine).

La Chine, elle aussi, soupçonne l’Inde d’essayer de l’encercler en resserrant ses liens avec ses partenaires du QUAD (États-Unis, Japon, Australie), une coalition relancée en 2018. Pékin s’est en particulier inquiété de l’approfondissement des relations entre l’Inde et les États-Unis – le rival de la Chine, de manière explicite depuis l’élection de Donald Trump (d’autant plus que la composante militaire de ce partenariat s’est affirmée au cours des années récentes). Mais une autre décision indienne a aussi alerté Pékin : la transformation du statut du Jammu-et-Cachemire, un État de l’Union indienne qui, en août 2019, a été coupé en deux, le Ladakh devenant un Territoire de l’Union indienne directement administré par New Delhi.

Cette décision, couplée au discours nationaliste de Narendra Modi, a pu faire craindre aux Chinois que l’Inde cherche à remettre en cause la situation territoriale née de la guerre de 1962 et en particulier l’occupation de l’Aksai Chin par la Chine – une perte à laquelle New Delhi ne s’est jamais résignée. Il semble d’ailleurs que le facteur déclenchant de l’intervention chinoise au Ladakh ait été la décision indienne de construire une route reliée à un aéroport, qui renforçait le dispositif stratégique indien dans la zone en facilitant les patrouilles militaires le long de la LAC.

D’un côté, Modi a cherché à établir un nouveau type de dialogue avec Xi Jinping, d’un autre, il s’est efforcé de contrer la Chine, sapant les bases de la confiance qu’il disait chercher à établir.

Au total, l’Inde a récolté le pire des deux mondes en un sens : d’un côté, Modi a cherché à établir un nouveau type de dialogue avec Xi Jinping, d’un autre, il s’est efforcé de contrer la Chine, sapant les bases de la confiance qu’il disait chercher à établir – et qui n’aurait de toute façon, sans doute, pas vu le jour étant donné les ambitions territoriales chinoises.

Que peut faire l’Inde aujourd’hui ? Il faut distinguer ici le court et le moyen terme. À court terme, New Delhi va être soumise à une forte pression politique intérieure : l’opposition raillera ses faiblesses si rien n’est fait pour reconquérir les dizaines de kilomètres carrés qui, dit-elle, sont passés sous le contrôle chinois. Mais une opération militaire serait bien aventureuse et New Delhi s’efforcera sans doute de calmer le jeu. D’ores et déjà, le ministre indien des Affaires étrangères, S. Jaishankar, a écrit à son homologue chinois pour dénoncer la duplicité des Chinois (qui, selon lui, ont trahi l’accord du 6 juin de manière "préméditée") et leur demander de mettre en œuvre l’accord de retrait conclu le 6 juin. Si les Chinois n’obtempèrent pas, l’Inde aura le choix entre l’escalade (par exemple en faisant à la Chine ce que la Chine vient de lui faire : occuper une partie de son territoire là où elle sera en position de force) ou un profil plus bas qui aura l’avantage d’améliorer son image d'État responsable (et victime de l’hégémon chinois) à l’échelle internationale. Dans ce cas, elle pourrait porter l’affaire devant des instances multilatérales si le pays - qui vient de rejoindre le Conseil de sécurité - y trouve des alliés. En parallèle, elle pourrait s’efforcer de minimiser l’affaire (imitant ainsi le Pakistan qui, pour s’éviter d’avoir à répliquer aux attaques indiennes de l’an dernier se contenta de dire qu’elles n’avaient pas eu lieu…).

À moyen terme, trois développements sont possibles. Si l’Inde ne dispose pas d’une marge de manœuvre énorme sur le plan financier, étant donné la crise économique qui la frappe, elle devrait néanmoins encore augmenter le budget de la défense. Deuxièmement, elle va chercher à se protéger plus encore des investissements chinois - dont elle pensait pourtant avoir besoin. À juste titre : pas plus tard que le 16 juin, l’État du Maharashtra, dont Mumbai est la capitale, a annoncé à grand renfort de publicité un investissement chinois, Great Wall Motor, de plus d’un milliard de dollars ! Ce genre d’opération va devenir difficile.

Alors qu’elle prenait conscience de sa dépendance vis-à-vis de la Chine dans le secteur pharmaceutique, l’Inde a décidé par ordonnance de soumettre tous les investissements des pays frontaliers à l’autorisation du pouvoir central.

En avril dernier, déjà, alors qu’elle prenait conscience de sa dépendance vis-à-vis de la Chine dans le secteur pharmaceutique (70 % des principes actifs que son industrie du médicament utilise viennent de Chine), l’Inde a décidé par ordonnance de soumettre tous les investissements des pays frontaliers à l’autorisation du pouvoir central. Enfin, New Delhi va probablement se tourner vers ses partenaires du QUAD (États-Unis, Japon, Australie) et, au-delà, vers ceux qu’intéressent une version de "l’Indo-Pacifique" qui soit synonyme de "China containment".

La France sera-t-elle de la partie ? Elle doit en tout cas s’attendre à voir l’Inde solliciter son aide, notamment dans l'océan Indien. Quelle forme cette coalition, que certains Indiens baptisent ABC (Anything But China), pourrait-elle prendre ? Celle d’un QUAD élargi ? Et quels seront les pays prêts à prendre le risque d’indisposer la Chine en prenant le parti de l’Inde - alors que la plupart d’entre eux sortent affaiblis de la crise du Covid et sont surtout préoccupés par leur situation intérieure, économique, politique et sociale ?

Quelle a été jusqu'ici la politique de la Chine, et quels sont les possibles gains et pertes pour Pékin à l'issue de cette escalade ?

Mathieu Duchâtel

L’Armée populaire de libération ne donne que très peu d’explications sur ses opérations en cours dans la zone frontalière, leurs objectifs et la perception des menaces et des opportunités sur laquelle elles reposent. Le fait que les opérations menées depuis mai ont eu lieu sur quatre points de la frontière suggère une coordination stratégique au service d’objectifs politiques, plutôt que des escarmouches très localisées liées à la prise de risque d’unités situées dans les zones frontalières. Ces tensions ont lieu à un moment où, dans le sillage de la crise du Covid-19, le ton de la politique étrangère chinoise s’est considérablement durci. Or l’APL est une organisation plus puissante que le ministère des Affaires étrangères, qui est souvent contraint d’opérer comme un porte-parole de décisions auxquelles il n’est pas associé, et pour lesquelles il peut ne disposer que d’informations limitées.

On peut avancer trois hypothèses pour expliquer le jeu de la Chine dans cette crise frontalière – trois explications qui ne s’excluent pas mutuellement.La première interprétation souligne les rapports de force à l’échelle locale, en particulier autour des enjeux d’infrastructures, qui permettent des patrouilles frontalières régulières. Dans le Ladakh, l’Inde finalise la construction d’une route de 255 km, entre Darbuk, Shyok et Daulat Beg Oldie. Les conditions climatiques et géographiques de cette région himalayenne rendent les patrouilles très difficiles, en particulier pendant la moitié la plus froide de l’année. L’objectif est de relier les postes frontières. Les confrontations du lac Pangong Tso et de la vallée de Galwan résultent d’opérations chinoises visant à empêcher cette connectivité sur des points précis où les deux parties revendiquent des délimitations différentes de la ligne de contrôle. En 2013, la construction de cette même route avait déjà généré un incident provoqué par l’APL. L’objectif opérationnel de la Chine semble le maintien d’une supériorité logistique sur l’armée indienne, qui permet la mobilité des unités frontalières. Cette logique de rapport de force de part et d’autre de la frontière joue pour les deux parties (pour l’Inde aussi, puisqu’elle cherche à corriger une position de faiblesse).

Elle peut expliquer des accrochages et est très présente dans la communication de l’APL – on peut même avancer que la communication s’y limite, par exemple en mettant en scène l’équipement pour le conflit en haute altitude : le tank de type 15 et l’artillerie autotractée PCL-181, conçus pour manœuvrer sur les hauts plateaux, une version des hélicoptères Z-20 et Z-8 pour opérer dans des environnements appauvris en oxygène, la capacité de surveillance frontalière par des drones de reconnaissance armée, etc. Le message constamment répété est celui de la supériorité militaire, dans un objectif de dissuasion et probablement de soumission.

L’objectif opérationnel de la Chine semble le maintien d’une supériorité logistique sur l’armée indienne, qui permet la mobilité des unités frontalières.

La seconde interprétation renvoie à la catégorie "reactive assertiveness", un terme créé pour qualifier le comportement de la Chine dans ses conflits territoriaux en mer de Chine du Sud et en mer de Chine orientale dans les années 2010. Le principe est que chaque action entreprise par un rival, aussi minime puisse-t-elle paraître, donne lieu à une riposte disproportionnée qui permet à la Chine de se rapprocher d’un objectif que ses stratèges ont défini avec clarté : le contrôle territorial effectif. C’est ce qui s’est produit dans les îles Spratley, avec la construction d’îles artificielles et la généralisation des patrouilles de garde-côtes, ou lors de la conquête de Scarborough Shoal en 2012. Cette interprétation prolonge la première – la construction par l’Inde d’infrastructures de transport offrirait à l’APL une occasion d’étendre son contrôle territorial et de créer un nouveau statu quo, en prétextant un changement préalable du statu quo par l’Inde, et en créant ainsi un récit fictif de retour à l’équilibre. Une telle approche pourrait être encouragée par la perception chinoise, réelle ou feinte, d’un effort indien pour changer le rapport de force dans le Ladakh, à la suite de son changement de statut administratif (mise sous autorité fédérale en 2019 comme territoire de l’Union), et en réaction à une communication plus accentuée du gouvernement Modi sur l’objectif affiché de reprendre l’Aksai Chin. En d’autres termes, on serait dans une préemption d’actions futures que l’armée indienne pourrait mener en s’appuyant sur la plus grande mobilité terrestre permise par la finalisation de la route.

La troisième interprétation souligne les objectifs stratégiques plus larges que pourrait viser la Chine, et l’idée d’un signal émis envers l’Inde et la communauté internationale, en conformité avec la logique de puissance qui sous-tend la politique extérieure chinoise. Les griefs de Pékin contre l’Inde de Modi sont nombreux. Ils portent sur le rapprochement indien avec un front Indo-Pacifique qui se met en place autour des États-Unis, de l’Australie et du Japon, et avec le soutien de la France, afin de contrer l’influence grandissante de la Chine dans cet espace, via son effort débridé de construction d’une puissance navale et l’expansion de sa présence économique. Le principal déterminant des actions de la Chine serait alors d’agir sur l’équilibre des puissances, tel qu’il s’exprime au révélateur d’un conflit particulier aux yeux du monde entier.

Xi Jinping a déclaré que "les grandes étapes de l’histoire ont toutes été franchies après des catastrophes majeures". Cela suggère qu’il perçoit le Covid-19 comme une opportunité stratégique.

En mai, Xi Jinping a déclaré que "les grandes étapes de l’histoire ont toutes été franchies après des catastrophes majeures". Cela suggère qu’il perçoit le Covid-19 comme une opportunité stratégique pour accélérer l’agenda annoncé lors du 19e Congrès du Parti communiste de 2017 – pour reprendre ses termes, la "nouvelle ère" d’une Chine "leader global en matière de puissance et d’influence internationale". Imposer des bras de fer sert cet objectif, si ceux-ci aboutissent à ce que la Chine projette l’image d’une victoire politique acquise grâce à sa puissance militaire.

Qu’est-ce qui, vu de Pékin, constituerait un succès à l’issue de cette crise ? Étendre le contrôle territorial chinois de quelques dizaines de kilomètres carrés au prix de tensions récurrentes et d’un coût d’image peut sembler une victoire à la Pyrrhus, mais les patrouilles régulières des garde-côtes chinois dans les eaux territoriales des îles Senkaku depuis 2012 sont précisément conçues à Pékin comme une avancée des intérêts chinois. La démonstration de la détermination de la Chine à infliger des pertes humaines militaires dans des conflits de souveraineté est un message dont la portée dépasse le conflit sino-indien. Un tel signal est communiqué avec un risque moindre que si ce coût était imposé à un pays allié des États-Unis ou à Taiwan. Une fois ce message communiqué, la Chine n’a aucun intérêt évident à une poursuite de l’escalade car le centre de gravité de sa géopolitique demeure en Asie orientale, où la pression américaine est la plus forte. En revanche, il est possible qu’elle puisse accepter une conflictualité limitée persistante le long de la frontière, mal contenue par d’insuffisantes mesures de confiance, sans coût trop important sur ses relations internationales. Cette option chinoise de l’inertie place l’exécutif indien dans la position désagréable de devoir chercher une issue sous forte pression médiatique.

 

Copyright : Tauseef MUSTAFA / AFP

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