AccueilExpressions par MontaigneChômage : une baisse en demi-teinte ?L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.01/02/2019Chômage : une baisse en demi-teinte ?Échanges avec Bertrand Martinot Emploi Société Régulation Action publiqueImprimerPARTAGER Bertrand Martinot Expert Associé - Apprentissage, Emploi, Formation Professionnelle Le 25 janvier dernier, Pôle emploi et le ministère du Travail ont annoncé une baisse du nombre de demandeurs d’emplois en France de 0,2% sur un an, et ce alors que la courbe était à la hausse durant les deux trimestres précédents. Faut-il en déduire une dynamique de réduction du chômage qui perdurerait en 2019 ? Ou faut-il au contraire regarder ces chiffres avec précaution ? Bertrand Martinot, Senior Fellow Apprentissage, Emploi, Formation professionnelle à l’Institut Montaigne, décrypte pour nous ces chiffres et nous éclaire sur la situation actuelle du chômage en France.Quels principaux enseignements faut-il tirer de la baisse du chômage en 2018, de l'ordre de 0,2 %, annoncée par Pôle emploi et le ministère du Travail ?Il faudra attendre le 14 février et la publication de l’enquête emploi de l’Insee pour le quatrième trimestre afin d’avoir une vraie vision de l’évolution du chômage. Je rappelle que le nombre d’inscrits à Pôle emploi, même lissé comme c’est le cas ici sur 3 mois, n’est qu’une donnée administrative dont l’évolution est souvent décorrélée des évolutions du chômage au sens du BIT. C’est normal puisque l’inscription à Pôle emploi peut être affectée par de nombreux événements : par exemple, un jeune chômeur qui cherche activement un emploi mais qui n’a pas l’ancienneté suffisante pour bénéficier de l’assurance chômage n’a pas forcément de fortes incitations à s’inscrire à Pôle emploi, mais ce n’en est pas moins un chômeur au sens de la statistique de l’Insee.Pour le premier semestre de cette année, l’Insee prévoit d’ailleurs une quasi stabilité du taux de chômage (-0,1 %).De ce point de vue, les dernières prévisions de l’Insee, qui datent de décembre dernier, font plutôt état d’une stabilisation ou d’une très légère diminution du taux de chômage. Nous verrons bien, mais on ne doit pas s’attendre à un miracle. Le taux de chômage était de 9,1 % au troisième trimestre et ne devrait pas avoir beaucoup bougé au quatrième. Pour le premier semestre de cette année, l’Insee prévoit d’ailleurs une quasi stabilité du taux de chômage (-0,1 %).Cette prévision est en ligne avec le ralentissement assez marqué de la croissance qui est observée depuis la fin 2017 (donc une diminution quasiment par un facteur 3 des créations nettes d’emploi) dans un contexte où la population active reste dynamique.Cela étant, si l’on regarde les données de Pôle emploi, on constate une forte hausse de la catégorie D (les demandeurs qui ne sont pas disponibles pour rechercher un emploi). On peut y voir les premiers effets de la hausse des entrées en formation qui ont été rendus possibles par le commencement du Programme d’investissement dans les compétences (PIC) lancé par le gouvernement en 2018.Tandis que nombre d'entreprises éprouvent des difficultés à recruter, la France compte tout de même 3,4 millions de chômeurs sans activité : comment expliquer ce décalage ? Comment le réduire ?Les difficultés de recrutement ne sont pas nouvelles en France, mais il est vrai qu’elles atteignent des sommets préoccupants. On constate ce phénomène dans de nombreux pays de l’OCDE, notamment en Allemagne, mais principalement dans des pays qui sont au plein emploi. La spécificité française, c’est que nous avons la coexistence d’un chômage de masse et de difficultés de recrutements. Ainsi, dans la dernière enquête de conjoncture de l’Insee sur les intentions d’embauche, 37 % des entreprises citent le manque de main d’œuvre compétente comme barrière à l’embauche fin 2018 contre 25 % début 2017.On peut penser qu’à ce niveau de tension, c’est la croissance économique elle-même qui est entravée. Dans le cas du bâtiment, secteur particulièrement touché par ce phénomène, on peut mettre cette situation en parallèle avec le recours sur une large échelle au travail détaché, dont le coût n’est souvent pas la première explication.L’origine de ces difficultés de recrutement est plurielle et elle n’est pas toujours liée à l’insuffisance des compétences : par exemple, les conditions de travail parfois difficiles dans la restauration et parfois la mauvaise image expliquent une partie de la grande difficulté des restaurateurs à fidéliser leurs salariés.Il n’en demeure pas moins que l’insuffisance des compétences et du niveau de formation initiale et continue des chômeurs en France expliquent aussi ce désajustement. Et ceci dans pratiquement tous les secteurs et sur tous les niveaux de qualification. Il n’y pas que les data scientists qui sont rares, il y a aussi de nombreux ouvriers qualifiés.37 % des entreprises citent le manque de main d’œuvre compétente comme barrière à l’embauche fin 2018 contre 25 % début 2017.De ce point de vue, le programme d’investissement dans les compétences (PIC), qui se concentre sur les chômeurs des premiers niveaux de qualification et les jeunes en insertion, est correctement ciblé (même s’il ne règle pas la question de la pénurie sur les postes très qualifiés !). Et, avec environ 1,5 milliards d’euros supplémentaires par an (en plus des dépenses que font déjà les régions en la matière), il semble correctement calibré pour rattraper une partie du défaut de compétence des chômeurs et des jeunes en insertion. Mais pour qu’il soit véritablement efficace, il faut que les régions qui sont en charge de ce programme (leurs dépenses à ce titre leur seront remboursées par l’Etat) ne se contentent pas d’accroître leurs programmes de formation actuels en faisant simplement plus de "chiffre". Il faut aussi acheter de véritable parcours professionnalisants, allant de la construction du projet professionnel à l’accompagnement vers le retour à l’emploi, en passant par l’acte de formation proprement dit. Enfin, il faut utiliser ce programme comme un levier pour transformer les modes d’apprentissage. Notre appareil de formation reste encore assez traditionnel (un tableau, un formateur, une salle de classe…) et n’est pas toujours adapté au public visé. Dans le secteur de la formation comme ailleurs, il ne faut pas rater le virage du numérique et, même, en l’occurrence, de l’intelligence artificielle (pensons par exemple aux potentialités de la réalité immersive pour de nombreuses formations)… !ImprimerPARTAGERcontenus associés 10/01/2018 Assurance chômage, formation professionnelle et apprentissage au service du... Institut Montaigne