AccueilExpressions par MontaigneChina Trends #4 - La loi anti-monopole chinoise : plus qu'un simple bout de papier ?L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.26/12/2019China Trends #4 - La loi anti-monopole chinoise : plus qu'un simple bout de papier ? Régulation AsieImprimerPARTAGERAuteur Viviana Zhu Analyste Chine - Anciennement Research Fellow - programme Asie, Institut Montaigne La loi anti-monopole de 2008 est la gardienne de l'économie de marché moderne, selon les mots de Shi Jichun, professeur au département de droit de l'Université Renmin1. La loi anti-monopole étant fondée sur l'existence d'une économie de marché, elle n’aurait n'aurait pas eu de sens à l'époque du système chinois d’économie planifiée. Avec la mise en place de réformes économiques axées sur une logique de marché et des mécanismes de concurrence, le besoin d'un cadre juridique permettant de lutter contre les monopoles et de garantir ce principe de concurrence s’est fait sentir, conduisant ainsi à l'adoption de cette loi. L’élaboration de la loi a permis en Chine, selon le chercheur à l'Institut de droit de l'Académie chinoise des sciences sociales Wang Xiaoye, une "libéralisation de l'esprit, un enracinement du concept d'économie de marché dans le cœur de la population (深入人心) et un pas crucial vers le déploiement d'une concurrence loyale"2.L'adoption de la loi anti-monopole a posé un jalon important de la réforme économique chinoise et joué un rôle essentiel dans les efforts menés par la Chine pour optimiser son économie socialiste de marché depuis l'époque de Deng Xiaoping. En 1978, conscient de l'écart croissant entre la Chine et les pays développés, Deng Xiaoping avait annoncé un tournant, celui de la "politique de la porte ouverte". La logique était simple : si la Chine "ferme sa porte et refuse tout progrès (关起门来,固步自封)", elle ne se développera jamais3. En outre, il s’agissait que l'ouverture de la Chine soit complétée par des réformes internes, afin d'accroître la capacité chinoise à tisser des liens à travers le monde.La loi anti-monopole étant fondée sur l’existence d’une économie de marché, elle n’aurait n’aurait pas eu de sens à l’époque du système chinois d’économie planifiée.Au cours des dernières décennies, selon Zhang Zhuoyuan, chercheur à l'Institut d’économie de l’Académie chinoise des sciences sociales, la réforme économique de la Chine a suivi deux grandes orientations4. La première, axée sur la consolidation de son système économique socialiste, présente trois aspects essentiels. D’abord, elle a donné le feu vert aux initiatives individuelles et privées, qui avaient cessé d'exister entre 1953 et 1957 en raison de la transition vers le socialisme.La Chine s'est retrouvée dans une situation où elle disposait d'une main-d'œuvre abondante mais sans offrir les emplois correspondants (人浮于事)5. Or, le pays avait besoin de 20 millions d’emplois nouveaux chaque année6. Le deuxième volet de la réforme consistait à créer des zones économiques spéciales. Malgré le manque de clarté quant à la question de savoir si elles devaient "s’aligner sur des caractéristiques capitalistes ou socialistes" (姓资还是姓社), les zones économiques spéciales ont été considérées comme essentielles pour attirer les investissements étrangers, encourager l'acquisition de technologies avancées et favoriser les échanges commerciaux. On y a également vu une opportunité pour observer la mécanique capitaliste et en tirer des leçons. Enfin, le dernier élément a été la réforme de la propriété des entreprises, avec une structure qui a créé des responsabilités mixtes pour l'État et les entreprises.L'autre grande orientation de la réforme économique a été, selon Zhang Zhuoyuan, le passage d'une économie planifiée à une économie de marché, permettant une allocation des ressources fondée sur une logique de marché. L'objectif était ici de créer un système sur mesure, tirant à la fois parti d'un marché efficace (有效市场) et d'un gouvernement actif (有为政府)7. En d'autres termes, il s’agissait de laisser simultanément la "main invisible (看不见的手)" du marché et la "main visible (看得见的手)" de l'État jouer leur rôle8. Auparavant, sous l’ère Mao, le potentiel du marché avait été tant déconsidéré qu’il était devenu un marché passif, sans aucun impact de bottom-up9. Dans ce contexte de transition vers l’économie de marché, la loi anti-monopole, adoptée en 2007 et entrée en vigueur le 1er août 2008, en est sans aucun doute un élément essentiel. Pourtant, la culture de la libre-concurrence fait encore défaut à la Chine ; les entreprises, le gouvernement et de l’opinion publique ne sont pas encore conscients de la nécessité de lutter contre les monopoles10. C'est aussi la raison pour laquelle le processus législatif a été extrêmement complexe - il a nécessité vingt années d'efforts entre 1987 et l’adoption de la loi en 2007.Le processus législatif a suivi une stratégie consistant, à la fois à "sortir" (走出去) vers d’autres pays et à les "inviter" (请进来)11. En d'autres termes, l'équipe chargée de rédiger la loi s'est rendue dans des pays dotés d'une loi anti-monopole avancée, voyageant en Europe, aux États-Unis, en Australie et au Japon - l’idée étant de tirer des leçons de l’expérience de cette loi par ces pays. D’autre part, le projet de loi chinois a été soumis aux commentaires et aux conseils d’experts et d’officiels étrangers. La Chine a cependant buté sur deux obstacles.Tout d’abord, l'applicabilité de ce type de loi à son propre système. Wang Xiaoye se souvient ainsi que certains universitaires étaient opposés à l’idée d’une loi anti-monopole, arguant que la taille des entreprises chinoises était trop petite par rapport à celle des grandes entreprises américaines et allant jusqu’à considérer que la Chine avait besoin d’encourager des monopoles pour favoriser l'émergence de grandes entreprises. D’autres universitaires néanmoins, se rappelle Wang Xiaoye, avaient quant à eux plaidé en sa faveur.Le monopole administratif du gouvernement restreint la concurrence beaucoup plus que ne le font les entreprises.Le second obstacle résidait dans la question de savoir comment agir face au monopole administratif existant. Les intérêts des entreprises d'État, créées à l'époque de l'économie planifiée, étaient étroitement liés à ceux du pouvoir exécutif. Avec le soutien de l'État, ces entreprises bénéficient déjà d’un monopole dans leur secteur respectif. En conséquence, les entreprises d'État comme le pouvoir exécutif espéraient sortir du champ d'application de la loi. Le monopole administratif du gouvernement restreint la concurrence beaucoup plus que ne le font les entreprises. Si rien n’empêche le gouvernement d'entraver la concurrence, le risque est que la loi anti-monopole ne soit qu'"un simple bout de papier" (花瓶)12. Ainsi, même si le volet de la loi portant sur la question du monopole de l’administration chinoise avait été supprimé du premier projet de loi de 2005, la version ultérieure de la loi l'a réintégré.Le fait d'inclure la question du monopole de l’administration n'a néanmoins pas résolu la question de celui des entreprises d'État. Xu Xiaosong, directrice adjointe de l’Institute of Economic Law (University of Political Science and Law of China), plaide en faveur d'un cadre réglementaire anti-monopole distinct qui serait, lui, axé sur les entreprises d’État13. Elle souligne l’incompatibilité fondamentale entre les entreprises d'État et la loi anti-monopole existante : ces entreprises sont créées par l'État pour intervenir sur le marché et non pour contribuer à la concurrence. En outre, l'article 7 de la loi anti-monopole oblige l'État à protéger les activités commerciales dans une économie socialiste de marché. Xu Xiaosong interprète cela comme une reconnaissance de la légitimité du statut monopolistique des entreprises d'État. Une étude publiée par l'Unirule Institute of Economics en 2012 évoque également le problème soulevé par l'article 714. Cette étude considère l'article comme absolument redondant (画蛇添足) et y voit une source de malentendus. À titre d’illustration, selon l’étude, le "monopole lié à des secteurs vitaux de l'économie nationale" ne devrait pas constituer une catégorie en soi. L'étude explique cependant, contrairement à ce qu’avance Xu Xiaosong, que d'un point de vue strictement juridique, la loi anti-monopole ne vient pas exempter le monopole de l’administration chinoise ; des mesures supplémentaires sont encore nécessaires pour briser les monopoles administratifs. Parmi ces mesures figure par exemple le retrait des entreprises d'État des secteurs à but lucratif.De 2008 à 2018, 164 cas d’ententes et 44 cas d’abus de position dominante sur le marché ont fait l’objet d’enquêtes et ont été traités.De 2008 à 2018, 164 cas d’ententes et 44 cas d'abus de position dominante sur le marché ont fait l'objet d'enquêtes et ont été traités15. Sur la question de la lutte contre les monopoles, la Chine a l'avantage d'être un retardataire (后发优势), ce qui lui permet de tirer les leçons de l'expérience d'autres pays et d'améliorer progressivement la mise en œuvre de son régime juridique16. 2018 a vu la création de l'Administration d'État pour la régulation du marché, qui relève directement du Conseil des affaires de l’État, le gouvernement chinois, et a pour mission les enjeux de l'application de la loi anti-monopole.Auparavant, le pouvoir d'application était réparti entre le ministère du Commerce, la Commission nationale pour le Développement et des Réformes et l'Administration nationale pour l'industrie et le commerce. Ces trois autorités étaient "apparemment en harmonie mais en réalité en désaccord" (貌合神离) en raison de différences ayant trait à leurs priorités et à leur domaine d’expertise respectifs17. De plus, compte tenu de leur niveau d'autorité, qui n'est jamais que celui d’un "bureau" (局), les trois autorités avaient tendance à "avoir du cœur mais à manquer de force (心有余而力不足)" lorsqu'elles devaient traiter avec certaines entreprises d'État d’un rang supérieur18. Pour le dire autrement, elles n'avaient pas le pouvoir d'interférer avec les activités de ces entreprises. Depuis sa création, en juillet 2019, l’Administration d'État pour la régulation du marché a publié trois règlements19 qui complètent la loi anti-monopole, en y apportant davantage de fonctionnalité et de transparence20.En plus de cette avancée, un amendement à la loi de 2008 est également en cours. La préparation de la version préliminaire est terminée et elle est désormais entrée dans une phase de consultation. Liu Zhicheng, chercheur à la Chinese Academy of Macroeconomic Research, souligne qu’il est urgent de mettre à jour la loi21, puisque sa version actuelle n’est plus en capacité de répondre à l’émergence de nouvelles formes de concurrence et de monopole. En outre, beaucoup d’industries sont encore très réglementées, ce qui restreint les investissements étrangers ; c’est le cas par exemple pour le pétrole, l'énergie et les communications. Le chercheur souligne que ces secteurs sont davantage concurrentiels dans les pays développés, ce qui amène une plus grande flexibilité sur les prix et davantage d'options de services. La réforme du marché chinois est insuffisante et en retard sur l'Europe et les États-Unis22. Rendre la loi anti-monopole plus efficace, en matière de volonté de mise en œuvre et d’application, doit être une priorité.Pour reprendre les termes que Xi Jinping a employés lors de son discours à la conférence du 40e anniversaire de la réforme et de l'ouverture de la Chine, ces deux mots symbolisent le réveil de la Chine, mais il reste encore un long chemin à parcourir23. Les efforts que mène la Chine pour créer des champions dans certains secteurs brouillent néanmoins les pistes : la Chine a-t-elle réellement l’intention de créer les conditions d’une concurrence équitable ? Ne cherche-t-elle pas plutôt à l’emporter sur ses concurrents mondiaux ? En cela, Peut-être que la publication de la version amendée de la loi anti-monopole sera peut être porteuse de davantage de clarté quant à l’orientation politique réelle recherchée par la Chine. Publication en intégralité 1Shi Jichun, "Anti-Monopoly Law and Socialist Market Economy《反垄断法》与社会主义市场经济," The Jurist, No. 1, 2008, http://www.cssn.cn/fx/fx_jjfx/201503/t20150311_ 1541380.shtml2Zhao Xin & Zhou Guohe, "The Anti-Monopoly Law Is a Milestone in China’s Economic System Reform 反垄断法是中 国经济体制改革的里程碑," Shenzhen Special Zone Press, 24 September 2019, http://theory.workercn.cn/244/201909/24/ 190924094841281.shtml 3"Deng Xiaoping and the Third Plenary Session of the 11th CPC Central Committee 邓小平与中共十一届三中全会," en.people.com, 23 January 2019, http://dangshi.people.com.cn/n1/2019/0123/c85037-30586524.html4Zhang Zhuoyuan, "The Two Main Lines of China’s Economic Reform 中国经济改革的两条主线," Social Sciences in China中国社会科学, No. 11, 2018 http://www.cssn.cn/zx/201908/t20190824_4961702.shtml5"Deng Xiaoping and the Third Plenary Session of the 11th CPC Central Committee 邓小平与中共十一届三中全会," en.people.com, 23 January 2019, http://dangshi.people.com.cn/n1/2019/0123/c85037-30586524.html6Zhang Zhuoyuan, "The Two Main Lines of China’s Economic Reform 中国经济改革的两条主线," Social Sciences in China中国社会科学, No. 11, 2018 http://www.cssn.cn/zx/201908/t20190824_4961702.shtml7Lin Yifu, "Achievements, Experiences and Challenges of China’s Economic Reform 中国经济改革的成就、经验与挑战," Economic Times, 29 December 2018, http://www.cssn.cn/ zm/201812/t20181229_4803850.shtml8"Exploration and Enlightenment of the Economic System over the Past 70 Years 70 年来经济体制的探索与启示," Economic Times, 16 September 2019, http://theory.people. com.cn/n1/2019/0916/c40531-31354094.html9Ibid.10Shi Jianzhong, "Tenth Anniversary of the AntiMonopoly Law: Effectiveness of Implementation and Direction for Strengthening 反垄断法十周年:实 施成效与强化方向," Guangming Daily, 29 July 2018, http://www.cssn.cn/jjx/jjx_gd/201807/t20180729_ 4512809.shtml11Wang Xiaozhang, "My Anti-Monopoly Law Research Path 我的反垄断法研究之路," Iolaw.org, https://www.iolaw.org.cn /showArticle.aspx?id=368712Zhao Xin & Zhou Guohe, "The Anti-Monopoly Law Is a Milestone in China’s Economic System Reform 反垄断法是中 国经济体制改革的里程碑," Shenzhen Special Zone Press, 24 September 2019, http://theory.workercn.cn/244/201909/24/ 190924094841281.shtml13Sun Jin & Zhang Tian, "Thoughts on the Application of the Anti-Monopoly Law to Monopoly of SOEs 关于《反垄 断法》对垄断国企适用问题的思考," Research on Rule of Law, No. 8, 2014, http://www.cssn.cn/fx/fx_jjfx/201410/ t20141008_1352808.shtml14"The Causes, Behaviors, and Termination of Administrative Monopoly in China 中国行政性垄断的原因、行为与破除," Unirule Institute of Economics, 2 August 2012, https://unirule. cloud/index.php?c=article&id=333415Shi Jianzhong, "Tenth Anniversary of the Anti-Monopoly Law: Effectiveness of Implementation and Direction for Strengthening 反垄断法修订要解决执法中最迫切问 题," Guangming Daily, 29 July 2018 http://www.gov.cn/zhengce/2018-11/17/content_5341255.htm16Shi Jianzhong, "Tenth Anniversary of the Anti-Monopoly Law: Effectiveness of Implementation and Direction for Strengthening 反垄断法十周年:实施成效与强化方向," Guangming Daily, 29 July 2018, http://www.cssn.cn/jjx/jjx_ gd/201807/t20180729_4512809.shtml17Ibid.18"Speeding Up the Merger of Three Anti-Monopoly Authorities 反垄断机构"三合一"全面提速," Xinhua, 25 May 2018, http:// www.xinhuanet.com/fortune/2018-05/25/c_1122886715.htm19Interim Regulation Prohibiting Monopoly Agreement(禁 止垄断协议暂行规定), Interim Regulation Prohibiting Conduct Abusing Dominant Market Positions (禁止滥用市场支配地位 行为暂行规定),Interim Regulation Preventing Conduct Abusing Administrative Rights to Eliminate or Restrict Competition(制 止滥用行政权力排除、限制竞争行为暂行规定)20"Three Supporting Regulations Are About to Be Implemented 三部配套规章实施在即," Xinhua, 12 July 2018, http://www. xinhuanet.com/fortune/2019-07/12/c_1210191674.htm21Ibid.22"Analysing China’s Economic System Reform and Economic Growth 浅析中国经济体制改革与经济增长," Modern Business Magazine, No. 3, 2019, http://www.xdsyzzs.com/ guanlizongheng/5022.html 23"Speech at the 40th Anniversary of Reform and Opening 在庆祝改革开放40周年大会上的讲话," Xinhua, 18 December 2018, http://www.xinhuanet.com/politics/leaders/2018-12/18/ c_1123868586.htm ImprimerPARTAGERcontenus associés 26/12/2019 China Trends #4 - La croissance chinoise : un second souffle ? 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