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04/10/2023

China Trends #17 - Sur les mers agitées de la sécurité économique

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China Trends #17 - Sur les mers agitées de la sécurité économique
 Mathieu Duchâtel
Auteur
Directeur des Études internationales, Expert Résident
 Marcin Przychodniak
Auteur
Analyste au sein du programme Asie-Pacifique du Polish Institute of International Affairs (PISM)
 Francesca Ghiretti
Auteur
Analyste au Mercator Institute for China Studies (MERICS)
 Pierre Pinhas
Auteur
Chargé de projets - Programme Asie
Introduction

Par Mathieu Duchâtel

Au sein de l'État sécuritaire que Xi Jinping est en train d’ériger, la sécurité économique est importante. Mais est-elle pour autant la pierre angulaire de la "sécuritisation de tout" qui caractérise le style de gouvernance du président chinois ? À première vue, elle n'est que l'un des 16 domaines listés dans le concept de "sécurité nationale globale" (总体国家安全) énoncé par Xi Jinping en 2014, et qui couvre un large éventail d’enjeux, de la culture à la "sécurité écologique". Lorsqu’il introduit pour la première fois la notion, au moment de la session inaugurale de la nouvelle Commission centrale de sécurité nationale, Xi Jinping qualifie la sécurité économique de "base" de l'approche globale de la Chine. En tant que telle, elle se situe en dessous du "fondement" (根本), qui n’est autre que la "sécurité politique", soit la préservation du système socialiste d’État-parti. Parmi les autres éléments énumérés, la sécurité militaire et la sécurité technologique sont présentées comme offrant des "garanties" (保障) à l’objectif fondamental de sécurité nationale. Quant aux autres domaines, comme la haute mer et l'espace, ils relèvent de champs d’action pour lesquels la sécurité politique de la Chine n’est pas nécessairement en jeu, mais où l’État-Parti souhaite défendre les intérêts chinois contre d’éventuelles menaces.

Xi Jinping qualifie la sécurité économique de "base" de l'approche globale de la Chine [...] en dessous du "fondement" (根本), [...] la "sécurité politique".

Le concept chinois de "sécurité nationale globale" a émergé à un moment critique du premier mandat de Xi Jinping. C’est en effet en 2014-2015, au moment de la préparation du 19e Congrès du Parti, que la primauté qu’il donnait à la sécurité nationale par rapport à tout autre sujet est devenue évidente. Depuis cette période, l’environnement international de la Chine s'est considérablement détérioré, en grande partie en réaction aux politiques décidées par Xi Jinping. L'un des facteurs de cette détérioration est la montée en puissance d’agendas de sécurité économique aux États-Unis, au Japon, en Europe et en Corée du Sud, qui contrarient la stratégie d'expansion internationale de la Chine.

Les stratégies de la plupart de ces pays ne mentionnent pas explicitement la Chine, un paravent pudique que l'UE qualifie de "country-agnostic", c’est-à-dire ne visant aucun État en particulier. Les États-Unis préfèrent le terme de "pays préoccupants" (Chine, Corée du Nord, Iran et Russie), une catégorie qui justifie des mesures spécifiques afin que "ces acteurs malveillants n'aient pas accès aux technologies de pointe qui pourraient être utilisées contre l'Amérique et ses alliés".

Que ces stratégies de sécurité économique l’assument ouvertement ou qu’elles se cachent derrière une rhétorique plus diplomatique, elles répondent toutes aux mêmes défis : 

  • l'influence excessive que la Chine tire de ses investissements dans les infrastructures critiques et son importance dans de nombreuses chaînes d'approvisionnement, soit des leviers qui lui ouvrent la voie à la possibilité d’une coercition économique ou à des restrictions d'accès aux matières premières critiques ; 
  • les fuites de technologies civiles vers des projets militaires ; 
  • et plusieurs enjeux liés aux conditions de concurrence inéquitables que crée le capitalisme d’État à la chinoise, adossé à des politiques industrielles fortes.


La sécurité économique fait l'objet de débats animés au sein de l'Union européenne. Certains affirment qu'en incorporant une composante sécuritaire dans les relations économiques avec la Chine, la Commission acquiert un pouvoir excessif aux dépens des gouvernements nationaux. D'autres critiquent une position trop défensive, qui comporterait des risques pour le marché unique européen, et se demandent dans quelle mesure l'agenda de la Commission européenne serait en réalité impulsé par les États-Unis.

Il y a moins de débats publics en Chine sur cette notion, sauf en ce qui concerne la résilience des chaînes d'approvisionnement. Il n’est en rien surprenant que personne en Chine ne puisse contester la priorité absolue accordée à la "sécurité politique" aux dépens de tout autre agenda, et la définition de la "sécurité économique" comme outil pour y parvenir. Positionner d'emblée la sécurité économique comme essentielle à la stabilité du régime écarte les questions que se posent les commentateurs dans les pays occidentaux, et en particulier le débat fondamental entre une approche européenne plus étroite, qui privilégie les enjeux liés aux technologies militaires et les risques de coercition, et une conception plus large, adoptée par les États-Unis et le Japon, centrée sur la compétitivité économique.

Il y a moins de débats publics en Chine sur cette notion, sauf en ce qui concerne la résilience des chaînes d'approvisionnement.

La primeur accordée par Xi Jinping à la sécurité nationale reflète le diagnostic du Parti selon lequel la "période d’opportunité stratégique", soulignée par tous les dirigeants chinois depuis Deng Xiaoping, est désormais terminée. Une nouvelle page, celle de "changements inédits depuis un siècle", s’est ouverte, avec son cortège de risques et d’incertitudes. Dans la "Nouvelle Ère" annoncée par Xi Jinping, on pourrait ajouter que la première priorité n’est plus la prospérité du peuple chinois mais plutôt la quête de puissance de l’État chinois sur la scène internationale.

Les débats chinois portent sur la mise en œuvre pragmatique de politiques efficaces.

Comme il n’est pas question de remettre en cause des priorités stratégiques clairement établies, les débats chinois portent sur la mise en œuvre pragmatique de politiques efficaces. La Chine est objectivement confrontée à des défis en matière de chaînes d'approvisionnement, mis en lumière par les restrictions américaines sur les semi-conducteurs. Comment y répondre ? Par une "intégration verticale", au sein de laquelle les principaux acteurs du marché tirent parti de leur taille pour construire un réseau de fournisseurs autonome, ou du moins un réseau à même de réduire les risques d’interruption de leurs chaînes d’approvisionnement.

Dans cette approche, les entreprises ont la responsabilité de mettre en œuvre une stratégie conçue par la direction du Parti. Certaines voix chinoises semblent en outre favorables à la constitution de stocks publics de matières premières essentielles, une approche régulièrement dénoncée en Europe car perçue comme un coûteux gaspillage de ressources.

En ce qui concerne les relations avec l'UE, les commentaires chinois s'écartent de l’élément de langage officiel selon lequel le "de-risking ne constitue qu’un découplage déguisé", comme énoncé dans un commentaire de Xinhua désormais célèbre. Depuis 2022, les initiatives diplomatiques se sont multipliées pour décrédibiliser l'agenda européen de "de-risking". Cette stratégie a trouvé son point culminant dans la visite en Allemagne du Premier ministre chinois Li Qiang qui, en présence de dirigeants d'entreprises allemandes, a pris soin de rejeter le concept et d’appeler toutes les parties à adopter une "approche dialectique de la question de la dépendance et à éviter de mettre sur le même plan interdépendance et insécurité".

Le message ici porté laisse entendre que l’Europe et la Chine sont capables de gérer conjointement leurs risques de dépendance mutuelle. Cet argumentaire chinois passe naturellement sous silence l'asymétrie du processus décisionnel entre la Chine et les démocraties européennes - la Chine de Xi Jinping a en effet un historique bien établi en matière de coercition économique, tandis que l'instrument anti-coercition de l'UE, nouvellement adopté en octobre 2023, exige l'épuisement de toutes les options diplomatiques avant que l'UE ne puisse recourir à des mesures de rétorsion défensives.

Depuis 2022, les initiatives diplomatiques se sont multipliées pour décrédibiliser l'agenda européen de "de-risking".

Les signaux chinois sont ainsi quelque peu contradictoires. D'une part, la Chine profite des visites des principaux dirigeants étrangers à Pékin pour obtenir des déclarations publiques contre le découplage. D'autre part, elle se félicite du rejet de celui-ci par l'Europe et se concentre sur la gestion des défis concrets que les politiques de "de-risking" de l’UE continuent à poser dans les échanges sino-européens. Pour la partie chinoise, la rationalité et la logique des initiatives européennes sont audibles, dans une certaine mesure. Après tout, le continent européen reste incroyablement plus ouvert à la Chine que ne l’est la République populaire aux Européens. 

La rationalité et la logique des initiatives européennes sont audibles, dans une certaine mesure.

En résumé, dans ses relations commerciales et d'investissement avec l'UE, la Chine cherche à minimiser l'agenda européen de "de-risking" et à promouvoir sa propre approche, centrée sur des mesures très fortes de sécurité nationale. C'est en substance ce que dit l'ambassadeur chinois auprès de l'UE, Fu Cong, lorsqu'il affirme que : "selon nous, la dépendance n'est pas dangereuse. Ce qui est dangereux, c'est d'armer cette dépendance. Si l'UE a la volonté politique de faire face à ses inquiétudes, la Chine est prête à discuter avec elle et à parvenir à une forme d’accord. Nous ne devons pas instrumentaliser les dépendances qu'une partie peut avoir sur l'autre".

La Chine, pourtant, instrumentalise ces dépendances et s'empresse de réduire la sienne à l'égard des fournisseurs étrangers. Si cette déclaration est sans doute insuffisante pour restaurer la confiance, elle a néanmoins le mérite de souligner que la tactique diplomatique de la Chine consiste à minimiser le problème.

Copyright Image : STR / AFP

La sécurité économique, au service de la sécurité nationale et de l’idéologie

Par Marcin Przychodniak

Sous l’impulsion de Xi Jinping, une réorientation politique est en cours, avec une priorité donnée à la "sécurité nationale" et non plus à la croissance. Marcin Przychodniak, analyste du Polish Institute of International Affairs (PISM), décrypte les discours officiels et les commentaires d'experts pour donner une définition plus claire de la sécurité économique chinoise. Décrivant dans un premier temps l’importance théorique de cette notion dans la littérature produite par le Parti, il constate ensuite que sa mise en œuvre pratique ne progresse que lentement. Cette lente progression est surtout visible dans les restrictions visant à limiter les contacts avec l’extérieur, à contrôler les exportations cruciales et les échanges avec l'étranger.

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Résilience des chaînes d’approvisionnement : une stratégie chinoise d’intégration verticale

Par Francesca Ghiretti

Si la "sécurité politique" constitue le fondement de la sécurité nationale de la Chine, la "sécurité économique" en est la base - voici en quelques mots la ligne officielle de Pékin à propos de cette notion qui fait couler beaucoup d’encre dans de nombreux pays. À travers le cas des véhicules électriques et du secteur pharmaceutique, Francesca Ghiretti explore la manière dont les commentateurs chinois appréhendent les enjeux de résilience des chaînes d’approvisionnement, et souligne l’accent mis par la Chine sur l’autosuffisance et la recherche d’une intégration verticale. En dépit de succès initiaux dans la réduction des dépendances du pays à l’égard des fournisseurs étrangers, il ressort des analyses chinoises un sentiment omniprésent de précarité et d’insécurité. 

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Lectures chinoises de la sécurité économique à l’européenne 

Par Mathieu Duchâtel et Pierre Pinhas

Comment la Chine devrait-elle répondre à la Stratégie de sécurité économique de l'UE ? Mathieu Duchâtel, directeur des études internationales de l'Institut Montaigne, et Pierre Pinhas, chargé de projets au sein du programme Asie, se penchent sur les analyses chinoises de ces "défis qui ne peuvent être ignorés", défis toutefois maîtrisables puisque le “de-risking” ne vaut pas découplage. Les sources chinoises cherchent à identifier les différences transatlantiques et intra-européennes sur ce qui est défini comme relevant de la sécurité économique, et il en existe, mais ces sources démontrent aussi une compréhension du virage de l'Europe vers un agenda plus protecteur des intérêts européens.

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À propos de China Trends

China Trends est une publication trimestrielle en anglais du programme Asie de l’Institut Montaigne. Chaque numéro est consacré à un thème unique et cherche à comprendre la Chine en s’appuyant sur des sources en langue chinoise. À une époque où la Chine structure souvent l’agenda des discussions internationales, un retour aux sources de la langue chinoise et des débats politiques - lorsqu’ils existent - permet une compréhension plus fine des logiques qui sous-tendent les choix de politiques publiques de la Chine.

China Trends #17 - Sur les mers agitées de la sécurité économique (en anglais) (20 pages)Télécharger
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