AccueilExpressions par MontaigneCe que pense l'Allemagne… des États-UnisL'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.03/11/2020Ce que pense l'Allemagne… des États-Unis Santé Villes et territoires EuropeImprimerPARTAGERAuteur Ronja Scheler Directrice du programme pour les Affaires Internationales à la Körber-Stiftung Auteur Joshua Webb Responsable du programme Politique Internationale à la Körber-Stiftung La présidence Trump a creusé un fossé entre les États-Unis et l’Europe. Celui-ci est particulièrement important en Allemagne, où les jeunes se détournent des États-Unis.On peut dire sans trop se mouiller que les Européens ne se sont jamais habitués à la présidence de Donald Trump. Ceci est particulièrement vrai de l’Allemagne, pays qui a pourtant longtemps été un des plus proches alliés des États-Unis en Europe mais dont la relation s’est considérablement dégradée depuis plusieurs décennies maintenant.En réalité, les relations politiques entre les États-Unis et l’Allemagne ont bifurqué. D’un côté, les deux administrations à Berlin et Washington continuent à travailler ensemble sur nombre de sujets. D’un autre côté cependant, les divergences relatives à l’importance des alliances ou à l’attachement au multilatéralisme, qui viennent s’ajouter à une longue liste de différends en matière de politique étrangère - allant de la politique commerciale aux dépenses militaires et à l’antipathie apparemment réciproque que se portent le Président Donald Trump et la Chancelière Angela Merkel - ont entraîné une perte de confiance mutuelle brutale qui transparaît dans les tweets, discours et choix politiques des deux côtés de l’Atlantique.Cependant, un autre indice du fossé qui s’est creusé entre Berlin et Washington pendant les quatre dernières années mouvementées - élément qui a reçu beaucoup moins d’attention - est la détérioration de la perception des États-Unis en Allemagne, reflet des dynamiques politiques actuelles. Prenez par exemple le chiffre suivant : en octobre 2016, 35 % des Allemands considéraient les États-Unis comme le plus important allié de leur pays en matière de politique étrangère. Quatre ans plus tard, ce chiffre a chuté à 10 % seulement. En octobre 2016, seulement 7 % des Allemands considéraient que les relations avec les États-Unis étaient un obstacle à la politique étrangère de leur pays. À la mi-novembre, c’est-à-dire quatre semaines et une élection présidentielle plus tard, ce chiffre était monté à 30 %. Depuis, ce sujet reste au cœur des préoccupations allemandes.Le président compte…Il est certain que Donald Trump explique en partie ce ressenti. Les données ressortant de l’enquête "Global Attitudes" du Pew Research Center montrent que l’attitude envers les États-Unis est corrélée avec l’image du président en poste : ainsi, l’attitude allemande vis-à-vis des États-Unis s’est détériorée tandis que l’image de George W. Bush chutait dans le pays et a connu un rebond sous la présidence d’Obama, à l’égard duquel 93 % des Allemands exprimaient de la confiance lorsqu’il a accédé au pouvoir en 2009.Il n’est donc pas surprenant que l’opinion vis-à-vis des États-Unis ait pâti de la présidence Trump. Un sondage réalisé pour le Berlin Pulse en septembre 2019 indiquait que 87 % des Allemands considéraient qu’une réélection de Trump serait mauvaise pour leur pays. Les Allemands ne sont pas les seuls : la confiance à l’égard du président américain sortant est au plus bas dans nombre de pays européens, une tendance aggravée par la gestion hasardeuse de la pandémie de Covid-19.Les Allemands semblent ne pas considérer l’alliance transatlantique comme stratégique.Cependant, la population allemande, au sein de laquelle seulement 26 % des personnes interrogées ont aujourd’hui une opinion favorable des États-Unis, est une des plus critiques d’Europe. Les États-Unis de Trump se portent mieux en France (31 %), en Espagne (40 %), au Royaume-Uni (41 %) et en Italie (45 %), tandis qu’en Pologne, où 79 % des sondés ont une opinion favorable des États-Unis, les quatre dernières années ne semblent pas avoir affecté l’opinion.…mais il existe aussi des problèmes structurelsCertains problèmes structurels participent aussi à creuser ce fossé entre l’Allemagne et les États-Unis, dont en particulier : le fait que les Allemands semblent ne pas considérer l’alliance transatlantique comme stratégique. Bien que la communauté d’experts et de professionnels de la politique étrangère allemande ne cesse de mettre l’accent sur l’OTAN par exemple, les Allemands ne sont toujours pas convaincus. En septembre 2019, seulement ils n’étaient que 52 % à considérer que les troupes américaines en poste dans le pays étaient un atout en matière de sécurité nationale, contre 85 % d’Américains de cet avis. Dans le même temps, seul un sondé sur cinq pensait que l’Allemagne devrait continuer à dépendre du bouclier nucléaire américain, avec une pluralité de sondés préférant l’option tout à fait irréaliste de s’appuyer sur la France et le Royaume-Uni (40 %) ou soutenant la position plutôt dangereuse de renoncer à avoir une protection nucléaire (31 %). Ceci signifie que le partenariat entre les États-Unis et l’Allemagne en matière de sécurité - longtemps un pilier de la politique étrangère allemande et qui reste aujourd’hui indispensable - ne peut s’appuyer sur le soutien de la population outre-Rhin.De plus, il y a des signes indiquant que les Allemands s’interrogent plus généralement sur l’appartenance de leur pays à un "occident" politique. Fin 2019, seule une courte majorité d’entre eux préférait que l’Allemagne demeure ancrée à "l’occident", tandis que 31 % des sondés défendaient l’adoption d’une politique étrangère neutre. Il est frappant de constater que le soutien à une politique étrangère "occidentale" était plus faible parmi les 18-34 ans.Cette tendance est confirmée par un autre sondage réalisé en avril 2020, en pleine pandémie. Dans celui-ci, presque autant d’Allemands indiquent penser que la relation avec la Chine est plus importante que celle avec les États-Unis (36 %) que l’inverse (37 %). Ce résultat, en soi déjà frappant (en septembre 2019, les sondés avaient à 50 % défendu la prééminence de la relation avec les États-Unis) confirment que ce sont bien les jeunes qui sont le moins attachés aux États-Unis : ils n’étaient que 35 % à juger la relation avec les États-Unis plus importante que celle avec Pékin, contre 46 % pensant l’inverse.Ce sont bien les jeunes qui sont le moins attachés aux États-Unis : ils n’étaient que 35 % à juger la relation avec les États-Unis plus importante que celle avec Pékin, contre 46 % pensant l’inverse.Le sursaut Biden ?Alors que l’élection américaine approche, quels changements pourrait-elle engendrer sur l’opinion allemande ?Il est certain que le transfert de pouvoir depuis un président républicain impopulaire vers un démocrate plus aligné avec l’opinion européenne améliorerait sûrement les sentiments envers les États-Unis. Cependant, une présidence Biden aurait peu d’influence sur les facteurs structurels cités plus haut. De plus, le fait que les jeunes, c’est-à-dire la partie de la population d’ordinaire la plus en phase avec le parti démocrate, soient les plus pessimistes au sujet des relations avec les États-Unis pourrait atténuer cet effet rebond.Une victoire du président Trump, à l’inverse, entraînerait les relations transatlantiques en territoire inconnu. Les décideurs allemands accéléreraient alors sans doute leurs efforts afin de créer une politique de sécurité européenne. Cependant, ces efforts ne pouvant s’avérer payant qu’à long terme, le fossé entre l’opinion publique et la politique étrangère allemande pourrait demeurer intact, voire se creuser encore davantage. Il existe un réel danger que les appels à défaire les liens transatlantiques, qui émanent pour l’instant des extrémistes populistes, ne se retrouvent un jour au centre de l’échiquier politique allemand. Avec l'aimable autorisation de IP Quarterly, où ce texte a été publié en anglais, le 01/10/2020.Copyright : Patrik STOLLARZ / POOL / AFPImprimerPARTAGERcontenus associés 27/10/2020 La relation transatlantique à l’épreuve de l’élection américaine Célia Belin Benjamin Haddad