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16/12/2019

Boris Johnson ou la démocratie triomphante

Boris Johnson ou la démocratie triomphante
 Dominique Moïsi
Auteur
Conseiller Spécial - Géopolitique

La victoire sans appel de Boris Johnson, même si elle doit conduire à une période difficile pour les Anglais, n'en reste pas moins une victoire de la démocratie. Alors que ses grands voisins européens, France et Allemagne, voient leurs leaders politiques mis en difficulté dans l'opinion ou dans la rue, Boris Johnson est aujourd'hui le dirigeant politique le plus en phase avec ses concitoyens en Europe.

"The People's Government". La formule presque française trône fièrement derrière Boris Johnson alors qu'il prononce son premier discours de candidat victorieux.

Comment expliquer  ce triomphe électoral ? Qui est vraiment Boris Johnson ? Quelles sont les conséquences pour l'Union européenne de l'émergence d'un Premier ministre fort en Grande-Bretagne ? Enfin, le résultat des urnes est-il une victoire pour le populisme, pour le nationalisme ou pour la démocratie ? Telles sont les principales interrogations auxquelles il convient de répondre "à chaud", sans le bénéfice du recul.

Tourner la page

"Si vous ne voulez plus entendre parler du Brexit, ne le faites pas", disait l'ancien Premier ministre britannique, Tony Blair. Les électeurs en ont décidé autrement. Ils ont suivi Boris Johnson dans la simplicité de son slogan de campagne : "Get the Brexit done". "BoJo" a compris que la majorité de ses concitoyens voulait avant tout tourner la page d'un débat, répétitif, chronophage, auquel ils ne comprenaient plus rien. Et tant pis si le pire reste à venir : la négociation avec l'Union européenne, les tentations séparatistes de l'Ecosse, renforcées par la victoire des nationalistes écossais, ou d'intégration de l'économie d'Irlande du Nord dans l'économie de la République d'Irlande. Dans l'étalage de ses divisions, de ses petitesses, le Parlement britannique - poussé sans doute délibérément à la faute par Boris Johnson - s'est en quelque sorte piégé lui-même. "Pouvons-nous revenir à nos séries télévisées préférées plutôt que de regarder le spectacle répétitif et ennuyeux à la longue d'une démocratie représentative incontrôlée ?" semblent avoir dit les Britanniques, tout au moins les anglais.

La volonté de tourner la page s'est imposée également avec le rejet du leader du Parti travailliste. Tout autant qu'un "oui" au Brexit et à Boris Johnson, le scrutin du 12 décembre est un "non" à  Jeremy Corbyn, à son anachronisme, à ses excès anticapitalistes, à ses silences et ses ambiguïtés devant les dérives antisémites d'une partie significative de son entourage. L'échec retentissant du parti Lib Dems est aussi celui de son leader Jo Swinson, qui n'a même pas été réélue en Écosse.

Johnson, plus complexe qu'il n'y paraît

Cette trompeuse victoire de la clarté a été incarnée par un homme, parfaitement britannique dans son excentricité, mais contenant - cela fait partie de son charme - une part de mystère.

Cette trompeuse victoire de la clarté a été incarnée par un homme, parfaitement britannique dans son excentricité, mais contenant - cela fait partie de son charme - une part de mystère.

En reprenant dans son discours de victoire une partie importante du programme social du Parti travailliste, Boris Johnson ne se situe pas dans la continuité de Margaret Thatcher, mais dans celle beaucoup plus modérée d'une autre grande figure du Parti conservateur, Michael Heseltine. En mettant l'accent sur la consolidation du système de santé, de l'éducation, des infrastructures, il parle comme le maire de Londres qu'il fût, adepte des grands travaux. Il se tourne aussi vers cet électorat du nord de l'Angleterre, cette "ceinture rouge ouvrière" qui l'a rejoint, pour punir le Parti travailliste de son ambiguïté sur la question du Brexit.

Que pense vraiment "BoJo" ? Quelles sont ses priorités ? Opportuniste, il a saisi la cause du Brexit pour arriver au pouvoir. Narcissique, son ambition principale est d'assurer sa place dans l'histoire aux côtés de ses grands modèles, au premier rang desquels Winston Churchill, bien sûr. Mais l'homme est plus complexe qu'il n'y paraît, plus généreux, plus émotif, plus capable de dévouement et de geste d'amitié gratuite. Pour aller à l'essentiel, en tant qu'homme Boris Johnson est une forme d'anti-Donald Trump. Le locataire de la Maison-Blanche a pu, profitant du décalage horaire, être le premier à le féliciter, à se réjouir des grandes choses qu'ils allaient désormais pouvoir faire ensemble, grâce à la relation spéciale reconstituée entre les "Anglo-Saxons". Mais la victoire de Boris Johnson n'est pas celle du populisme à la Trump, même si elle constitue un avertissement sévère pour l'aile gauche des démocrates américains. Certes pour parvenir et se maintenir au sommet "BoJo" a usé d'une rhétorique flirtant avec le populisme.

Victoire du nationalisme

Au plan européen la victoire sans appel de Boris Johnson intervenant au moment du déclin d'Angela Merkel, et de la remise en cause par la rue d'Emmanuel Macron en France, modifie l'équilibre des forces politiques. Il y a quelques semaines encore, la Grande-Bretagne apparaissait comme l'homme malade de l'Europe, une caricature d'elle-même. La mère des démocraties était devenue, à travers le spectacle de ses divisions et paralysies, l'illustration la plus spectaculaire de la crise de la démocratie représentative.

Aujourd'hui, par la magie d'un vote, Boris Johnson se trouve être le dirigeant politique européen le plus fort, le plus légitime aussi. Et ceci au moment où son pays s'apprête à quitter l'Union européenne.La victoire de Boris Johnson est un défi structurel, sinon existentiel, pour Bruxelles. En effet, si le triomphe de Boris Johnson n'est pas celui du populisme, il est - même s'il est peut-être trop tôt pour l'affirmer - celui du nationalisme.

Aujourd'hui, par la magie d'un vote, Boris Johnson se trouve être le dirigeant politique européen le plus fort, le plus légitime aussi.

C'est, pour l'Europe, une leçon d'humilité, et pour les nations qui la composent, un appel à l'ambition, qui s'applique tout particulièrement à notre pays la France. Emmanuel Macron peut-il tenir et l'emporter sur un slogan du type "Get the reforms done" ? Faisons les réformes et tournons la page. La comparaison est séduisante, mais sans doute trompeuse. Tourner la page du Brexit ce n'est pas l'équivalent d'intégrer la nécessité des réformes.

Il y a enfin l'enjeu symbolique et réel de la démocratie. Au moment où les Algériens boudent les urnes et où les citoyens de Hong Kong sont désormais dans la rue pour réclamer des avancées démocratiques, le vote de la Grande-Bretagne nous rappelle la justesse de la formule de Winston Churchill à propos de la démocratie : "le pire des systèmes à l'exclusion de tous les autres". Boris Johnson pourrait-il être le leader fort que les démocraties libérales attendaient ? Il faudrait pour cela, une fois n'est pas coutume, qu'il tienne enfin ses promesses et soit vraiment le Premier Ministre de tous les Britanniques, anglais, gallois et écossais, riches et pauvres. Vaste programme.

 

Avec l'aimable autorisation des Echos (publié le 16/12/2019)

 

Copyright : Ben STANSALL / POOL / AFP

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