AccueilExpressions par MontaigneBoris Johnson, l'antithèse absolue de Margaret ThatcherL'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.23/11/2020Boris Johnson, l'antithèse absolue de Margaret Thatcher Santé EuropeImprimerPARTAGERAuteur Dominique Moïsi Conseiller Spécial - Géopolitique Ils ont beau être du même bord politique, tout oppose Boris Johnson à sa célèbre prédécesseure Margaret Thatcher. La détermination de l'une souligne d'autant plus l'amateurisme de l'autre. Et si Johnson restera immanquablement dans l'histoire de la Grande-Bretagne, ce n'est pas forcément pour de bonnes raisons, écrit Dominique Moisi.La sortie récente de la saison 4 de la série The Crown - à la veille du départ de la Grande-Bretagne de l'Union européenne - repose la question de l'influence qu'exercent désormais les séries sur la politique contemporaine. Dans le cas d'espèce, il est difficile de ne pas voir dans cette évocation des "Années Thatcher" comme une critique implicite des "Années Johnson".Boris Johnson se voyait comme un second Winston Churchill, le héros dont il s'est fait le biographe. En réalité, à l'heure de The Crown, il apparaît comme l'antithèse absolue de Margaret Thatcher : "l'Homme de paille" (penser à la couleur de ses cheveux) contre la Dame de fer. Leurs chevelures respectives sont comme un parfait résumé du contraste entre leurs personnalités. La coiffure de Margaret Thatcher exprime une volonté de contrôle absolue sur elle-même. Celle de Boris Johnson (les mauvaises langues murmurent qu'il s'agit pour lui de masquer une calvitie grandissante) est censée, à l'inverse, traduire le non-conformisme, sinon l'excentricité propre aux élites sociales britanniques : la petite bourgeoisie méritante d'un côté, le membre des classes supérieures de l'autre.Amateurisme de JohnsonAutre différence majeure, le rôle de leurs partenaires respectifs. Denis Thatcher était au service absolu de son épouse. À l'inverse, ne dit-on pas à Londres que la compagne de Boris Johnson exerce une influence réelle sur les décisions prises au 10 Downing Street ? Autrement dit, l'évocation de Margaret Thatcher - de son esprit de décision dans la "Guerre des Falkland" à sa détermination à réformer en profondeur le pays - fait ressortir, au travers des épisodes de la série consacrés à la Dame de fer, les faiblesses, sinon l'amateurisme de l'actuel Premier ministre. Le contexte dans lequel sort la saison 4 de The Crown n'est pas, non plus, neutre.Leurs chevelures respectives sont comme un parfait résumé du contraste entre leurs personnalités : [...] la petite bourgeoisie méritante d'un côté, le membre des classes supérieures de l'autre.À quelques semaines du départ final de la Grande-Bretagne de l'Union, il existe certes chez mes interlocuteurs britanniques, comme la volonté de s'accrocher à un espoir de rationalité. Les prochaines semaines seront particulièrement difficiles, me disent-ils. On assistera à une montée des tensions. Chaque camp sera prêt à faire porter la responsabilité de l'échec sur la partie adverse. Mais au fur et à mesure que l'on se rapprochera de la date fatidique, la raison, et donc le compromis, l'emporteront sur l'émotion. Les deux parties - les Britanniques plus encore que les Européens - ont trop à perdre d'un départ sans accord.Mais cet optimisme est-il fondé ? Mes interlocuteurs d'aujourd'hui ne sont-ils pas ceux qui croyaient impossible hier la victoire du "oui" au référendum sur le Brexit ?Climat délétèreLa prudence s'impose d'autant plus, que, précisément, la gestion de Boris Johnson est tout sauf contrôlée, du Brexit au Covid. Le mot qui revient souvent est celui de "chaos". Tout se passe comme si le parti conservateur s'était substitué au parti travailliste dans l'étalage de ses divisions et contradictions. Le récent départ de Dominic Cummings, l'éminence grise de Boris Johnson, n'a été que la dernière et la plus spectaculaire illustration du climat délétère qui existe au sein du gouvernement et du parti conservateur. Au moment où l'opposition travailliste s'est enfin trouvée un leader compétent, modéré et responsable en la personne de Keir Starmer, c'est le parti conservateur qui se "désagrège". Mais les élections - sauf accident majeur - ne sont pas pour demain. Il peut se passer tant de choses en quatre ans.Sur le plan international, la défaite de Donald Trump est - au moins de manière symbolique - un revers pour Boris Johnson. Même s'il ne faut pas exagérer la proximité entre les deux hommes. En dehors de leurs penchants populistes (et de la couleur de leurs chevelures), ils sont profondément différents, tant sur le plan de leur culture, de leur éducation, que sur le fond. Le Britannique souffre de sa légèreté, l'Américain de sa "lourdeur".Ce qui affaiblit vraiment la position de la Grande-Bretagne aujourd'hui, ce n'est pas le départ de Trump de la Maison-Blanche. Mais celui de la Grande-Bretagne de l'Union européenne. Après le Brexit, Joe Biden sera encore plus tenté de regarder du côté de Berlin, et idéalement pour nous, Français, du côté du couple franco-allemand. Les cartes de la Grande-Bretagne dans le monde se réduisent comme une peau de chagrin. Comme un miroir grossissant, le Brexit fait ressortir ses faiblesses et ses limites intrinsèques.Elle ne peut rêver, comme on l'entend parfois, avoir l'Australie comme modèle commercial. Comme le remarquait Martin Wolf, dans une ses chroniques récentes du Financial Times, l'Australie n'exporte que 3 % de ses biens vers l'Union européenne. Le marché clé pour elle, c'est la Chine, qui compte pour 38 % de ses exportations. Dans le cas de la Grande-Bretagne, c'est exactement l'inverse : 46 % de ses exportations sont dirigées vers l'Union européenne.Une relation "spéciale" plus si spécialeCe qui affaiblit vraiment la position de la Grande-Bretagne aujourd'hui, ce n'est pas le départ de Trump de la Maison-Blanche. Mais celui de la Grande-Bretagne de l'Union européenne.Bref, l'heure de vérité approche pour la Grande-Bretagne. Sa relation "spéciale" avec les États-Unis n'est spéciale qu'à ses yeux. Vue de Washington, le Royaume-Uni n'est presque plus qu'un partenaire parmi d'autres - la Seconde Guerre mondiale a pris fin il y a soixante-quinze ans - loin derrière l'Union européenne ou même la seule Allemagne. En Asie, Londres devra choisir entre les principes, la défense de Hong Kong, et les intérêts. Peut-elle résister seule aux volontés de Beijing ? L'Europe a déjà du mal à faire front commun devant la Chine. Mais ensemble, surtout en matière de commerce, sinon de technologie, les Européens "font le poids". Tel n'est pas le cas de la Grande-Bretagne. Et son affaiblissement apparaîtra plus grand encore si l'Ecosse décide de quitter le Royaume-Uni.L'isolement à l'extérieur, la division à l'intérieur : tout indique que Boris Johnson - au même titre que Margaret Thatcher - entrera dans l'Histoire comme l'un des Premiers ministres qui a compté le plus dans l'histoire du pays depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Mais pas nécessairement pour les mêmes raisons. La première a "réveillé" (sans doute trop durement) le pays. Le second l'a "égaré" et affaibli. Avec l'aimable autorisation des Echos (publié le 21/11/2020).Copyright : Leon Neal / POOL / AFPImprimerPARTAGERcontenus associés 20/11/2020 Covid-19, deuxième round : la stratégie du Royaume-Uni pour éviter de nouve... Eva Thorne 02/10/2020 Le drame du Brexit n’est pas encore terminé Georgina Wright