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14/04/2017

[Anti-brouillard] Prudentes, optimistes, fantaisistes ou irréalistes  : les prévisions de croissance des candidats à la présidentielle

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[Anti-brouillard] Prudentes, optimistes, fantaisistes ou irréalistes  : les prévisions de croissance des candidats à la présidentielle
 Blanche Leridon
Auteur
Directrice Exécutive, éditoriale et Experte Résidente - Démocratie et Institutions

Prudentes, optimistes, fantaisistes ou irréalistes : les qualificatifs ne manquent pas pour décrire les prévisions de croissance des différents candidats. Tous se soumettent désormais à l'exercice : pas de programme sans prévision de croissance, pas de croissance sans un programme robuste pour la faire décoller.

Si la diversité des projets entraîne des écarts importants entre les différents candidats : de 1,6 % pour Benoît Hamon en 2022 à 2,5 % pour Marine Le Pen, leurs prévisions peuvent s’apprécier au regard des avis récents du Haut Conseil des finances publiques. Cet organisme indépendant placé auprès de la Cour des comptes a publié, mercredi 12 avril, un avis relatif aux prévisions macroéconomiques associées au programme de stabilité pour les années 2017 à 2020. La qualité de ces prévisions et l’indépendance des organismes qui les formulent sont un élément important de la sincérité des budgets et de la crédibilité de nos finances publiques.

Si le Haut conseil s’est prononcé sur les prévisions du gouvernement actuel, il donne néanmoins d’importantes clés d’analyse pour les prévisions formulées par chacun des candidats. Décryptage.

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Les prévisions de croissance des candidats sont toutes supérieures à celles de la Commission européenne


Le caractère "optimiste" d’une prévision peut se juger à l’ampleur des écarts par rapport à la prévision de la Commission européenne et aux derniers avis du Haut Conseil des finances publiques. Suivant cette clé de lecture, les prévisions de croissance des candidats peuvent toutes être qualifiées d’optimistes, dans la mesure où tous misent sur un excédent de croissance d’ici 2022. 

Certaines prévisions, celles de Marine Le Pen en premier lieu, suivies par celles de Jean-Luc Mélenchon et de  Benoît Hamon apparaissent difficilement réalisables, dans la mesure où elles généreraient un excédent de croissance d’une ampleur jamais atteinte depuis plus de 50 ans. Elles dépassent toutes les trois systématiquement le scénario de croissance du programme de stabilité d’avril 2016, pourtant qualifié de "fragile" (en particulier pour l’année 2019) par le Haut Conseil des finances publiques. De tels scénarios de croissance apparaissent aujourd’hui hors d’atteinte.

Les prévisions de croissance de François Fillon et Emmanuel Macron feraient apparaître un excédent de croissance à l’horizon 2022, de 1,4% du PIB pour les deux candidats : encore une fois, au vu des commentaires formulés par le Haut Conseil, il s’agit de prévisions optimistes, même si elles demeurent plus prudentes que celles des autres candidats. En effet, si ces deux prévisions sont compatibles à l’horizon 2020 avec le programme de stabilité d’avril 2017 publié par le Gouvernement, elles envisagent une poursuite en 2021 et 2022 de la dynamique de croissance inscrite dans le programme de stabilité jusqu’en 2020, à un rythme nettement supérieur au potentiel de croissance de la France à cet horizon.

Comment apprécier le caractère “optimiste” ou “prudent” d’une prévision de croissance ?


La mission du Haut Conseil des finances publiques consiste à examiner, de manière indépendante, les prévisions de croissance économique présentées par le Gouvernement, afin de prévenir tout biais trop optimiste sur la situation financière de la France.

 
Les prévisions de croissance de la France peuvent être appréciées à moyen terme par rapport à son "potentiel de croissance" : c’est à dire le taux de croissance qui serait atteint en cas d’utilisation optimale des ressources. L’écart cumulé de la croissance par rapport à son potentiel est appelé "écart de production". L’écart de production peut être positif ou négatif. Lorsqu’il est négatif, on parle de "déficit (ou retard) de croissance", comme ce fut le cas à la sortie de la crise de 2009. Lorsqu’il est positif, on parle d’"excédent de croissance", une situation que l’on n’a plus observée en France depuis la crise financière de 2008-2009.

Aujourd’hui, la plupart des économistes estiment que la France présente un retard de croissance qui pourrait se résorber dans les années à venir. Son ampleur est cependant incertaine, comme le relève la Cour des comptes dans son rapport annuel de janvier 2017 ou le Haut Conseil des finances publiques dans son avis d’avril 2017. La Commission européenne estime ce retard de croissance à 1,5 point à fin 2016, par rapport à la croissance potentielle.
 
En principe, à moyen terme, ce déficit de croissance devrait se résorber. C’est ce qu’anticipent, par exemple, les dernières prévisions du Gouvernement datées d’avril 2017. Le Haut Conseil des finances publiques a qualifié ce scénario de "raisonnable pour la construction de trajectoires de finances publiques".

Et ailleurs ?


L’impératif de crédibilité, de transparence et de sincérité des prévisions de croissance est partagé par de nombreux pays. C’est ce triple impératif qui a conduit la France à créer, en décembre 2012, le Haut Conseil des finances publiques. Bien avant la France, de nombreux pays ont fait le choix de confier ces prévisions à des organismes ou des commissions indépendantes afin de se prémunir contre des hypothèses économiques biaisées, irréalistes ou trop optimistes.

Le bureau d’analyse de la politique économique néerlandais, dont l’indépendance est garantie par une loi de 1945, propose par exemple deux scénarios économiques au gouvernement. Le premier correspond au taux de croissance économique que le bureau considère comme le plus vraisemblable, tandis que le second correspond à une prévision prudente du taux de croissance à retenir aux fins de la politique budgétaire. Le gouvernement applique le scénario prudent préférant, d’un point de vue politique, les bonnes surprises budgétaires aux mauvaises. Cet organisme estime par ailleurs de manière indépendante les coûts des programmes proposés par les candidats aux élections et les traduisent en termes de finances publiques. À titre de comparaison, en France, aucune institution publique ne réalise aujourd’hui ce type de chiffrage au sein de l’administration.


De son côté, le Royaume-Uni est doté d’un office pour la responsabilité budgétaire (Office for Budget Responsibility - OBR) qui est chargé de rendre un avis indépendant en matière de prévisions macroéconomiques et budgétaires à chaque proposition de budget soumise par le gouvernement. Cet office prévoit ainsi à la fois l’évolution probable de l’économie du pays, la soutenabilité à long terme des finances publiques, et la probabilité d’atteinte des objectifs du gouvernement quant à l’équilibre de celles-ci. L’OBR a enfin pour rôle de donner son point de vue sur le bilan (balance sheet) de l’État, et sur les coûts des pensions de retraite pour les agents du service public.

D’autres pays, comme l’Australie ou la Suède, se sont dotés de structures dont les missions dépassent aujourd’hui largement celles du Haut Conseil des finances publiques.

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