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07/06/2019

Travail pénitentiaire : où en sont nos voisins européens ?

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Travail pénitentiaire : où en sont nos voisins européens ?
 Clémence Alméras
Auteur
Chargée d’études - Énergie et développement durable

En avril dernier, Nicole Belloubet, la Garde des Sceaux, inaugurait la prison de la Santé à Paris. Elle a annoncé vouloir mettre en œuvre une politique de "régulation carcérale" qui passerait notamment par une amélioration de la sécurité dans les prisons surpeuplées, et par la réinsertion professionnelle des détenus. 

C’est sur ce deuxième volet que notre rapport Travail en prison : préparer (vraiment) l'après, de février 2018, a mis l’accent. Alors qu’un détenu formé ou ayant travaillé en prison diminue de près de moitié ses risques de récidiver et renforce ses perspectives de réinsertion, nous proposions des solutions concrètes pour accompagner au mieux le détenu dans la préparation de sa sortie. Cela passe nécessairement par un engagement plus fort des entreprises et une amélioration de la gouvernance du travail pénitentiaire. En effet, malgré ses bénéfices avérés, le travail en détention, passé dans la loi d’une obligation à un droit depuis 1987, est rapidement devenu un privilège en France. 

Qu’en est-il chez nos proches voisins européens ? L’Allemagne, l’Italie et l’Espagne font-ils mieux que nous en termes de formation professionnelle, de protection sociale, et de réinsertion dans la vie civile des prisonniers ?

Allemagne : un droit du travail des détenus reconnu malgré des disparités régionales

En Allemagne, depuis la loi du 16 mars 1976 sur l'exécution des peines, les détenus sont obligés de pratiquer une activité adaptée à leurs compétences, et ce en vue de se réinsérer dans la société. Néanmoins, la gestion des prisons allemandes étant décentralisée, la disparité des règles entre les établissements pénitentiaires dans l’ensemble du pays est grande. Ainsi, quatre Länders ont supprimé la clause rendant obligatoire le travail en prison. 

Néanmoins, certains Länders mettent en place des pratiques visant à favoriser la réinsertion des détenus dans la société une fois leur peine exécutée, et ce à travers une formation qui corresponde le plus possible à leurs appétences et/ou compétences. C’est le cas notamment de la Basse-Saxe, exemple édifiant s’il en est puisque la période obligatoire dans le service de la prison y est de trois mois maximum par an, sans compter les formations dispensées en cas de non-disponibilité d’activités productives au sein de la prison, notamment pour les jeunes.

Les détenus allemands sont obligés de pratiquer une activité adaptée à leurs compétences, et ce en vue de se réinsérer dans la société.

Pour ce qui est de la rémunération de ces travaux pénitentiaires, ils le sont obligatoirement, bien que le salaire reste inférieur à la rémunération minimum (entre 8 à 15€ par jour) en vigueur en Allemagne. Ce salaire varie également en fonction du type d’activité effectuée ainsi que de l’efficacité du détenu. Enfin, à l’inverse d’autres Länders, un travailleur dans une prison en Basse-Saxe est assuré en cas d’accident du travail et bénéficie d’une assurance-chômage.

Par ailleurs, le management des emplois pénitentiaires en Basse-Saxe est mixte : il peut être encadré par l’administration pénitentiaire ou bien par des entreprises privées (les employeurs sont à 61 % des compagnies privées, à 25 % l’administration pénitentiaire et à 14 % d’autres organismes publics). En revanche, le matériel et les ressources nécessaires aux installations de production sont achetés de manière centralisée par l'administration pénitentiaire. Enfin, les prisons de Basse-Saxe sont gérées par une entreprise d’Etat, la JVAV (Justizvollzugsarbeitsverwaltung ou Administration pénitentiaire du travail). Celle-ci dispose de son propre capital et sa structure correspond à celle d’une entreprise commerciale. Depuis février 2001, un magasin en ligne propose même des produits fabriqués dans les usines des prisons de ce Länder et sous contrôle central du JVAV.

Espagne : une "relation spéciale de travail" avec l’administration pénitentiaire pour les détenus

L’article 25 de la Constitution espagnole de 1978, qui s’applique partout sauf en Catalogne, garantit à tout détenu le "droit à un travail rémunéré et aux prestations correspondantes de la Sécurité sociale, ainsi qu'à l'accès à la culture et au plein épanouissement de sa personnalité". Le Travail Pénitentiaire et Formation pour l’Emploi (Trabajo Penitenciario y Formación para el Empleo), sous l’autorité du Ministère de l’Intérieur, est l’institution qui organise et contrôle le travail des détenus. Par ailleurs, les entreprises privées sous contrat qui interviennent en prison sont régulièrement contrôlées par cet organisme.

Contrairement à la France, que l’on peut juger en retard sur la question, l’Espagne a établi, par un décret royal de 6 juillet 2001, queles détenus qui font des activités productives bénéficient d’une "relation spéciale de travail" avec l’administration pénitentiaire. De plus, les détenus ont accès à des formations nombreuses et variées, mises à jour annuellement dans un plan de formation pour l’emploi et l’insertion professionnelle publié par le Travail Pénitentiaire et Formation pour l’Emploi.

L'Espagne a établi [...] que les détenus qui font des activités productives bénéficient d’une "relation spéciale de travail" avec l’administration pénitentiaire.

Dans le plan 2019, aux formations déjà mises à la disposition des prisonniers s’ajoutent par exemple la possibilité de suivre une formation de sauvetage aquatique - uniquement dans les prisons dotées de piscine(s) - ou une autre pour obtenir des compétences numériques de base. C’est grâce à une liste publiée par l’administration pénitentiaire que les détenus sont mis au courant des postes disponibles et peuvent ainsi y postuler. La sélection se fait ensuite sur plusieurs critères comme la disposition à travailler, le comportement, le temps passé en prison, les responsabilités familiales, etc.

Italie : longtemps mauvais élève, en voie de rédemption grâce à des initiatives vertueuses

En Italie, le travail des détenus est rendu obligatoire par l’article 20 de la loi pénitentiaire de 1975. Néanmoins, l’Italie fut longtemps mauvaise élève en termes de traitement des prisonniers. Elle a, depuis peu, mis en place des initiatives innovantes et des pratiques plus respectueuses des droits des détenus suite à de nombreuses dénonciations des conditions déplorables de ses prisons. 

En termes de travail carcéral, une réforme législative de 1993 a de nouveau permis aux entreprises privées d’entrer en prison pour fournir du travail aux détenus. Le directeur régional de l'administration pénitentiaire peut ainsi confier, dans le cadre d'un contrat de travail, le soin de la direction technique des tâches à des personnes extérieures à l'administration pénitentiaire et déléguer l’emploi des détenus à des entreprises privées ou des coopératives. Il s’agit d’une réelle avancée en termes de droit du travail puisque le droit commun (i.e. couverture sociale, congés, allocations au chômage, etc.) s’applique aux détenus qui sont employés par des structures extérieures, comme l’explique Philippe Auvergnon dans son ouvrage Droit du travail en prison, d’un déni à une reconnaissance. De plus, en 2017, l’administration s’est alignée sur la loi relative à la rémunération des prisonniers : un détenu qui est employé par l’administration pénitentiaire - et non par une coopérative ou une entreprise privée - doit désormais pouvoir toucher au minimum ⅔  du salaire reconnu par les conventions collectives du domaine. Résultat : en 2017, c’était 30,9 % des personnes détenues qui avaient un travail en Italie, selon les chiffres officiels du ministère de la Justice.

En 2017, c’était 30,9 % des personnes détenues qui avaient un travail en Italie.

Par ailleurs, en 2014, l’État italien a également mis en place des centres universitaires au sein de ses prisons grâce à des contrats établis avec certaines universités et établissements pénitentiaires, permettant ainsi à des professeurs de venir enseigner dans certaines prisons. Ces dernières s'occupent également de la formation spécifique des détenus et contribuent à l'amélioration de l'efficacité de l'organisation du travail.

Autre initiative qui a fait parler d’elle, le consortium Giotto à Padoue, une coopérative qui emploie 150 détenus (parmi les plus de 600 qu’abrite la prison) dans différents ateliers (réparation de vélos, numérisation de documents pour des sociétés, etc.). Parmi eux, une pâtisserie, au sein même de la prison, qui a tant gagné en renommée que même le Pape François s’y fournit en panettone ! Non seulement les 150 détenus employés par la coopérative ont un contrat qui leur assure un salaire égal à celui qu’ils auraient à l’extérieur mais il leur garantit aussi l’accès à l’arrêt maladie, au chômage et au droit de grève.

 

Copyright : KENZO TRIBOUILLARD / AFP

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