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20/10/2021

Traduire l’engagement en action, condition de réussite de la COP26

Traduire l’engagement en action, condition de réussite de la COP26
 Benjamin Fremaux
Auteur
Expert Associé - Énergie
 Marin Gillot
Auteur
Ancien chargé d’études

L’Europe est aujourd’hui confrontée à une flambée spectaculaire des prix de l’énergie. En France, le tarif réglementé de vente du gaz naturel (TRVG) a augmenté de 57 % depuis le 1er janvier 2021. Les prix de l’électricité et du carburant ont également connu d’importantes hausses. Face à cet energy crunch, le gouvernement a récemment adopté une série de mesures visant à protéger les consommateurs des hausses1 de prix : revalorisation du chèque énergie et gel des tarifs réglementés de vente du gaz sur la période de chauffe, qui a débuté au mois d’octobre. Pourtant, ces annonces ne font que retarder l’inévitable. 

En effet, la tension observable sur les marchés de l'énergie au niveau international jette une lumière crue sur le retard pris dans la transition de nos économies vers un monde post-carbone. La diminution progressive de la part des énergies fossiles dans les mix énergétiques nationaux implique immanquablement une hausse des prix de celles-ci pour y substituer des énergies bas-carbone. Aussi, la crise énergétique actuelle doit-elle servir de signal d’alarme à quelques jours de l’ouverture de la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP26) à Glasgow. Il convient aujourd’hui d’aller au-delà des engagements non-contraignants. En lieu et place, cette nouvelle conférence devra marquer un tournant vers une gouvernance mondiale de la question climatique fondée sur l’action.

Énergie : l’heure de vérité

L’envolée actuelle des prix de l'énergie relève d’un phénomène mondial. Le prix du gaz, en particulier, a été multiplié par quatre en à peine six mois à travers le Vieux Continent. Certains pays ont été particulièrement affectés, à l’instar de l’Italie qui devrait connaître une hausse de 30 à 40 % des prix du gaz et de l’électricité au trimestre prochain. En dépit des mesures gouvernementales, la France fait aussi partie des pays les plus violemment touchés, avec une facture qui atteint les 1 482 euros par an TTC pour un ménage chauffé au gaz et disposant d’un contrat au TRVG au mois d’octobre. Les causes de cette crise sont multiples et internationales, ce qui laisse peu de marge de manœuvre à l’Union européenne.

Cette situation devrait avoir de graves répercussions. Bien sûr, il existe un risque de freinage brutal de la reprise économique, alors que la part des dépenses contraintes augmente dans le budget des ménages et que les entreprises voient leurs coûts sensiblement augmenter. Plus grave encore est le risque de crise sociale que laisse planer cet energy crunch. 20 % des ménages2 déclarent avoir déjà souffert du froid au sein de leur logement et pendant au moins 24 heures en 2021, un chiffre encore susceptible d’évoluer avec les récentes hausses de prix.

La volatilité actuelle des prix des énergies fossiles devrait plutôt favoriser une réflexion sur la manière d'accélérer la décarbonation du continent. 

Aussi, les réponses gouvernementales ne se sont pas faites attendre. En France, où le souvenir de la crise des "gilets jaunes" reste prégnant, Jean Castex a annoncé un gel des tarifs réglementés de vente du gaz accompagné d’un plafonnement de la hausse des prix de l’électricité. Ce "bouclier tarifaire" vient s’ajouter à la revalorisation du chèque énergie à hauteur de 100 euros pour décembre 2021. En Espagne et en Italie, comme dans le reste de l’Europe, les mesures se multiplient pour atténuer la hausse des prix et alléger la pression exercée sur les ménages les plus modestes.

Ces mesures s’attaquent pourtant au symptôme plutôt qu’à la cause, alors que le risque d’une hausse brutale des prix de l’énergie était prévisible. 

La situation est ainsi paradoxale. À l’heure où l’impérieuse nécessité de lutter contre le dérèglement climatique motive une décarbonation rapide de l’économie mondiale, les gouvernements nationaux se retrouvent à financer indirectement et directement l’achat d’énergie fossile. L’abandon du charbon, du pétrole et du gaz au profit d’un mix énergétique plus durable se traduira nécessairement, dans un premier temps, par une hausse globale des prix de l’énergie. Or, le monde politique se refuse à affronter cette réalité. Au lieu de justifier la réouverture de certaines centrales à charbon et une critique renouvelée des énergies renouvelables, la volatilité actuelle des prix des énergies fossiles devrait plutôt favoriser une réflexion sur la manière d'accélérer la décarbonation du continent. 

La COP26, qui débutera le 31 octobre, se déroulera dans un contexte de crise énergétique mondiale. Elle ne saurait être une COP d’engagements, aussi ambitieux soient-ils. Au contraire, elle devra marquer un tournant dans la gestion internationale de la question climatique : après le temps de la prise de conscience et le temps des engagements, le temps de l’action concertée est venu.

Une COP26 sous le signe de l’action

En 2015, la signature de l’Accord de Paris marquait un tournant au niveau international. Les 195 pays présents décidaient alors de limiter le réchauffement climatique "bien en deçà" de + 2°C, et les pays les plus riches s'engageaient à atteindre une aide au pays dits "en développement" de l’ordre de ​​100 milliards de dollars annuels en 2020. L’heure n’était plus au débat autour de l’origine anthropique du changement climatique, et ce déjà depuis la parution du premier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) en 1990, mais bien à l’engagement international en faveur d’une réduction durable des émissions de gaz à effet de serre. Les mouvements citoyens survenus en parallèle, à l’instar des marches pour le climat initiées par Greta Thunberg en 2018, devaient venir confirmer le soutien de la société civile à une action rapide sur la question climatique. 

Six ans après, l’héritage de l’Accord de Paris apparaît bien maigre. Seule la Gambie est en chemin pour respecter les engagements pris en 2015, et les 100 milliards promis aux pays les plus pauvres n’ont pas été investis. La France ne fait pas figure de bonne élève en la matière, puisque nous ne sommes que 18ème au classement de l’Indice de Performance Climatique (IPC), qui se base sur les efforts fournis dans la protection du climat.

L’urgence climatique est bien réelle, non plus au futur mais désormais au présent.

Si la récente entrée de la Turquie dans l’Accord et les annonces de Xi Jinping en faveur d’une taxation carbone attestent de la progression continue du consensus sur la nécessité de décarboner l’économie mondiale, les actes ne suivent qu’encore trop rarement.

L’urgence climatique est bien réelle, non plus au futur mais désormais au présent. Aussi, la COP devra-t-elle se réinventer. Elle devra évidemment rompre avec une tradition d’engagements non tenus. Il ne convient d’ailleurs plus de surveiller les engagements pris individuellement, mais plutôt de réfléchir aux actions communes à mettre en œuvre. La situation énergétique actuelle offre, à ce titre, une première grande opportunité. Les économies mondiales doivent s’affranchir des énergies fossiles et agir en faveur de la décarbonation : le forum de discussion qui s’ouvre à elles doit en être l’occasion. C’est à ce prix seulement que nous pourrons qualifier la COP26 de réussite. 

Du côté du pétrole, le Brent et le WTI ont conclu la semaine dernière leurs sixième et huitième semaines de hausse hebdomadaire : quand le baril s’échangeait à 51 dollars sur la place de Rotterdam en janvier, il atteignait 85 dollars au 18 octobre. L’électricité aussi a connu une forte hausse : sur le marché spot, le prix du mégawattheure a dépassé les 160 euros à la mi-septembre.

Cette année, les dépenses en gaz et électricité représentent 8,5 % du budget annuel des ménages.

 

 

Copyright : ZINYANGE AUNTONY / AFP

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