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04/05/2020

Tensions croissantes autour du statut d’autonomie de Hong Kong

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Tensions croissantes autour du statut d’autonomie de Hong Kong
 Sebastian Veg
Auteur
Professeur d'histoire intellectuelle de la Chine du XXe siècle à l'EHESS

Cet article a été mis à jour le 11 mai

Après les manifestations massives de 2019 contre le projet de loi d’extradition proposé par le gouvernement hongkongais (retiré le 4 septembre) et contre les violences policières (bien documentées par la presse et par diverses ONG, quoique démenties par le gouvernement de Hong Kong), la victoire écrasante des forces pro-démocratie aux élections de district de novembre a permis une relative désescalade. Même si la crainte de l’épidémie (les premiers cas apparaissent à Hong Kong fin janvier) n’a pas complètement mis fin aux manifestations (les personnels soignants ont notamment fait grève pour exiger la fermeture de la frontière terrestre avec la Chine), les considérations politiques ont un temps paru passer au second plan.

S’engage une bataille dans laquelle les démocrates nourrissent l’espoir de conquérir un siège supplémentaire par rapport à 2016 dans chacune des circonscriptions géographiques, et un ou deux sièges de plus dans les secteurs socioprofessionnels. 

La prochaine échéance importante est celle des élections législatives, prévues en septembre 2020. Les démocrates ont placé de grands espoirs dans ces élections, qui se déroulent dans deux collèges. Trente-cinq sièges sont élus au suffrage universel direct par scrutin proportionnel dans cinq circonscriptions géographiques. Mais chaque électeur dispose aussi d’une seconde voix : 30 sièges sont élus par secteur socioprofessionnel, et les 5 "super-sièges" restants sont élus à la proportionnelle intégrale dans l’ensemble du territoire par tous les électeurs qui ne votent pas pour l’un des secteurs socioprofessionnels (peuvent candidater aux "super-sièges" seulement les élus des conseils de district). Si les démocrates ont remporté une victoire serrée dans le collège des sièges par circonscription en 2016 (19 sièges sur 35), ils n’ont jamais réussi à percer dans le collège socioprofessionnel (7 sièges sur 30 en 2016, ainsi que 3 "super-sièges" sur 5).

Entre-temps, l’exécutif de Hong Kong s’est mis à "disqualifier" des élus sous prétexte de non-respect de leur serment de prise de fonction, si bien que sur les 29 élus démocrates de 2016, seuls 24 siègent encore au Parlement. S’engage donc une bataille dans laquelle les démocrates nourrissent l’espoir de conquérir un siège supplémentaire par rapport à 2016 dans chacune des circonscriptions géographiques, et un ou deux sièges de plus dans les secteurs socioprofessionnels. 

En parallèle, Pékin a également tiré la leçon des manifestations de 2019, d’abord en adoptant un paragraphe consacré à Hong Kong dans la résolution du 4e plénum du 19e comité central qui s’est tenu en novembre 2019. Ce paragraphe réaffirme les grandes lignes de la politique de Pékin : sa "souveraineté exhaustive" (comprehensive jurisdiction) sur Hong Kong et la nécessité de transposer en droit local les atteintes à la sûreté nationale (en vertu de l’article 23 de la Basic Law, qui n’a jamais pu être mis en œuvre). Cette décision précède un remplacement en janvier 2020 des deux principaux responsables pour Hong Kong à l’intérieur du système du Parti-État : le directeur du Bureau des Affaires de Hong Kong et Macao du Conseil des Affaires de l’État, Zhang Xiaoming, est remplacé par Xia Baolong, et le directeur du Bureau de Liaison du gouvernement central à Hong Kong, Wang Zhimin, est remplacé par Luo Huining, un cadre extrêmement chevronné pour le poste qu’il occupe et réputé jouir de la confiance de Xi Jinping. La première tâche de Luo Huining est certainement d’empêcher à tout prix un nouveau succès de l’opposition aux élections législatives, et plus généralement de mettre en œuvre la résolution du 4e Plénum.

Alors que, à la mi-avril, Hong Kong sort petit à petit d’une période d’activités restreintes (mesures anti-épidémie), une série d’interventions du camp pro-Pékin suscitent une inquiétude croissante sur l’avenir du statut d’autonomie de Hong Kong. À partir du 13 avril, les autorités centrales, d’abord le Bureau des Affaires de Hong Kong et Macao (le jour même), puis le Bureau de Liaison (le 14 avril) publient des communiqués s’en prenant aux députés démocrates qui paralysent la commission des affaires parlementaires (House Committee) du Conseil législatif, passage obligé pour tous les projets de loi. Ils s’en prennent en particulier au démocrate Dennis Kwok, représentant du secteur juridique, président par intérim de la commission, qui autorise toutes les prises de paroles, empêchant l’élection d’un président de commission depuis six mois, et retardant d’autant l’adoption de toutes les lois. Pékin l’accuse d’enfreindre son serment et affirme que les démocrates prennent en otage le Parlement. Au centre de leurs préoccupations se trouve une loi sur la protection de l’hymne national chinois, qui a été ajoutée à l’annexe III de la loi fondamentale de Hong Kong en 2017 (où figurent les quelques lois nationales qui s’appliquent à Hong Kong). Cette loi devant ensuite être traduite en droit local, le gouvernement de Hong Kong a soumis début 2019 un projet de loi au Parlement, qui fait l’objet du blocage.

Cette intervention de Pékin s’est télescopée avec deux autres incidents. Le 15 avril, journée de la sécurité nationale dans toute la Chine, Luo Huining, le directeur du Bureau de liaison est intervenu (avec d’autres personnalités pro-Pékin) pour souligner que Hong Kong devait renforcer son arsenal juridique contre les atteintes à la sécurité nationale et que chaque habitant devait lutter contre les forces étrangères cherchant à déstabiliser la Chine. Il relance ainsi le débat sur la volonté de Pékin de légiférer sur l’article 23 (faire adopter en droit local le crime d’atteinte à la sûreté de l’État). Simple coïncidence, peut-être, le même jour l’agence Reuters publie un article se faisant l’écho de l’inquiétude des juges hongkongais devant la pression exercée par Pékin sur le système juridique. Cette inquiétude est liée au départ à la retraite début 2021 du Chief Justice Geoffrey Ma, personnalité libérale très respectée, et son remplacement probable par Andrew Cheung, réputé plus proche de Pékin, obligeant Ma à un démenti formel.

Au centre de leurs préoccupations se trouve une loi sur la protection de l’hymne national chinois, qui a été ajoutée à l’annexe III de la loi fondamentale de Hong Kong en 2017. 

Le 18 avril, 15 personnalités politiques démocrates sont arrêtées chez elles, puis relâchées sous caution, accusées d’avoir participé à des manifestations non-autorisées pendant le mouvement anti-extradition. Si ces arrestations, qui font suite à d’autres, étaient attendues (elles correspondent à une mise en examen décidée par le parquet, qui est directement sous les ordres du gouvernement, le juge ne statuant sur le fond que lors du procès), leur mise en scène et le choix des personnalités mises en cause semble découler d’une volonté d’intimider l’opposition. Parmi ces personnalités figurent des leaders historiques du camp démocrate comme Martin Lee ou Margaret Ng ainsi que des personnalités politiques plus jeunes ; plusieurs d’entre eux ont également été pris pour cible par Pékin pour leurs tournées en quête de soutiens politiques aux États-Unis ou en Europe. 

Le débat sur les interventions de Pékin connaît alors une brusque escalade. Accusé d’avoir manqué à ses devoirs de parlementaire, Dennis Kwok (avec d’autres) rappelle qu’en vertu de l’article 22 de la Basic Law, aucun département du gouvernement central n’est censé "intervenir" dans les affaires politiques internes de Hong Kong (à l’exception des questions militaires ou diplomatiques qui relèvent du gouvernement central). Le Bureau de Liaison répond alors en réaffirmant qu’il n’est pas un "département" du gouvernement central mais qu’il représente le gouvernement central lui-même pour assurer la "supervision" de Hong Kong et la bonne marche de la formule "un pays deux systèmes". Le gouvernement hongkongais, mis dans l’embarras, publie trois communiqués successifs le dimanche 19 avril (le dernier tard dans la nuit à lundi), se contredisant lui-même sur le statut du Bureau de liaison, et la question de savoir s’il est encadré par l’article 22, pourtant cité dans le décret publié en l’an 2000 établissant les statuts du Bureau de Liaison en droit hongkongais (mais pas dans la décision correspondante du Conseil des Affaires de l’État en droit chinois). 

L’association du Barreau de Hong Kong et les juristes pro-démocrates comme Johannes Chan dénoncent une interprétation arbitraire de la Basic Law, avec de graves effets pour l’autonomie de Hong Kong, alors que des personnalités pro-Pékin comme l’ancien chef de l’exécutif C.Y. Leung ou le juriste Albert Chen, membre du Basic Law Committee, soulignent que, selon l’article 12 de la Basic Law, Hong Kong est une région administrative spéciale subordonnée directement au gouvernement central, et critiquent la "crise constitutionnelle" provoquée par l’opposition au parlement. Enfin, le 21 avril, les Bureau des Affaires de Hong Kong et Macao du Conseil des Affaires de l’État à Pékin publie trois nouveaux communiqués, l’un pour défendre son droit de supervision sur Hong Kong, un second pour apporter son soutien à la police de Hong Kong et aux arrestations du 18 avril (s’en prenant nommément à Martin Lee et Jimmy Lai pour avoir rencontré des élus américains), et un troisième pour accuser une nouvelle fois nommément Dennis Kwok. Quatre ministres hongkongais sont remerciés – sur l’ordre de Pékin, affirment certains.

Quatre ministres hongkongais sont remerciés – sur l’ordre de Pékin, affirment certains.

Le ministre des affaires constitutionnelles Patrick Nip, responsables des communiqués contradictoires du 19 avril, est remplacé par le directeur du bureau de l’Immigration Erick Tsang, qui s’est distingué par les interdictions croissantes d’entrée sur le territoire signalées aux personnalités que Pékin juge indésirables.

Cette saga a connu son dénouement le 8 mai, quand les membres pro-Pékin du comité des affaires parlementaires ont mis fin aux manœuvres de retardement des démocrates. La présidente sortante de la commission, Starry Lee, s’appuyant sur un avis juridique contesté, a affirmé détenir le pouvoir de faire voter la commission sur les affaires urgents en cours même avant l’élection d’un nouveau président. Ayant fait expulser de la chambre les membres démocrates qui protestaient bruyamment, elle a fait approuver 14 projets de loi en cours, y compris celui sur l’hymne national, qui pourront poursuivre leur parcours législatif. Rétrospectivement, l’ire de Pékin semble avoir eu pour but principal de pousser les forces pro-Pékin au parlement à tout mettre en œuvre pour que la loi sur l’hymne national puisse être adopté avant la fin de la session parlementaire.

Il est certes un peu tôt pour tirer des conclusions définitives de ces remous. Les accusés auront l’occasion de se défendre devant un juge. Dennis Kwok a fait savoir qu’il s’attendait à être "disqualifié" de son statut de parlementaire mais une procédure via les tribunaux ne serait sans doute pas tranchée avant les élections. Pour l’heure, on peut conclure que Pékin ne craint pas de tirer les conséquences pratiques du 4e Plénum et de mettre en œuvre sa "souveraineté exhaustive" sur Hong Kong, notamment en intervenant ouvertement dans les questions de politique intérieure, même en revendiquant sa légitimité à le faire. De même, Pékin ne craint pas de s’exprimer sur des procédures judiciaires en cours à Hong Kong ou sur les décisions des juges. Mais ces interventions traduisent aussi une grande nervosité de Pékin avant les élections législatives. Pékin prépare sans doute le terrain à de nouvelles disqualifications et à une campagne d’intimidation. Mais toutes ces interventions peuvent aussi avoir un effet inverse et mobiliser davantage la population. Relancer le débat sur l’article 23 conduirait sans nul doute à de nouvelles manifestations massives. Une suspension ou mise en cause profonde des libertés fondamentales aurait des conséquences sur le statut économique et financier de Hong Kong, qui se remet à peine d’une année difficile sur le plan économique, mais peut bénéficier de sa réponse efficace au Coronavirus. Mais dans toutes les hypothèses, la présence de Pékin dans le territoire continue de s’accroître et s’embarrasse de moins en moins des textes censés l’encadrer.

Le camp démocrate cherche à conquérir une majorité parlementaire pour la première, un objectif difficile mais peut-être tout juste réalisable. Il a aussi indiqué qu’il utiliserait le pouvoir parlementaire d’approbation du budget pour faire pression sur le gouvernement, afin que celui-ci fasse des concessions sur les "cinq demandes" du mouvement anti-extradition de 2019 (notamment une commission d’enquête indépendante qui relève des pouvoirs du parlement, et des avancées sur le suffrage universel). Dans ce contexte, une victoire des démocrates serait sans doute vue à Pékin comme une nouvelle "crise constitutionnelle" qui rendrait l’adoption d’une loi sur la sécurité nationale impossible dans un futur proche. Par conséquent, Pékin prépare sans doute le terrain à de nouvelles disqualifications et à une campagne d’intimidation. Mais toutes ces interventions peuvent aussi avoir un effet inverse et mobiliser davantage la population. Relancer le débat sur l’article 23 conduirait sans nul doute à de nouvelles manifestations massives. Une suspension ou mise en cause profonde des libertés fondamentales aurait des conséquences sur le statut économique et financier de Hong Kong, qui se remet à peine d’une année difficile sur le plan économique, mais peut bénéficier de sa réponse efficace au Coronavirus. Mais dans toutes les hypothèses, la présence de Pékin dans le territoire continue de s’accroître et s’embarrasse de moins en moins des textes censés l’encadrer.

Pour les observateurs internationaux, s’assurer que les élections législative peuvent se dérouler de manière libre et équitable devrait être un objectif central. Alors que la fraude électorale n’a jamais été un problème majeur à Hong Kong, les "disqualifications" soit de candidats avant l’élection, soit d’élus siégeant à la chambre, est un sujet d’inquiétude croissant qui mérite d’être observé de près par des experts juridiques aussi bien hongkongais qu’internationaux.

 

 

Copyright : Anthony WALLACE / AFP

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