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12/12/2019

Réforme des retraites : "ni vainqueurs, ni vaincus"... mais aucun convaincu ?

Réforme des retraites :
 Victor Poirier
Auteur
Ancien directeur des publications

Édouard Philippe a présenté, ce mercredi 11 décembre, l’architecture générale de la grande réforme des retraites annoncée de longue date par l’exécutif. Un discours de près d’une heure qui, a contrario de ce que pouvaient craindre certains, aura apporté de nombreuses précisions sur le projet de transformation du système de retraites. Insuffisant, pourtant, pour convaincre les détracteurs, tant la volonté de contenter tout le monde se heurte aujourd’hui de plein fouet avec la réalité de la réforme. Cette incapacité était d’ailleurs prévisible.

Ne pas laisser passer sa chance

Deux momentums auraient pourtant pu permettre à l’exécutif de se saisir du sujet des retraites à bras le corps, et avec le soutien - ou, du moins, la non-animosité - de la population. Mais l’après-élection présidentielle en 2017 d’une part, et le rapport rendu par Jean-Paul Delevoye cet été d’autre part, ont été deux occasions manquées par le gouvernement pour engager les travaux. Le retard pris par ce dernier a mis du plomb dans l’aile d’un calendrier déjà compliqué à tenir, faisant suite à une grande concertation dont le principe se révèle souvent être à double-tranchant (bénéfique si elle permet d’aboutir à une réforme, instrument de démagogisme sinon).

Il était ainsi frustrant et risqué de voir le long travail de concertations accompli par le Haut-Commissaire pendant plus d’un an entièrement remis en question quelques semaines plus tard par une petite phrase d’Emmanuel Macron (disant préférer "un accord sur la durée de cotisation plutôt que sur l'âge" en marge du G7 à Biarritz), faisant ainsi disparaître tous les bénéfices des négociations qui avaient pu avoir lieu jusqu’ici.

Ne pas confondre vitesse et précipitation

Passés les "vices de forme" de ce chantier, le fond même de la réforme pose question.

Passés les "vices de forme" de ce chantier, le fond même de la réforme pose question.

Sur ses fondements, tout d’abord : la réforme systémique aurait dû, d’après les dires du Président, se faire sur les bases du système actuel une fois celui-ci pérenne sur le plan financier. Or, les dernières projections du Conseil d’Orientation des Retraites repousse à 2040 (ou plus) le moindre espoir d’équilibre financier.

Sur son contenu, ensuite : n’a-t-on pas placé, d’entrée de jeu, trop d’espoirs dans cette réforme ? Les expériences précédentes n’ont cessé de témoigner de la dimension passionnelle du débat sur les retraites : comment, dès lors, envisager qu’une transformation qui a tout de l’expérimentation (seul exemple comparable, la Suède, qui aura mis 11 ans à changer de système) ne crée pas de tumulte et d’anxiété au sein de la société ? Ce constat est certes plus facile à faire a posteriori, mais il avait déjà été dressé, par l’Institut Montaigne, en 2016. La visée de la réforme systémique est honorable, mais elle ne peut être utopiste. Dès lors, avoir pour objectifs l’équilibre financier et l’alignement des régimes sous la forme d’un régime universel (supprimant, de fait, les régimes spéciaux), le tout à enveloppe budgétaire constante (14 % du PIB français consacré aux dépenses de retraites, contre 10 % pour les pays de l’Union européenne) et, surtout, compte tenu des évolutions démographiques, paraissait - et paraît toujours - être une équation sans solution.

"Ni vainqueurs, ni vaincus"... et donc, peu de convaincus

En tentant de trouver l’optimum, et au vu des réactions (multiples) des partenaires sociaux à la suite des annonces de ce mercredi, Édouard Philippe n’aura finalement pas recueilli l’adhésion des foules - et c’est un euphémisme.Il convient de reconnaître deux vertus du discours prononcé ce mercredi par Édouard Philippe. La première est que la ligne directrice est maintenue : le nouveau pacte générationnel, incarné par un régime universel, aux règles identiques pour le député comme pour l’agriculteur, pour le fonctionnaire comme pour l’infirmier, etc.

La seconde est que les très nombreux défauts du système actuel (injustice, illisibilité, inadaptation aux nouvelles carrières) ont par ailleurs été rappelés, avec une certaine habileté, par le Premier ministre. Mais passés ces deux bons points, le mélange des genres entre réforme systémique et efforts paramétriques, objet originel des craintes liées à ce projet, est venu ternir les annonces, et conforter les lignes de désaccord entre l’exécutif et plusieurs organisations syndicales.

Le mélange des genres entre réforme systémique et efforts paramétriques, objet originel des craintes liées à ce projet, est venu ternir les annonces.

Le débat sur l’âge, illustration d’une communication erronée

Comme le révèle le sondage réalisé par Elabe pour Les Echos, l’Institut Montaigne et Radio Classique, 57 % des Français ont conscience qu’il faudra travailler plus tard pour assurer la viabilité du système de retraites. Les Français ne sont pas en reste : ils passent, en moyenne, cinq ans de plus à la retraite que dans les autres pays de l’OCDE, et un écart de 10 points existe entre le taux d’emploi des 55-64 ans en France par rapport à nos pays voisins (52,7 % en France contre 61,8 % pour les pays de l’OCDE). La marge de manœuvre est ainsi importante, et le report de l’âge de départ justifié, ne serait-ce que pour des considérations démographiques (il y avait 4 actifs pour 1 retraité en 1960, il y en a 1,7 pour 1 retraité aujourd’hui, il y en aura 1,2 pour 1 retraité en 2050). Repousser l’âge de départ n’est jamais chose aisée : mais il eut été plus habile et, assurément, plus logique de prendre le taureau par les cornes, l’argument démographique faisant foi, avant de lancer le chantier de la réforme systémique.

Cette solution n’a pas été retenue, et les conséquences s’en font désormais sentir : l’annonce par Édouard Philippe d’un âge d’équilibre de 64 ans à horizon 2027, avec un système de décote-surcote, est celle qui retient indéniablement l’attention, au point de remettre en question l’intégralité d’une réforme dont, encore une fois, peu pourront en critiquer les objectifs : lisibilité et justice sociale.

 

Copyright : Thomas SAMSON / POOL / AFP

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