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17/12/2018

Quelques grammes d'espoir dans un monde de brutes

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Quelques grammes d'espoir dans un monde de brutes
 Dominique Moïsi
Auteur
Conseiller Spécial - Géopolitique

Au sortir d'une année 2018 éprouvante pour les démocraties libérales, particulièrement en Europe, on peut toutefois trouver quelques raisons de rester optimiste. "Tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir", dit le proverbe. La formule s'applique parfaitement à l'Union européenne aujourd'hui, en dépit d'une année 2018 difficile pour la cause de la démocratie dans le monde. Des raisons d'espérer existent encore, même si - et c'est une litote - elles sont moins évidentes. On peut en dresser une liste à la Prévert, sans souci d'ordre et de hiérarchie.

Ainsi, dans sa négociation sur le Brexit avec Theresa May, l'Union a maintenu son unité en dépit des tentatives de divisions, puis de renégociations successives de Londres.

Sur un autre plan, les populistes au pouvoir, de la Hongrie à l'Italie, en passant par la Pologne, ne souhaitent pas, ne souhaitent plus, quitter l'Europe. Ils espèrent, et ce n'est pas neutre bien sûr, donner une autre direction, sinon une autre signification au projet européen.

Les populistes au pouvoir, de la Hongrie à l'Italie, en passant par la Pologne, ne souhaitent pas, ne souhaitent plus, quitter l'Europe.

Dans ce rapide catalogue des "presque bonnes nouvelles", il y a des évolutions proprement nationales. En Pologne, par exemple, la résistance au pouvoir en place grandit et s'organise, même si la jeunesse est aujourd'hui beaucoup plus conservatrice et nationaliste qu'elle ne l'a jamais été depuis la chute du communisme.

Mais la société polonaise reste profondément divisée. Elle ne suit pas, presque aveuglement, Jaroslaw Kaczynski, comme peut le faire son équivalent en Hongrie avec Viktor Orbán. Le retour au pouvoir des tenants d'une démocratie libérale classique, attachée aux valeurs traditionnelles de l'Europe, n'est plus un idéal distant, mais un scénario peut-être proche, qui pourrait se réaliser dès les prochaines échéances électorales du printemps. Le Premier ministre en place, Mateusz Morawiecki, n'est-il pas lui-même le visage modéré du régime ultraconservateur polonais et, comme tel, une possible figure de transition ?

En Allemagne, les bons scores réalisés par les Verts lors des dernières élections régionales, très largement supérieurs dans certains Länder à ceux de l'extrême droite de l'AfD, sont porteurs d'espoir non seulement pour l'Allemagne, mais potentiellement pour l'Europe entière. Les Verts allemands sont unis, responsables, "centristes" et profondément proeuropéens. Bref, un modèle à suivre pour les partis écologistes dans l'ensemble des pays de l'Union, ce qui, soyons réalistes, est très loin d'être le cas chez la plupart des voisins de la République fédérale.

En Allemagne toujours, Angela Merkel, bien qu'affaiblie et sur le départ, a réussi à faire de "sa" candidate, Annegret Kramp-Karrenbauer, son successeur à la tête de son parti, la CDU. Sa fin de règne est moins humiliante qu'on ne pouvait le craindre.

Les Verts allemands sont unis, responsables, "centristes" et profondément proeuropéens.

En Grande-Bretagne, le vote des Britanniques en faveur du Brexit se révèle plus cauchemardesque encore dans ses conséquences politiques et économiques que ne le supposaient ses pires adversaires. Pour éviter un vote désastreux pour elle, Theresa May s'est vu contrainte de jouer la montre, et de demander un nouveau délai sans la moindre garantie que le temps joue en sa faveur. Il s'agit bien sûr d'un jeu perdant-perdant entre la Grande-Bretagne et l'Union, mais la probabilité d'un second référendum, même si elle demeure faible, augmente significativement. Un fin connaisseur de la vie politique britannique l'estimait devant moi, il y a quelques jours, supérieure à 25 %.

Même en France, si rien n'est réglé, l'intervention du président de la République a contribué à calmer, sinon les esprits, du moins certains d'entre eux, désireux au lendemain d'un attentat terroriste à Strasbourg de ne pas ajouter du désordre au désordre. Comment faire la révolution sans révolutionnaires ? Les "gilets jaunes" ne sont pas plus le tiers état que les sans-culottes. Ils sont encore moins l'équivalent du parti bolchevique russe en 1917, n'en déplaise à certains partisans de l'extrême gauche.

Les Etats-Unis se sont toujours plus éloignés de l'Europe au cours des dernières années. Il n'en demeure pas moins qu'il existe une interdépendance réelle et psychologique très grande entre les deux continents. La victoire du Brexit a ouvert la voie à celle de Donald Trump et cette dernière a renforcé le camp des populistes en Europe, sinon dans le monde, comme ce fut le cas tout récemment au Brésil.

La victoire du Brexit a ouvert la voie à celle de Donald Trump et cette dernière a renforcé le camp des populistes en Europe, sinon dans le monde, comme ce fut le cas tout récemment au Brésil.

Avec le recul du temps et le décompte de tous les résultats, les élections de mi-mandat de novembre 2018 apparaissent comme un encouragement pour les démocrates, et un avertissement pour les républicains. Une défaite de Donald Trump aux élections présidentielles de 2020 est loin d'être assurée, mais elle est possible et pourrait ouvrir un nouveau cycle et constituer une source d'espoir et d'encouragement pour les tenants de la démocratie libérale classique, des deux côtés de l'Atlantique.

Sur un plan plus global, l'évolution de la géopolitique mondiale s'impose comme le coeur, sinon la raison d'être première, du projet européen. Il ne s'agit plus comme au lendemain de la Seconde Guerre mondiale d'assurer le "plus jamais ça" par la réconciliation et l'intégration progressive. Il ne s'agit pas non plus d'offrir au monde l'image et la réalité d'un modèle de gouvernance, plus humain et plus efficace à la fois, même si cet objectif demeure. Il s'agit tout simplement de garantir la sécurité de l'Union européenne et des nations qui la composent. Une sécurité qui va moins que jamais de soi, depuis que l'Amérique s'éloigne, la Russie se rapproche, la Chine étend ses ambitions et la Grande-Bretagne se saborde.

Mais l'Union européenne ne saurait non plus se contenter d'une raison d'être exclusivement sécuritaire. Les Français expriment aujourd'hui l'impossible double souhait d'avoir plus de protection de la part de leur Etat et de payer moins d'impôts. Dans leurs relations à l'Union, les Européens aussi sont parfaitement contradictoires. Ils veulent se libérer de ses carcans, tout en attendant qu'elle les protège davantage.

 

Avec l'aimable autorisation des Echos (publié le 17/12/18).

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