AccueilExpressions par MontaigneQuelle(s) énergie(s) pour l’Afrique ?L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.12/07/2019Quelle(s) énergie(s) pour l’Afrique ?Regards croisés de Rim Berahab et Antoine Huard Énergie Moyen-Orient et AfriqueImprimerPARTAGER Rim Berahab Economiste au Policy Center for the New South, Antoine Huard Directeur du Développement du groupe GENERALE DU SOLAIRE 645 millions, c’est le nombre d’Africains qui n’ont pas d’accès à une source d’électricité. Et ce chiffre continuera mécaniquement d’augmenter du fait d’une croissance démographique supérieure aux nouvelles capacités de production d’électricité. Afin de répondre aux besoins futurs de ces habitants, le développement rapide de la production d’électricité est indispensable. Quelle place occupent les énergies renouvelables dans le mix énergétique du continent africain ? Quel rôle pour l’électricité solaire ? Rim Berahab, économiste au Policy Center for the New South et auteure du policy brief Energies renouvelables en Afrique : enjeux, défis et opportunités, et Antoine Huard, co-auteur de la note de l’Institut Montaigne Energie solaire en Afrique : un avenir rayonnant ? nous livrent leur analyse.Quelle est la tendance de déploiement des énergies renouvelables dans le mix énergétique du continent ?RIM BERAHAB En Afrique, les énergies renouvelables sont principalement utilisées pour produire de l’électricité, leur part dans les secteurs du transport et de production de chaleur étant encore faible. Dans le secteur de l’électricité, le mix énergétique africain est dominé par l’hydroélectricité. Cette dernière est, historiquement, un élément important dans de nombreux systèmes électriques africains. Son potentiel technique est colossal, estimé à 350 GW, ce qui pourrait générer près de 1200 TWh par an, soit trois fois le niveau de consommation actuel de l’Afrique subsaharienne. Ce potentiel se trouve principalement autour du bassin du Congo, mais des opportunités importantes existent, également, dans le bassin du Nil et au niveau des fleuves du Niger et du Sénégal. En réalité cependant, uniquement 10 % de ce potentiel est utilisé et la part de cette technologie dans la capacité renouvelable installée en Afrique ne cesse de baisser. Elle est passée de 98 % à 77 % en huit ans. Parallèlement, la part de l’énergie solaire a augmenté, en passant de 1 % à 13 % durant la même période. Ce qui démontre la volonté du continent d’explorer d’autres pistes renouvelables à l’instar de l’énergie solaire.L’avantage de celle-ci est qu’elle est uniformément répartie sur le continent. En effet, l’Afrique bénéficie en moyenne de plus de 320 jours de soleil par an, soit le double du niveau moyen en Allemagne, tandis que le niveau d’irradiance est d’environ 2 000 kWh par mètre carré (kWh / m2) par an. Pour l’instant, les systèmes photovoltaïques (PV) sont la technologie électrique solaire la plus largement déployée sur le continent, bien que certains pays explorent de plus en plus l’option dite solaire thermique à concentration (CSP). Par ailleurs, l’énergie solaire, grâce aux installations de petites tailles, constitue le moyen le plus populaire et le moins cher pour produire de l’électricité hors réseau, ce qui permet aux communautés reculées rurales d’accéder à l’électricité même si elles ne sont pas raccordées au réseau.La part de l’énergie solaire a augmenté, en passant de 1 % à 13 % en huit ans. Ce qui démontre la volonté du continent d’explorer d’autres pistes renouvelables à l’instar de l’énergie solaire.En ce qui concerne l’éolien, le potentiel en Afrique est moins uniformément réparti que le solaire mais constitue tout de même 12 % de la capacité installée. Des ressources éoliennes se trouvent dans la majeure partie de l’Afrique du Nord, dans les régions montagneuses de l’Afrique australe et dans certaines régions de l’Afrique de l’Est, en particulier dans la Corne de l’Afrique et le long de la vallée du Grand Rift. L’énergie éolienne installée sur le continent est principalement terrestre (onshore), car les solutions offshores sont généralement plus coûteuses, bien que ces dernières soient associées à des rendements plus élevésÀ l’heure actuelle, il existe un manque relatif de données sur la vitesse des vents offshore permettant une évaluation géospatiale du potentiel, mais il est clair que cette ressource est un atout à prendre en compte par les pays côtiers du continent.La bioénergie et les technologies géothermiques, quant à elles, ne représentent qu’une petite fraction de l’alimentation électrique du réseau (3 % et 1 % de la capacité installée environ).Quels sont les freins persistants au développement de l'énergie photovoltaïque sur le continent africain ?RIM BERAHABOn distingue deux types de freins : des freins liés au financement et à la profitabilité, et des freins liés aux procédures administratives, à la réglementation et aux politiques publiques. Sur le plan du financement et de la profitabilité, l’énergie solaire, malgré la réduction remarquable de ses coûts technologiques, demeure concurrencée par les énergies fossiles. Une des raisons serait que les investisseurs ne prennent généralement pas en compte les coûts implicites associés aux énergies fossiles dans leurs évaluations, tels les coûts sociaux et environnementaux. Cela ferait donc apparaître les projets d’énergies renouvelables, et solaire en particulier, plus chers qu’ils ne le sont réellement. Aussi, les subventions aux combustibles fossiles accordées par la plupart des pays africains confèrent aux énergies fossiles un avantage concurrentiel encore plus grand aux yeux des investisseurs. Par ailleurs, le profil d’investissement des projets d’énergie solaire étant différent de celui des énergies fossiles, les risques de financement pour les premiers persistent, puisque les investisseurs sont exposés à un risque plus élevé si le projet échoue dans sa phase initiale. D’autant plus que ces projets nécessitent d’importantes ressources financières en amont et une longue période de construction et de retour sur investissement, bien que leurs coûts d’exploitation soient ensuite réduits. Sur le plan des procédures administratives, de la réglementation et des politiques publiques, le manque de rapidité et de clarté dans les procédures et les processus décisionnels, qui sont essentiels à la création d’un bon environnement d’investissement, entrave le développement des projets d’énergie solaire. Les modifications imprévues des politiques énergétiques, des procédures, de conception du marché ou de l’accès au réseau sont des freins supplémentaires. Par ailleurs, s’il n’y a pas de planification claire de la croissance de la demande d’électricité à moyen et à long terme, cela aurait tendance à décourager les investisseurs. Outre ces freins, il y a également la question de la faible implication du secteur privé dans le financement de ces projets, des défis liés à la gouvernance et les risque réglementaires, notamment, une bureaucratie complexe, la corruption ainsi que les risques de stabilité politique. ANTOINE HUARD Je rejoins tout à fait cela, et je complèterai en évoquant trois freins principaux que nous avons identifiés dans la note publiée par l’Institut Montaigne en février dernier. La petite taille des projets, tout d’abord. Si elle est un atout pour s’adapter au volume de la demande ou à la capacité des réseaux électriques, elle constitue également un frein important d’un point de vue financier, car il est plus difficile de financer un petit projet qu’un grand. Les grands projets sont indispensables, mais ils ne peuvent seuls répondre à toute la demande des populations en Afrique : de nombreux villages africains ne sont pas raccordés aux grands réseaux électriques et leur besoin correspond à des projets d’une puissance de l’ordre de quelques mégawatts, soit quelques millions d’euros d’investissement. Les outils actuels de financement, qu’il s’agisse de fonds propres, de dette, ou de garanties, ne sont pas adaptés à cette échelle de projets. D’où cette situation paradoxale que nous constatons : il y a d’un côté beaucoup d’argent disponible et fléché vers l’électrification du continent africain, et de l’autre de nombreux projets qui échouent à obtenir du financement ! En second lieu, l’existence de puissants signaux désincitatifs pour les développeurs et investisseurs privés. Certains projets subventionnés par des Etats ou des institutions financières de développement créent des signaux prix artificiellement bas et, par conséquent, faussent la concurrence avec les projets non subventionnés. Le développement d’un projet est un processus long, coûteux, et risqué : comment espérer que des entreprises privées aillent prendre ce risque d’investir dans le développement d’un projet, quand elles peuvent à tout moment se trouver confrontées à l’arrivée d’un projet subventionné proposant une électricité beaucoup plus compétitive ? De nombreux projets privés ont ainsi été abandonnés lorsque les projets de Zagtouli (au Burkina Faso) ou de Boundiali (en Côte d’Ivoire) ont été annoncés, respectivement financés par l’AFD et la KfW. À cette concurrence frontale vient s’ajouter une autre forme de distorsion de marché, plus "subtile" car prenant l’apparence de projets financés par le secteur privé, mais impliquant des subventions cachées. L’exemple le plus connu est le programme Scaling Solar lancé par International Finance Corporation (IFC) en 2013. Dans le cadre de ce programme, IFC finance le développement des projets (identification de terrains, études, etc.), l’acquisition de leur terrain d’implantation, leur raccordement au réseau, et sélectionne par appel d’offres un investisseur privé qui bénéficie alors de conditions financières très avantageuses (taux d’intérêt, garanties, etc.) lui permettant d’offrir un prix défiant toute concurrence.Ce programme a pour l’instant conduit à la réalisation d’une centrale solaire en Zambie, mise en service en 2019 et proposant une électricité à un tarif de 0,06 USD/kWh, et à l’annonce d’un prix de 0,03 USD/kWh au Sénégal. Mais l’annonce de ces prix très bas a entraîné l’abandon de nombreux projets sur l’ensemble du continent, leur prix n’étant plus considéré comme acceptable par les pouvoirs publics qui exigent de s’aligner sur ces références artificielles. Cette satisfaction de battre des records de prix s’obtient donc au détriment des populations, et c’est d’autant plus regrettable que les projets non subventionnés proposent aujourd’hui des prix inférieurs à 0,10 USD/kWh, c’est-à-dire déjà très en deçà du prix de l’électricité produite par les groupes électrogènes ou autres centrales thermiques d’appoint utilisées faute de mieux.Face à l’urgence des besoins en énergie, la priorité doit être la rapidité de concrétisation des projets, pas la quête du prix le plus bas possible – a fortiori dans le cas de l’énergie solaire, qui est déjà de loin plus compétitive que les moyens thermiques alternatifs !Enfin, le recours quasi-systématique à l’appel d’offre comme mode de sélection des projets. Il est aujourd’hui démontré que l’appel d’offres est un moyen efficace pour stimuler la concurrence et la baisse des prix, mais à condition que cette concurrence existe, c’est-à-dire que le marché ait déjà atteint une certaine maturité. De plus, les appels d’offres représentent un coût administratif et impliquent une lourdeur procédurale qui ne se justifie que pour des projets d’une certaine taille. Il n’est pas rare qu’il s’écoule jusqu’à trois ans, parfois beaucoup plus, entre le lancement d’un appel d’offres et la désignation des lauréats. De nombreux pays, dont la France, réservent ainsi le mécanisme d’appel d’offres aux grands projets et ont mis en place un système de "tarif régulé sur guichet" pour les petits projets, car ce mécanisme est beaucoup plus pragmatique et rapide. Or, pour des raisons qui relèvent essentiellement des règles de principes imposées par les institutions multilatérales d’aide au développement, la plupart des pays africains se laissent entraîner dans un recours systématique au mécanisme d’appel d’offres, et ce alors même que ces marchés n’ont pas la maturité concurrentielle nécessaire et que les projets concernés sont pour la plupart des projets de petite taille. Ce n’est donc malheureusement pas une surprise de constater l’échec généralisé de ces tentatives : d’innombrables appels d’offres lancés au cours de ces dernières années sont ainsi demeurés infructueux, ou bien ont conduit à la désignation d’un lauréat qui se révèle finalement défaillant dans la mise en œuvre du projet. Il serait beaucoup plus efficace de mettre en place des mécanismes de tarif d’achat : on sait aujourd’hui en fixer le juste niveau, ni trop haut pour éviter les effets d’aubaine, ni trop bas pour permettre une rémunération raisonnable des investisseurs. Un appel d’offres permet peut-être d’annoncer un tarif plus compétitif de quelques dixièmes de centimes de dollars par kWh, mais au prix de plusieurs années de délai supplémentaire. Face à l’urgence des besoins en énergie, la priorité doit être la rapidité de concrétisation des projets, pas la quête du prix le plus bas possible – a fortiori dans le cas de l’énergie solaire, qui est déjà de loin plus compétitive que les moyens thermiques alternatifs !L'expérience africaine du développement de ces énergies renouvelables peut-elle apporter des innovations exploitables hors du continent ?RIM BERAHABMalgré le fait que le déploiement élargi des énergies renouvelables en Afrique n’en soit qu’à ses débuts et doive encore surmonter de nombreux obstacles, des innovations prometteuses ont vu le jour, et pourraient, à terme, être exploitées ailleurs. En effet, bien que l'expansion du réseau électrique africain soit essentielle, ce n'est pas la seule partie de la solution. Des innovateurs africains commencent à introduire le paiement mobile et exploitent les progrès de l'énergie solaire et du stockage sur batterie pour combler les besoins du continent en matière de production d'énergie électrique. Par exemple, M-Kopa, basé au Kenya, fournit des solutions de production et de stockage d'électricité solaire aux ménages qui n'ont pas accès au réseau, et finance le paiement sur une période de douze mois via des comptes d'argent mobiles. Depuis sa création, en 2011, M-Kopa a vendu plus de 600 000 kits ménagers et a recueilli des investissements auprès de multinationales, dont la japonaise Mitsui. Un autre exemple est celui de Fenix, en Ouganda, qui a vendu 140 000 kits d'énergie solaire, également grâce aux paiements mobiles. À la fin de 2017, Fenix a été acquise par Engie, société énergétique mondiale basée en France, dans le cadre d'une campagne visant à utiliser les technologies numériques pour fournir à 20 millions de personnes dans le monde une énergie décarbonée et décentralisée d'ici 2020. ANTOINE HUARD L’expérience africaine des énergies renouvelables, aussi bien les échecs que les réussites, peut servir de source d’inspiration partout où existent des problématiques similaires : zones isolées non connectées au réseau, besoins d’électricité reposant sur des moyens de production décentralisés et de petite taille, gestion du risque de contrepartie, etc. Parmi les exemples les plus connus, on peut citer les compteurs digitalisés avec prépaiement par mobile (pay as you go) ou les outils de pilotage intelligent de mini-réseaux (contrôle, monitoring, optimisation, etc.). Les solutions mises au point dans le cadre des projets d’accès à l’électricité en Afrique peuvent être répliquées et déployées partout dans le monde, y compris dans les pays les plus développés qui sont pour la plupart engagés dans des démarches de transition de leurs systèmes énergétiques, évoluant vers davantage de décentralisation et de digitalisation.Le développement des systèmes décentralisés d’accès à l’énergie renouvelable en Afrique a également été l’occasion de mieux comprendre l’importance d’accompagner l’installation des moyens de production par la mise en place d’un écosystème adapté. Par exemple, une centrale solaire dans un village est inutile si les populations ne disposent pas également d’appareils pour consommer l’électricité produite. Un projet d’électrification doit donc s’accompagner du développement d’activités génératrices de revenus à partir de l’électricité produite, à la fois pour que cette électricité puisse réellement contribuer au développement économique, mais aussi pour rassurer les investisseurs sur la solvabilité des clients. Concrètement, dans un village où l’activité économique consiste à produire du jus de mangue avec des pressoirs manuels, l’installation d’une centrale solaire doit aller de pair avec l’accompagnement d’entrepreneurs locaux qui s’équiperont (par exemple avec du micro-crédit) de pressoirs électriques, pour accroître le rendement, et de réfrigérateurs, pour augmenter la durée de conservation des produits et donc leur valeur économique. Le temps ainsi libéré peut être consacré à d’autres tâches, ce qui permet entre autres d’améliorer la scolarisation des enfants. L’énergie est à la source de tout développement économique, à condition de proposer à ces populations des projets d’électrification qui ne se contentent pas seulement d’améliorer leur confort (une lampe solaire à domicile, par exemple) mais permet des usages à destination de l’économie productive.ImprimerPARTAGERcontenus associés 10/10/2018 Un regain d’énergie en Afrique subsaharienne ? Trois questions à Ludovic Mo... Institut Montaigne