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01/07/2020

Hong Kong : prendre la mesure du choc

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Hong Kong : prendre la mesure du choc
 François Godement
Auteur
Expert Résident, Conseiller spécial - Asie et États-Unis

Hong Kong a longtemps été un lieu privilégié pour les implantations françaises. Bien sûr, pour les banques et assurances qui ont souvent conduit leurs opérations en Chine à partir de Hong Kong. Pour de très nombreuses entreprises du luxe et des spiritueux, dont les produits sont souvent importés à partir de Hong Kong. Mais aussi pour la culture, les médias, les sciences sociales : correspondants installés à Hong Kong, centre de recherche sur la Chine et revue scientifique depuis les années 1970. Alliance française, lycée, festivals divers.

Bien sûr, le rythme s’était ralenti avec le coronavirus, et peut-être l’audace de nos relations culturelles n’était guère excessive : la dernière conférence "universitaire" mentionnée sur le site officiel du Consulat de France remonte à octobre 2019 – Dominique de Villepin y avait célébré Napoléon et sa "légitimité par les actes" : gageons que si le président Xi s’y était intéressé, le qualificatif ne lui aurait pas déplu.

Avant même le Covid, 18 mois de protestations sans précédent, d’abord contre l’instauration d’une procédure d’extradition vers la Chine, puis pour réclamer un vrai suffrage universel, avaient ralenti l’activité économique – et d’abord touristique. La manifestation du 16 juin 2019, rassemblant près du tiers de la population totale de Hong Kong, vieillards et nouveaux-nés inclus, restera un cas sans précédent dans l’histoire de la protestation à travers les âges – et ce, avec un degré d’auto-organisation et de pacifisme qui a également peu d’équivalents.

La manifestation du 16 juin 2019, rassemblant près du tiers de la population totale de Hong Kong, restera un cas sans précédent dans l’histoire de la protestation à travers les âges

Bien sûr, le ver était dans le fruit. Même si le gouvernement chinois avait repoussé sine die le projet sur l’extradition, et évité l’intervention militaire tant redoutée, on restait face à une contradiction complète : le terme même d’extradition n’avait pas grand sens, s’agissant d’un territoire faisant partie de la République populaire. Le suffrage universel est ce contre quoi la Chine s’est battue avec constance pendant toutes les négociations avec le Royaume-Uni, et qu’il n’a pas laissé prospérer depuis 1997.

Mais au fond, milieux d’affaires, universitaires, journalistes, juristes s’étaient habitués à une extraterritorialité de Hong Kong, appuyée sur le rempart de la Loi Fondamentale, la Basic Law en vigueur jusqu’en 2047 selon un traité international, et assurée par l’intérêt économique bien compris de la Chine. Il en reste d’ailleurs quelques lambeaux, puisque la place financière de Hong Kong est encore la première voie de sortie des capitaux chinois. Les sociétés-valises (naguère destinées à contourner les interdictions américaines de transactions financières avec la Chine) étaient devenues des sociétés-écrans, premier niveau de dissimulation de l’origine des investissements chinois à l’étranger.

Ces raisonnements sont caducs. La Greater Bay Area écrase Hong Kong en dimension économique, sans parler de Shanghai. Les grandes sociétés "privées" chinoises – Alibaba, Tencent – ont leurs sièges aux Îles Vierges et autres places offshore. C’est vrai, Pékin aurait pu attendre 2047 : sauf que les données politiques à Hong Kong même avaient changé. Être jeune en 1997, c’était avoir toute sa vie active devant soi. En 2020, le compteur tourne beaucoup plus vite. Et entre 1997 et 2020, le Parti Communiste Chinois a dissipé les espoirs, à l’intérieur comme à l’étranger, d’une évolution libéralisante. Xi Jinping a choisi le passage en force, anticipant sur 2047 et prenant de court les diplomaties des pays démocratiques avec la... "légitimité par les actes".

Avant d’en mesurer les implications pour la France, il est utile de mentionner rapidement les dispositions de la nouvelle Loi de Sécurité Nationale (LSN), promulguée sans divulgation préalable, et déjà appliquée. La sécurité nationale ressort du gouvernement central. Nul ne peut être candidat à une fonction élective sans jurer fidélité à la Loi Fondamentale et à la Région Administrative Spéciale (RAS) de Hong Kong. La RAS est tenue de promouvoir la Loi de Sécurité nationale dans les media, les écoles, les réseaux et les organisations de la société. La RAS doit créer un Conseil pour la Sécurité Nationale (國家安全委員會), avec un Conseiller spécial. Ses activités ne sont soumises à aucune supervision judiciaire. Les organes centraux de sécurité chinois sont installés à Hong Kong, avec une immunité et une clause de secret complet pour leurs actions. Leur Bureau de protection de la sécurité nationale (維護國家 安全公署) est établie localement. L’un comme l’autre opèrent sans aucune interférence de la part des autres administrations de la RAS.

Le responsable en charge de la Sécurité nationale pour la police de Hong Kong est nommé après l’avis de ces organes, et peut s’entourer de spécialistes non issus du territoire : gageons qu’il ne s’agira pas de bobbies britanniques à la retraite. Quiconque, individu ou entité, assiste, directement ou non, une violation de la LSN, est passible de poursuite. Ses actifs peuvent être saisis, les permis et licences commerciales révoqués, y compris pendant la phase d’enquête. Les organisations et personnes étrangères sont passibles de la LSN, ainsi que ceux qui en reçoivent des instructions – y compris les non-résidents à Hong Kong.

Entre 1997 et 2020, le Parti Communiste Chinois a dissipé les espoirs, à l’intérieur comme à l’étranger, d’une évolution libéralisante.

Tous les procès peuvent être tenus en secret, et en cas de nécessité les jurys remplacés par trois juges – et pour cela la mention d’un "jury" par tout document légal de la RAS sera comprise comme recouvrant aussi celle d’un juge ! Ceux-ci peuvent être révoqués en cours de mandat si leurs propos contredisent la Loi Fondamentale. Le champ d’action commun du Conseil de sécurité de la RAS et de la Commission de Sécurité nationale rattachée au gouvernement central inclut les organisations étrangères, ONGs et agences de presse à Hong Kong. La poursuite, les procès et procédures, l’exécution des peines pour les crimes relevant de la LSN seront menés par le Parquet populaire suprême (最高人民檢察院) du gouvernement central et selon le Code de Procédure Criminelle de la RPC dans trois cas : si une influence étrangère est constatée, s’il y a un empêchement des juridictions de la RAS, s’il y a une menace "grave" pour la sécurité nationale.

Tout ceci concerne quatre crimes retenus de la façon la plus large, et passibles de l’emprisonnement à vie : la sécession et son apologie pour "toute partie du territoire de la RPC" (et donc aussi de Taiwan) ; la subversion de l’autorité de l’État, y compris en "faisant obstacle" à l’autorité de celui-ci et du gouvernement de la RAS, mentionné séparément ; le terrorisme, y compris la destruction de véhicules ou l’interférence grave avec un service public ; la collusion avec des forces étrangères, y compris dans l’application de sanctions ou de blocus contre la Chine, ou de faire obstacle à l’élaboration et l’application de lois.

Nous n’avons fait ci-dessus que citer brièvement un texte dont de nombreux aspects laissent des portes ouvertes. Mais ce texte est en phase avec les lois et règlements extrémistes adoptés ces dernières années par le gouvernement central : par exemple, menacer les entreprises étrangères appliquant des sanctions décrétées par un gouvernement étranger contre la Chine fait désormais partie de l’arsenal juridique chinois. Il était par contre difficile d’imaginer que le PCC et Xi Jinping iraient si loin et dans toutes les directions : le texte institue une insécurité juridique complète à Hong Kong, et un état d’exception pour les actes de la Sécurité chinoise. Et il renverse la présomption d’extra-territorialité sur laquelle Hong Kong a fondé son existence. Désormais, cette loi peut être appliquée à un non-citoyen, non-résident pour une infraction à la loi commise à l’étranger.

C’est par rapport à la radicalité de ce texte que les réactions française et européenne, à cette heure, paraissent bien insuffisantes.Réclamer la garantie des droits individuels et de la Loi Fondamentale n’a désormais aucun sens : la LSN s’y réfère cyniquement tout en les violant sans retenue. Autant citer la Constitution soviétique de 1936, faite à la main de Staline mais imprégnée du vocabulaire des Lumières. C’est bien la violation de la Loi Fondamentale, un traité international conclu avec le Royaume-Uni et déposé auprès de l’ONU, qu’il faut dénoncer. Le Parlement européen, lui, a voté par 564 voix contre 32 (et 64 abstentions, dont celle du Rassemblement National) pour intenter une action auprès de la Cour de Justice Internationale. Il est plus dans le vrai que ceux qui se contentent d’exprimer leur "préoccupation" ou, d’une manière ambigüe, leur "attachement" au principe "Un Pays, Deux Systèmes". Ces termes étaient depuis l’origine très ambigus, et la LSN se sert encore de cette ambiguïté tout en mettant fin à l’autonomie prévue par le slogan et par la Loi Fondamentale.

Le Parlement européen, lui, a voté par 564 voix contre 32 pour intenter une action auprès de la Cour de Justice Internationale.

On rétorquera sans doute que ce recours légal ne peut que rester de pure forme : la Chine ne reconnaît pas les décisions de la CJI, dont les États-Unis annoncent parfois leur intention de se retirer. D’une part, s’il n’existe en effet aucun moyen de sanctionner la violation d’un traité international, cela pose un problème plus grave encore : la Chine est membre permanent du Conseil de Sécurité, ce qui assure l’impuissance de l’ONU ; elle ne reconnaît pas la CJI, ce qui lui enlève toute utilité ; le rapport de force local est entièrement en faveur de Pékin.

C’est donc par des sanctions – que la Chine anticipe d’ailleurs – que la réponse peut se faire. Ces sanctions peuvent porter sur le statut de territoire séparé de Hong Kong, comme le veulent les États-Unis, mais ceci ne suffira pas, et de loin : il est clair que Xi Jinping est prêt à assumer le coût d’une dégradation considérable du rôle de Hong Kong. Ce n’est pas seulement parce qu’il serait persuadé qu’à terme, les capitalistes vendront à nouveau la corde pour se pendre. C’est parce que son horizon stratégique est celui d’une lutte sans fin pour assurer la légitimité et la primauté du système politique incarné par le PCC.

D’innombrables entreprises et agents économiques, habitués au statu quo à Hong Kong, vont s’accrocher à l’idée que cette loi de Sécurité nationale est un épisode qui concerne les fortes têtes et autres empêcheurs de faire des affaires. Ils auront tort. Un système judiciaire et un état de droit – qui existaient grosso modo à Hong Kong – ne peuvent se maintenir dans ces conditions. Selon les termes mêmes de la LSN, il est facile d’imaginer l’extension de celle-ci au champ des acteurs économiques. La position particulière de Hong Kong, un sas entre deux systèmes économiques et politiques opposés, vient de disparaître sous nos yeux.

La vérité, contrairement aux illusions qui subsistent, en France et en Europe, sur l’attachement chinois au multilatéralisme (!), sur les enjeux communs du climat, de la dette, ou encore de l’Afrique, est que Xi Jinping et le PCC ont instauré une situation où il faut être soit avec lui, soit contre lui.

 

Copyright : DALE DE LA REY / AFP

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