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02/12/2019

Compte Personnel de Formation : on fait le bilan ?

Entretien avec Bertrand Martinot et Estelle Sauvat

Compte Personnel de Formation : on fait le bilan ?
 Bertrand Martinot
Expert Associé - Apprentissage, Emploi, Formation Professionnelle
 Estelle Sauvat
Associée – dirigeant chez Dirigeants & Investisseurs

La réforme du Compte Personnel de Formation était indispensable. C’était le message principal de notre étude publiée en janvier 2017. Depuis, le gouvernement a procédé à des modifications de la loi et a lancé récemment une application dédiée à la formation professionnelle. Les choses vont-elles désormais dans le bon sens ? Le point avec les auteurs de notre étude, Bertrand Martinot, Senior Fellow à l’institut Montaigne, directeur du conseil en formation professionnelle et développement des compétences, Siaci Saint-Honoré, et Estelle Sauvat, associée – dirigeant chez Dirigeants & Investisseurs, ancienne Haut-Commissaire à la transformation des compétences.

Comment jugez-vous la réforme du compte personnel de formation mise en place par le gouvernement ?

Cette réforme était indispensable. Comme nous l’avions souligné dans notre étude pour l’Institut Montaigne "Un capital emploi formation pour tous", publiée dès janvier 2017, le CPF, dans sa version initiale, était voué à l’échec : système sur-administré, inégalitaire, sous-financé, déficit d’accompagnement en matière de conseil en évolution professionnelle pour l’utiliser au mieux... Tout était fait pour qu’il ne fonctionne pas, sauf pour les chômeurs auxquels Pôle emploi demandait naturellement de mobiliser leur CPF en cas de formation. Au total, ce sont à peine 4 % des salariés qui ont mobilisé leur CPF depuis sa création en 2015, pour l’essentiel sur des formations en ligne destinées majoritairement à l’apprentissage de l’anglais.

L’esprit de notre rapport visait à une responsabilisation accrue des individus dans une démarche d’empowerment, à une désintermédiation par la mise en place d’un service dématérialisé gratuit et en euros géré par la Caisse des dépôts, tout comme une solvabilisation de la demande individuelle de formation.

Nous sommes donc très heureux que le gouvernement ait retenu et mis en œuvre une grande partie de nos propositions : la monétisation du CPF en euros (et non plus en heures de formation) donnant à chaque salarié la possibilité d’acheter directement une formation sans passer par un processus fastidieux géré par les opérateurs financiers des branches professionnelles (les OPCA, qui deviennent "opérateurs de compétences" avec la réforme), le fait que toutes les formations inscrites au répertoire national des certifications soient ouvertes, et non pas uniquement celles qui figurent sur des listes établies par les partenaires sociaux ou les régions. Toutes choses égales par ailleurs, le système va devenir plus égalitaire : chaque salarié disposera des mêmes droits en euros, alors que le système antérieur libellé en heures de formation introduisait un biais en faveur des formations pour les plus qualifiés (le prix d’une heure de formation croît généralement avec le niveau de qualification).

Qu’attendre de l’appli CPF, présentée par Muriel Pénicaud comme une "révolution" ?

Cet outil était indispensable, il est une première étape qui pourra être complétée de nombreux services dans l’avenir, que nous avions aussi recommandés dans notre travail. Mettre en ligne une grande partie de l’offre de formation, avec la possibilité de s’inscrire directement en ligne à une session, promouvoir l’évaluation par les stagiaires sur le modèle de TripAdvisor (possibilité de notation offerte dans une version ultérieure) est une avancée importante.

Nous y voyons l’opportunité de reconfigurer le marché de la formation professionnelle afin qu’il soit plus transparent, avec une pression probable à la baisse sur les prix et un encouragement bienvenu à l’innovation.

À terme, des développements de type IA incluant des conseils et un profilage des utilisateurs offriront des perspectives nouvelles permettant d’affiner les choix et les propositions de formations en fonction du profil de compétences de chacun.

Nous y voyons aussi l’opportunité de reconfigurer le marché de la formation professionnelle afin qu’il soit plus transparent, avec une pression probable à la baisse sur les prix et un encouragement bienvenu à l’innovation, qui est un enjeu majeur pour ce secteur économique. D’ailleurs, il sera fortement concurrencé par les grands opérateurs du numérique dans les prochaines années.

Pour autant, il ne faut pas attendre de cette application plus que ce qu’elle ne peut donner. Le contact humain, les conseils de professionnels de l’accompagnement restent déterminants au risque de faire de mauvais choix. Et surtout, elle ne saurait, à elle seule, remplir les conditions de succès du "nouveau CPF".

Que faire pour s’assurer que ce "nouveau CPF" soit un succès ?

Malgré ces avancées, faire du CPF un véritable levier pour sécuriser les parcours professionnels des actifs nécessitera de nouvelles avancées dans l’avenir.

Si cette réforme est globalement plus avantageuse que le CPF en heures, elle ne supprime pas deux obstacles majeurs au développement du CPF : il ne peut être mobilisé qu’hors temps de travail, sauf accord de l’employeur ; et les ressources financières, même appréciables (5000 € accumulés sur 10 ans) restent plafonnées.

Le risque de sous-financement ne peut être écarté, dès lors que les comptes restent plafonnés, et le financement annuel global évoluant de façon progressive sur 10 ans pourrait dans de nombreux cas individuels s’avérer insuffisant, notamment face au besoin d’engager de réelles reconversions avec des coûts de formations certifiantes supérieurs au capital disponible. L’écart au long cours entre les droits acquis monétisables et le coût réel des formations pourrait donc vite avoir un effet déceptif et donner corps à plusieurs critiques, si des co-financements et notamment ceux des employeurs ne prennent pas corps rapidement. Or très peu d’entreprises s’emparent du sujet, elles sont nombreuses à considérer le CPF comme un objet purement individuel, dont l’employeur n’a pas à se préoccuper.

Il est encore tôt pour préjuger des changements qui s’opéreront dès lors que les salariés viennent tout juste d’avoir cet accès facilité et unifié à la plateforme mon-compte-formation.fr. Comme pour évaluer quantitativement et économiquement leurs demandes croissantes. Toutefois, si les salariés particulièrement volontaires sont appelés à co-financer individuellement des formations plus coûteuses que les montants capitalisés disponibles sur le CPF, il s’agirait de ne pas les décourager et de rechercher des mécanismes financiers permettant d’en faciliter l’accès, voire de pouvoir consommer ses droits par anticipation.

Comment s’assurer que les salariés feront le bon choix de formation ?

La relance du CPF rend encore plus aiguë la question de l’orientation et du conseil auprès de salariés.

Une étude récente réalisée par l’IFOP pour Siaci Saint-Honoré sur "le regard des actifs sur la transformation des métiers" révèle qu’aujourd’huiles salariés, généralement, ne comptent que sur eux-mêmes (à 74 %), très peu sur leur supérieur hiérarchique direct, et encore moins sur leur DRH et sur les organisations syndicales.

Au-delà même du CPF, les salariés ont donc un besoin grandissant de conseil en matière d’évolution professionnelle et de formation : vers quels métiers se diriger compte tenu de leurs compétences transférables (qu’ils n’identifient pas toujours) ? Quels blocs de compétences acquérir ? Où trouver sa formation ? etc.

Conscient de ce problème, le gouvernement a lancé une prestation de conseil en évolution professionnelle gratuit, avec un financement dédié assuré par France Compétences, assuré par des opérateurs sélectionnés par voie d’appel d’offres dans chaque région. Même si cette initiative est intéressante pour les salariés des petites entreprises, il reste à vérifier que cette prestation sera attractive sur les territoires.

Les salariés ont un besoin grandissant de conseil en matière d’évolution professionnelle et de formation.

En résumé, une réponse strictement individuelle au défi des compétences n’est pas tenable. Le problème est bien collectif et les réponses à y apporter doivent donc être en partie collectives. Il est urgent de s’emparer du développement des compétences dans les actes. Ce sujet doit prendre toute sa place dans l’entreprise avec des actions concrètes. Le temps est donc venu de sortir des accords de GPEC (gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences) incantatoires ou se limitant à rappeler les textes en vigueur pour entrer dans une nouvelle ère, loin des promesses verbeuses d’hier. Il s’agit à présent de répondre aux vraies questions de manière pragmatique : comment construire des parcours professionnels dans et à l’extérieur de l’entreprise ? Pour quels métiers ? Avec quelles formations, dans ou hors temps de travail ? Avec quels appuis externes, quel usage du CPF et avec quel cofinancement ?

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