Rechercher un rapport, une publication, un expert...
L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.
30/08/2019

Comprendre la crise politique italienne

Trois questions à Marc Lazar

Comprendre la crise politique italienne
 Marc Lazar
Expert Associé - Démocratie et Populisme, Italie

La crise politique italienne, provoquée au cœur de l’été par le ministre de l’Intérieur Matteo Salvini, a donné lieu à un surprenant coup de théâtre. En empêchant la tenue d’élections anticipées qui auraient pu renforcer le poids de la Ligue (extrême-droite), la formation d’une nouvelle coalition fait basculer la principale force politique d’Italie dans l’opposition. Ce retournement marque-t-il un retour à la normale ou porte-il en lui les germes d’une prochaine révolution ? Trois questions à Marc Lazar, contributeur pour l’Institut Montaigne sur les questions politiques institutionnelles françaises et italiennes.

[Mise à jour du 04/09] Un nouveau gouvernement a été formé, porté par une majorité réunissant sociaux-démocrates et Cinq Etoiles.
 

La crise politique ouverte durant l’été a conduit à l’éclatement de la coalition au pouvoir. Si l’alliance entre la Ligue du Nord et le Mouvement 5 étoiles apparaissait fragile dès l’origine, quels sont les facteurs qui ont précipité sa dissolution ?

Matteo Salvini a saisi le prétexte d’un vote des parlementaires du Mouvement 5 étoiles contre l’achèvement du chantier de la ligne TGV entre Lyon et Turin pour déclencher la crise politique, exiger la démission de Giuseppe Conte, demander la convocation exceptionnelle du Sénat en pleines vacances et exiger des élections anticipées. Pourquoi a-t-il ainsi précipité le tempo politique ? Plusieurs explications peuvent être avancées.
 
Son large succès aux élections européennes, les sondages favorables à son parti, sa grande popularité l’ont sans doute amené à penser que c’était le bon moment pour essayer d’obtenir du président de la République la dissolution des Chambres. D’autant que les révélations journalistiques sur les liens financiers de son parti avec la Russie et l’enquête judiciaire qui s’est déclenchée à ce propos risquaient de lui faire du tort et d’écorner son image.
 
En outre, il était incité à agir ainsi parce que nombre de ses amis dans son parti supportaient moins que jamais le Mouvement 5 étoiles, en particulier les puissants Présidents des régions de la Lombardie et de la Vénétie qui veulent obtenir plus d’autonomie, ce que n’acceptaient pas les ministres du Mouvement 5 étoiles, défenseurs des intérêts du Sud du pays. Sa probable large victoire en cas d’élections anticipées lui aurait permis de constituer un gouvernement à sa main, seul ou en alliance avec le parti encore plus à droite que le sien, Frères d’Italie, et d’engager l’épreuve de force avec Bruxelles en arguant de la légitimité conférée par le vote des Italiens.
 
Salvini a commis deux erreurs qui marquent un arrêt – selon moi provisoire – dans son ascension politique. Il a négligé le poids des institutions, démontrant ainsi qu’il est bien un populiste n’accordant guère d’importance à celles-ci puisqu’il est convaincu d’incarner le peuple tout puissant. Il a sous-estimé le "TSS", Tout sauf Salvini, qui s’est immédiatement mis en place à l’initiative de Matteo Renzi, un des chefs du Parti démocrate (centre gauche).
 

Le premier Ministre sortant, Giuseppe Conte, est désormais chargé de composer un nouveau Gouvernement. Quel serait l’horizon politique d’une alliance entre le Mouvement 5 étoiles et le Parti démocrate, sur la scène européenne notamment ?

Il revient à Giuseppe Conte, qui a affirmé sa personnalité au cours de cette crise, de tenter de former un gouvernement et d’obtenir la confiance des Chambres. Cela ne sera pas une mince affaire. D’autant que le Mouvement 5 étoiles entend organiser une consultation sur sa plateforme numérique Rousseau afin de savoir si ses membres acceptent la formation de ce nouveau gouvernement : or, l’on sait que nombre d’adhérents du parti détestent le Parti démocrate. Le Mouvement 5 étoiles et le Parti démocrate veulent obtenir des ministères importants. La confrontation est d’ores et déjà rude.

Sur l’Europe, leurs positions se sont rapprochées. Le Parti démocrate est profondément pro-européen. Le Mouvement 5 étoiles était anti-UE mais a évolué.

Par ailleurs, les deux partis divergent sur nombre de sujets. D’abord dans leurs conceptions de ce nouveau gouvernement. Pour le Mouvement 5 étoiles, il s’inscrit dans la continuité de ce qu’ils ont fait depuis 14 mois avec la Ligue. Pour le Parti démocrate, il s’agit de démontrer de la "discontinuité" pour reprendre le mot du secrétaire du parti, M. Zingaretti. Ils diffèrent ensuite sur des sujets cruciaux : les grands travaux publics à faire, la politique migratoire (mais sur ce point, le Mouvement 5 étoiles et le Parti démocrate sont divisés en interne), les réformes institutionnelles, etc… Mais ils ont aussi des terrains potentiels d’accord : la volonté d’investir en faveur de l’éducation et de la santé, la nécessité de déployer une politique en faveur de l’environnement.

Sur l’Europe, leurs positions se sont rapprochées. Le Parti démocrate est profondément pro-européen. Le Mouvement 5 étoiles était anti-UE mais a évolué. La preuve ? Ses députés au Parlement européen ont voté pour Ursula von der Leyen à la présidence de la Commission. On peut penser que ce gouvernement engagera une discussion avec la Commission pour élaborer le budget 2020 sur un tout autre ton que celui utilisé par le gouvernement précédent. Il pourrait obtenir un peu plus de souplesse car le Parti démocrate est bien vu à Bruxelles. De même, les relations avec la France pourraient s’améliorer encore davantage car des intérêts communs existent entre nos deux pays.
 

Matteo Salvini, jusqu’ici considéré comme l’homme fort d’Italie, apparaît comme le grand perdant de cette crise. Son rejet dans l’opposition pourrait-il, à terme, renforcer la dynamique électorale de la Ligue ?

Le Parti démocrate et le Mouvement 5 étoiles, en formant ce gouvernement – s’il se forme, mais je crois qu’il se formera finalement – évitent avant tout des élections anticipées qui auraient donné selon toute vraisemblance la victoire à Matteo Salvini. Ils seront même enclins à tous les compromis possibles pour que cet exécutif dure le plus longtemps possible, car ils parient sur le fait que Salvini, cantonné dans une opposition stérile, perdra de sa popularité. Il est clair que Salvini a pris conscience de ce risque et c’est pourquoi ces derniers jours, voyant qu’il n’obtenait pas ce qu’il voulait, il a proposé de sceller une nouvelle alliance avec… le Mouvement 5 étoiles.
 
Mais c’est un pari risqué pour le Mouvement 5 étoiles et le Parti démocrate. Car si ce nouveau gouvernement Conte est paralysé par les divergences et incapable d’améliorer la situation sociale des Italiens, alors Salvini apparaîtra comme non seulement le grand opposant, mais également comme le grand sauveur…

 

Copyright : Andreas SOLARO / AFP

Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne