Historiquement, la SOFIRAD - lointain ancêtre de France Médias Monde - avait aussi développé des médias par zone ou par pays, co-construits et co-gérés avec des acteurs locaux, tels Africa N°1, Médi 1 ou RMC Moyen-Orient. Ces médias "bi-culturels" permettaient d'entretenir un dialogue ciblé avec les auditeurs et ne consistaient pas à envoyer depuis Paris un message "global" descendant pour promouvoir les valeurs ou la vision de la France partout dans le monde.
Jusqu'au début des années 2000, la France avait en outre un écosystème audiovisuel extérieur global, qui ne reposait pas sur un seul opérateur - comme c'est le cas aujourd'hui avec France Médias Monde -, pour promouvoir ses idées, ses images et ses sons à l'international. Ainsi, des opérateurs audiovisuels privés, tel AB group ou Canal +, bénéficiaient de subventions du ministère des Affaires étrangères - qui n'existent plus aujourd’hui - pour exporter leurs chaînes et bouquets, en particulier en Afrique. Une chaîne de télévision publique "populaire", destinée à la jeunesse d'Afrique, CFI TV, avait également été créée par la France à la fin des années 90 et rencontrait des succès d'audience très importants en Afrique francophone. Mais cette chaîne a été, quelques années plus tard, sacrifiée pour des raisons politiques franco-françaises (elle faisait concurrence à TV5monde et son format de chaîne "populaire" était mal compris/accepté, notamment dans le milieu diplomatique), au détriment de l'influence de la France en Afrique. La SOFIRAD exploitait d'ailleurs à la même époque - via sa filiale Portinvest - un bouquet satellite de chaînes francophones pour l'Afrique qui permettait de toucher les classes populaires et moyennes. Il a lui aussi été abandonné quelques années plus tard.
Autre exemple plus récent qui illustre ces travers : alors que France 24 et Radio France Internationale disposent de moyens inférieurs à ceux des Allemands, des Britanniques, des Russes ou des Américains, une version espagnole de France 24 a été lancée en 2017 pour l'Amérique latine. Pourtant, cette région du monde ne figurait pas à l'époque, comme l'a souligné la Cour des comptes en 2021 - et ne figure toujours pas - dans la liste des priorités (Europe, Afrique, Méditerranée, Indo-Pacifique) du Quai d'Orsay rappelées par la Ministre Catherine Colonna en juillet 2022. Cette décision de créer cette chaîne en espagnol n'est pas sans conséquences : au sein du groupe France Médias Monde, les moyens manquent aujourd'hui pour développer l'offre éditoriale en langues africaines, en arabe ou en russe alors que France 24 en espagnol pour l'Amérique latine mobilise plusieurs millions d'euros par an…
Ainsi, malgré la proximité géographique et les enjeux politiques sur le front Est de l'Europe, l'offre éditoriale en russe n'était pas considérée comme prioritaire par France Médias Monde avant le déclenchement de la guerre en Ukraine. Sur le front méridional, malgré les risques pour l'Europe liés à l'instabilité de la zone, malgré la priorité politique et diplomatique constante affichée par la France pour le monde arabe, France Médias Monde a envisagé, de manière surprenante, de supprimer en 2019 la radio arabophone française historique, Monte Carlo Doualiya, comme l'indique le rapport de la Cour des comptes. Cette radio, qui a malheureusement fait l'objet de peu d'attention depuis 20 ans, reste pourtant un symbole médiatique français dans le monde arabe. Le nom "Monte Carlo" résonne encore aujourd’hui dans la tête de nombreux Libanais, Irakiens, Palestiniens ou Égyptiens.
Le succès d'une politique d'influence - et notamment de sa composante médiatique - doit s'appuyer sur une vision, de la cohérence, de la constance et une bonne coordination entre les acteurs qui agissent à l'étranger (État, entreprises, ONG…). Considérer que les succès des Chinois, des Turcs ou des Russes ne sont dus qu’aux moyens budgétaires dont ils disposent conduirait à fausser nos analyses et à ne pas remettre en question nos propres politiques et nos méthodes. Les Routes de la soie chinoise reposent sur une vision qui s’inscrit sur le temps long. Pour s'implanter en Afrique, les Turcs ont délibérément ciblé certains pays sur lesquels ils ont concentré leurs moyens et leurs actions.
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