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02/08/2022

Population mondiale : moins que prévu en 2100 ?

Population mondiale : moins que prévu en 2100 ?
 Bruno Tertrais
Auteur
Expert Associé - Géopolitique, Relations Internationales et Démographie

Nous serons 8 milliards le 15 novembre 2022. Cette date n’est évidemment qu’un repère symbolique, même si l’on peut compter sur certains médias en mal de sensationnalisme pour tendre d’assister à la naissance du « huit milliardième être humain sur terre ». Mais les commentateurs ont déjà noté que ce serait le jour de la Conférence internationale annuelle sur le planning familial…  

Tous les deux ans, la Division de la population de l’Organisation des Nations-Unies (ONU) publie des projections démographiques très attendues et qui font référence. La dernière date de 2019, la pandémie ayant retardé les travaux. Comme les précédentes, celle de 2022 est riche d’enseignements.  

On y apprend notamment que depuis 2019, et pour la première fois depuis 1950, le taux d’accroissement de la population mondiale est passé en-dessous de 1 %. C’était 2,3 % dans les années 1960. Quant au taux de fécondité, il est aujourd’hui de 2,3 enfants par femme, contre 5 dans les années 1950. 

L’impact du COVID-19 est estimé par l’ONU à 15 millions de morts (excès de mortalité au regard de ce qui était attendu sans la pandémie) pour les années 2020-2021, une évaluation cohérente avec d’autres, suffisante pour avoir affecté l’espérance de vie mais non pour bouleverser la donne démographique mondiale.     

Comme nous l’avions rappelé en mai, une étude parue dans The Lancet fin 2020 a bousculé les démographes. Basée sur un grand nombre de paramètres sociaux et économiques, elle concluait à une réduction assez rapide de la population mondiale à la fin du siècle, pour atteindre 8,7 milliards de personnes en 2100. 

L'ONU prévoit désormais, pour la fin du siècle, un monde de 10,4 milliards d’habitants.

L’ONU continue d’avoir ses propres méthodes, mais sa projection « principale » pour 2100 est désormais un peu plus proche de celle du Lancet. Elle prévoit désormais, pour la fin du siècle, un monde de 10,4 milliards d’habitants (contre 10,8 dans les projections faites en 2019).

Avec un différentiel plus important que prévu en 2019 entre l’Inde et la Chine : la première aurait 1,5 milliard d’habitants, tandis que la seconde se serait effondrée à 766 millions d’habitants. L’Inde dépassera la Chine un peu plus tôt que prévu (en 2023). 

Les deux études présentent des conclusions très différentes pour d’autres pays très peuplés tels que le Nigéria ou le Pakistan, et surtout pour l’Afrique subsaharienne. The Lancet envisage une population de 3,07 milliards d’habitants dans le sous-continent, l’ONU est plus conservatrice avec 3,44 milliards.   

Ces différences tiennent essentiellement aux scénarios de fécondité. L’étude du Lancet estime que cette fécondité déclinera plus tôt que prévu par l’ONU en Afrique subsaharienne et continuera sa chute en Asie. Elle projette ainsi un indice de fécondité (nombre moyen d’enfants par femme) de 1,66 en moyenne à l’échelle mondiale, contre 1,84 pour l’ONU. Dans le premier cas, la projection est basée sur des modèles de développement futur qui prennent en compte l’éducation des femmes, l’accès à la contraception, etc. Dans le second, on se base essentiellement sur des tendances à long terme établies à partir de l’expérience historique. Mais dans les deux cas, c’est une vision plutôt optimiste du développement qui prévaut. Trop optimiste ? Certains analystes rappellent que l’ONU a longtemps sous-estimé la croissance de l’Afrique subsaharienne, prévoyant à tort qu’elle « rattraperait » les autres régions assez rapidement. Ce qui n’a pas été le cas, la « transition démographique » étant beaucoup plus lente dans les pays du sous-continent que cela n’a été le cas dans les autres régions du monde. L’ONU reste donc plus prudente que l’étude du Lancet, même si elle s’en « rapproche » quelque peu, notamment en prévoyant que l’Afrique subsaharienne atteindrait le taux de remplacement (2,0 enfants par femme) à la fin du siècle. 

Au bilan, on commence à voir converger les scénarios pour 2100 proposés par les démographes, même avec des méthodes différentes : 8,7 milliards d’humains sur la planète à la fin du siècle pour The Lancet, 9,5 milliards pour l’International Institute for Applied Systems Analysis (IIASA), le célèbre institut viennois, et désormais 10,4 milliards pour l’ONU.

 L’Inde dépassera la Chine un peu plus tôt que prévu (en 2023)

Une chose est claire : le sens de l’histoire, pour les spécialistes, est celui d’une stabilisation de la population mondiale au cours de la seconde moitié du siècle. Pour The Lancet, le « pic » interviendra dès 2064 (9,73 milliards). Pour l’ONU, ce ne sera pas avant 2086 (10,4 milliards).   

Autre tendance confirmée par les derniers travaux des démographes : la décroissance de la population de pays de plus en plus nombreux. D’après l’étude du Lancet, pas moins de 23 d’entre eux, soit un peu plus de 10 % des pays du monde, perdront plus de la moitié de leur population actuelle d’ici 2100. Ils sont situés en Asie du nord-est, en Europe du sud, mais surtout en Europe centrale et orientale. Prise dans son ensemble, l’Europe ne croit plus, depuis le milieu des années 2010, que par l’immigration et seuls quelques pays, dont la France et le Royaume-Uni, ont encore un “accroissement naturel” vigoureux. Mais la crise démographique des pays de l’Est du continent prend des proportions de plus en plus désastreuses. Pour rappel, les pays concernés vivent ce que nous avons appelé une « triple peine démographique » : baisse de la natalité (taux de fécondité inférieur à 1,5 depuis plus de vingt ans), hausse de la mortalité, et surtout accroissement de l’émigration, qui est responsable d’au moins la moitié, et parfois de près des trois-quarts de la baisse démographique. La Géorgie, la Lettonie, la Lituanie et la Bosnie-Herzégovine ont déjà perdu plus de 20% de leur population depuis leur indépendance. 

Le gouvernement croate estime que sur les 556 communes du pays, 295 sont « menacées d’extinction ».

Or ça ne s’arrange pas – c’est le moins que l’on puisse dire. En Bulgarie et en Croatie, les recensements décennaux publiés début 2022 ont fait plus que confirmer ces tendances. Le gouvernement croate estime que sur les 556 communes du pays, 295 sont « menacées d’extinction ». Et d’après une étude de l’Académie des sciences de Bulgarie réalisée en 2021, plus des deux-tiers du territoire national seront de véritables « déserts démographiques ».

La Croatie a perdu près de 10% de sa population en dix ans et a aujourd’hui une population du même ordre que dans l’après-guerre (3,8 millions d’habitants). La Bulgarie, elle (6,5 millions), en revient à celle des années 1930…   

Les dernières données de l’ONU confirment que la Bulgarie, la Lettonie, la Lituanie, la Serbie et l’Ukraine (sur la base de l’avant-guerre) perdront encore plus de 20% de leur population, et parfois beaucoup plus, d’ici 2050. Et la guerre ne va évidemment rien arranger pour l’Ukraine mais aussi pour la Russie, où l’émigration s’accélère – nous y reviendrons dans quelques mois. 

Seule lueur d’espoir : l’émigration est réversible. Après avoir longtemps été, lorsque les frontières de l’Europe se sont ouvertes (dès avant l’entrée dans l’UE pour certains pays), des terres d’émigration, certains États, au fur et à mesure de leur modernisation, ont pu devenir des pays d’accueil. C’est notamment le cas de la Pologne, depuis longtemps ouverte aux travailleurs ukrainiens. 

 

Copyright :  NIKLAS HALLE'N / AFP

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