AccueilExpressions par MontaigneNouvelle coalition allemande : à l'ombre de MerkelL'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.01/12/2021Nouvelle coalition allemande : à l'ombre de Merkel Union Européenne EuropeImprimerPARTAGERAuteur Alexandre Robinet-Borgomano Expert Associé - Allemagne Si deux mois de négociation entre le SPD, les Verts et la FDP, ont suffi à produire un nouveau contrat de coalition en Allemagne, les seize années de pouvoir exercées par la chancelière planent incontestablement sur cet accord. En mettant en exergue la notion de progrès, la feuille de route proposée par le nouveau gouvernement allemand apparaît comme une réponse à l'immobilisme des années Merkel. Paradoxalement, l’ambition articulée dans ce texte dévoile également l’intensité du processus de modernisation conduit par la Chancelière, à l’écart des grands discours et sans à-coups. Alexandre Robinet-Borgomano, responsable du programme Allemagne de l’Institut Montaigne, analyse le nouveau contrat de coalition et l’alliance qui gouvernera demain la première économie d’Europe. Une alliance progressiste en Allemagne Après deux mois de négociations intenses menées dans le plus grand secret, le parti social démocrate (SPD), les Verts et les Libéraux sont parvenus à s’entendre sur la formation d’un nouveau gouvernement, en présentant le 24 novembre 2021 un contrat de coalition intitulé "Oser davantage de progrès". Directement inspiré du slogan de l’ancien Chancelier social-démocrate Willy Brandt, qui appelait dans son discours de politique générale en 1969 à "oser davantage de démocratie", ce nouveau programme gouvernemental place la notion de progrès au centre de son action, dans l’espoir de concilier trois forces politiques appelées à gouverner ensemble au niveau fédéral pour la première fois. Il revient désormais à cette coalition dite "feu tricolore" de proposer une nouvelle définition du "progressisme politique", que le Président Macron a tenté d’incarner depuis son accession au pouvoir, en juin 2017. Si l’expression du progressisme formulée dans le nouveau contrat de coalition présente des convergences évidentes avec la vision politique du Président français - notamment en matière de politique européenne et de soutien à l'investissement - on constate, sur le plan sociétal, une volonté de lier la confiance dans le progrès et la protection des catégories les plus fragiles. Cette ambition manifeste la reconnaissance du risque que le progrès technique et la mondialisation font peser sur la cohésion des sociétés occidentales. La nouvelle coalition allemande lie ainsi la confiance dans le progrès et l’avènement d’une "société du respect", afin de donner un élan original à la sociale-démocratie. La modernisation de l’Allemagne Dirigée par l’ancien Vice-Chancelier et Ministre des finances Olaf Scholz, cette nouvelle coalition promet de transformer et de moderniser l’Allemagne, sans véritable volonté de rupture par rapport aux années Merkel. Dans une interview accordée à la télévision allemande, le futur Chancelier a insisté sur sa volonté de promouvoir une société plus progressiste (fortschritliche Gesellschaft) en rappelant les avancées que son parti, le SPD, avait contribué à initier lorsqu’il gouvernait avec l’Union chrétienne-démocrate d’Angela Merkel - de la reconnaissance du mariage homosexuel à l’introduction du salaire minimum. Cette nouvelle coalition promet de transformer et de moderniser l’Allemagne, sans véritable volonté de rupture par rapport aux années Merkel.Pourtant, tout en assumant l’héritage de la Chancelière, la nouvelle coalition propose un programme de gouvernement qui peut se lire comme une réponse aux principales "failles" de la politique menée par Angela Merkel au cours des seize dernières années. À bien des égards, ces seize années de prospérité et de stabilité ont également été marquées par un sentiment d’immobilisme. Un effort d’investissement massif doit ainsi permettre à l’Allemagne de combler son retard en matière d'infrastructures de transport et de numérisation, ainsi que d’initier la construction de 400 000 nouveaux logements par an, en faisant de la prochaine décennie une "décennie d'investissements". La modernisation de l’administration et l’abolition des contraintes bureaucratiques qui pèsent sur les entreprises et les citoyens doivent également participer à la libération de l'initiative privée. La définition d’une nouvelle ambition climatique doit, par ailleurs, permettre à l’Allemagne de tenir ses engagements en matière de protection de l’environnement. La sortie du charbon doit, "dans la mesure du possible" (möglichst), être réalisée à l’horizon 2030 et non plus en 2038. Celle-ci doit s’accompagner d’un soutien massif aux énergies renouvelables pour leur permettre de couvrir 80 % des besoins du pays, tout en reléguant dans le passé le moteur à combustion à ce même horizon. La nouvelle coalition semble ainsi prendre au sérieux l'arrêt de la Cour de Karlsruhe, qui a jugé le 24 avril 2021 que le manque d’ambition de la politique climatique allemande menaçait la liberté des générations futures. Plusieurs mesures sociétales fortes contribuent à renforcer le profil progressiste de l’alliance : une meilleure prise en compte des minorités sexuelles, l’abaissement à 16 ans de l'âge légal de vote ou encore la légalisation du cannabis. Mais l’ambition de la nouvelle coalition s’exprime essentiellement à travers deux réformes, susceptibles à elles seules de transformer durablement l’Allemagne : l'élévation à 12 euros du salaire minimum, qui vise à assurer une meilleure répartition de la valeur ajoutée, et la réforme du droit des étrangers, qui doit permettre à ceux-ci d’accéder plus facilement à la nationalité allemande. La notion de progrès confère ainsi à ce texte - qui propose des mesures sociales fortes, reliées à une nouvelle ambition climatique et une volonté de libérer les forces vives de la société - sa cohérence et son ambition. Sans rien proposer de révolutionnaire, ce texte juxtapose les conceptions sociale-démocrate, écologiste et libérale du progrès. Pourtant, comme l’explique la Neue Zürcher Zeitung, cette juxtaposition positive est loin d'être exempte de contradictions. Plusieurs points de divergences, comme le projet Nord Stream 2 ou la nécessité d'élever certains impôts et d'assouplir les règles budgétaires pour assurer une "décennie d’investissements", sont tout simplement occultés dans ce texte. C’est ainsi l’épreuve du pouvoir qui rendra compte de la solidité de cette coalition, ainsi que de la cohésion de la nouvelle équipe gouvernementale.Le renouveau de la politique extérieure Le contrat de coalition s’accompagne d’une répartition des postes qui traduit la volonté de donner à chaque parti une responsabilité propre dans la conduite de sa politique. Pour accompagner les réformes sociétales, le SPD hérite de la Chancellerie (Olaf Scholz), du ministère du Travail et des Affaires sociales (Hubertus Heil), du ministère du Logement, du ministère de l'Intérieur, mais également de celui de la Défense. Pour accompagner la modernisation de l’Allemagne tout en veillant au maintien de l’équilibre des comptes publics, les Libéraux sont parvenus à imposer leur chef au ministère des Finances (Christian Lindner), à sécuriser celui des Transports et des infrastructures numériques (Volker Wissing) et celui de la Recherche (Bettina Stark-Watzinger). Les Verts seront quant à eux en charge du verdissement de l’économie allemande, puisqu’ils héritent du "super-ministère" de l’Économie, de l’énergie et du climat (Robert Habeck, le nouvel homme fort du gouvernement) du ministère de l’Environnement et de celui de l’Agriculture (Cem Ozdemir). Pour la première fois de son histoire, la politique étrangère de l’Allemagne sera conduite par une femme, la co-présidente des Verts Annalena Baerbock. La présence au gouvernement de deux partis, le SPD et les Verts, marqués en interne par de forts courants anti-militaristes et non-interventionnistes, aurait pu faire craindre un recul vis-à-vis de la volonté affichée par l’Allemagne d’assumer davantage de responsabilités sur la scène internationale. En matière de défense, le contrat de coalition révèle cependant la victoire des courants "réalistes", puisque le nouveau gouvernement approuve la notion stratégique de partage nucléaire (Nuclear Sharing) et valide l’utilisation de drones pour protéger les troupes sur le terrain. Pour la première fois de son histoire, la politique étrangère de l’Allemagne sera conduite par une femme, la co-présidente des Verts Annalena Baerbock.Sans toutefois faire référence à l'objectif d’allocation de 2 % du PIB au budget de défense, la nouvelle coalition s’engage à assumer ses engagements au sein de l’Alliance : "L’OTAN reste le fondement indispensable de notre sécurité. Nous nous engageons à renforcer l’alliance transatlantique et à partager équitablement les charges." Cet engagement fort en faveur de la relation transatlantique représente un élément de continuité par rapport à l’ère précédente, durant laquelle la Chancelière et sa Ministre de la défense, Annegret Kramp-Karrenbauer, rappelaient qu’en matière militaire, les Étatsmembres devaient "devenir plus européens pour rester transatlantiques". Cet engagement est désormais renforcé par un positionnement plus clair de l’Allemagne aux côtés des États-Unis dans son rapport à la Chine. L’accord de coalition précise ainsi que le nouveau gouvernement aspire "à une étroite concertation transatlantique en matière de politique chinoise, et cherchera à coopérer avec ses partenaires pour réduire les dépendances stratégiques". L'accord de coalition mentionne explicitement Taïwan, la question du Xinjiang et celle de Hong-Kong, en affirmant vouloir davantage lier la politique étrangère au respect des droits de l’Homme. Comme l’explique un article du journal allemand Die Zeit, la nouvelle coalition entend rompre avec la naïveté qui marquait jusqu’alors la relation de l’Allemagne vis-à-vis de la Chine, et ouvre la voix à la définition d’une nouvelle politique chinoise, plus européenne et plus souveraine. Un nouvel élan européenPour la nouvelle ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, attachée à défendre l’État de droit en Europe et à montrer un visage plus ferme vis-à-vis de la Russie de Poutine, "une politique étrangère allemande forte ne peut être qu’européenne". La défense d’une souveraineté stratégique européenne, explicitement mentionnée dans le contrat de coalition, est l’expression la plus claire du positionnement résolument pro-européen du nouveau gouvernement - et de son rapprochement avec la vision de l’Europe défendue par le Président français Emmanuel Macron. Contrairement à la position défendue par l’Allemagne d’Angela Merkel, le nouveau gouvernement accepte l'idée d’avancer avec un petit groupe d'États sur des projets concrets et entend réformer le fonctionnement des institutions européennes, en soutenant une révision des traités. La coalition s’engage par ailleurs à promouvoir une véritable politique étrangère, de sécurité et de défense commune en Europe, en proposant notamment de remplacer la règle de l’unanimité par un vote à la majorité qualifiée, afin de permettre à l’UE d’agir de manière plus efficace et plus unie sur la scène internationale.La défense d’une souveraineté stratégique européenne, explicitement mentionnée dans le contrat de coalition, est l’expression la plus claire du positionnement résolument pro-européen du nouveau gouvernement.Même s’il continue de voir le fond de relance européen Next generation EU comme "un instrument limité dans le temps et limité dans son montant", le nouveau gouvernement propose un grand plan d'investissement européen, qui doit permettre la création d’une infrastructure numérique européenne, d’un réseau ferroviaire commun, d’une infrastructure énergétique pour l’électricité renouvelable et l’hydrogène et d’une capacité de recherche et développement de niveau mondial. Enfin, du point de vue de la politique budgétaire et au sujet de l’avenir du pacte de stabilité et de croissance, la nouvelle coalition retient une formulation suffisamment vague pour satisfaire ses partenaires européens, qui voient dans cet instrument un vestige du passé : "Le pacte de stabilité et de croissance (PSC) a prouvé sa flexibilité. Sur sa base, nous voulons garantir la croissance, maintenir la viabilité de la dette et veiller à des investissements durables et respectueux du climat. L’évolution des règles budgétaires devrait s’orienter vers ces objectifs afin de renforcer leur efficacité face aux défis de notre époque."Si le nouveau gouvernement allemand opère un rapprochement incontestable avec la vision européenne soutenue par la France, en soutenant notamment l’introduction d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, plusieurs sujets affleurent dans ce texte comme d’éventuels points de tension entre la France et l’Allemagne : sur le sujet du nucléaire, l’Allemagne rappelle sa volonté d’encourager la fermeture des centrales situées à proximité de ses frontières ; sur le sujet de la politique spatiale, elle confirme sa volonté d’encourager une voie proprement nationale ; en proposant une grande offensive européenne en faveur du désarmement et du renforcement du contrôle des exportations d’armes, la nouvelle coalition fragilise durablement le potentiel de coopération franco-allemande dans le domaine de l’industrie d’armement ; sur le thème de l’Europe sociale, enfin, on constate que si l’Allemagne élève son salaire minimum à 12 euros, elle ne soutient pas explicitement l'introduction d’un salaire minimum européen, sans doute pour permettre à son industrie de continuer de bénéficier des bas salaires de l’Europe orientale. Conclusion Les promesses de réformes contenues dans le nouvel accord de coalition entendent rompre avec la pratique du pouvoir telle qu'exercée par Angela Merkel durant seize années, des années de stabilité et de prospérité, dépourvues de grandes réformes et marquées par un investissement insuffisant dans l’avenir du pays. Pour autant, ces promesses progressistes apparaissent comme l’aboutissement des transformations initiées durant les années Merkel. Comment imaginer couvrir 80 % des besoins énergétiques du pays à partir des énergies renouvelables dès 2030, sans le développement massif de l’éolien et du solaire qui avait accompagné la sortie du nucléaire en 2011 ? Comment imaginer une reconnaissance de l’Allemagne comme pays d’immigration, sans cette rupture fondamentale que constitue la décision de la Chancelière d'accueillir en 2015 un million de réfugiés ? Comment imaginer l’affirmation souveraine de l’Europe et de l’Allemagne sur la scène internationale, sans l'élévation continue des budgets de la défense, pratiquée depuis 2015 et qui conduit les dépenses militaires de l’Allemagne à dépasser aujourd'hui les dépenses françaises en volume ? Et comment imaginer l’Allemagne à la veille d’une "décennie d’investissement", sans la décision historique de la Chancelière de soutenir le plan de relance européen, brisant ainsi le totem de l'orthodoxie budgétaire allemande ? Les promesses de progrès contenues dans l’accord de coalition apparaissent ainsi comme l’achèvement d’un processus de modernisation de l’Allemagne initié sous la Chancelière, à l’écart des grands discours et sans à-coups. Copyright : Odd ANDERSEN / AFPImprimerPARTAGERcontenus associés 30/09/2021 Quel Chancelier pour l’Allemagne ? Alexandre Robinet-Borgomano 24/09/2021 Allemagne : trois leçons de la campagne Alexandre Robinet-Borgomano