Quant à elle, pour la première fois, ils sont plus nombreux à la voir comme la représentante "d'une droite patriote attachée aux valeurs traditionnelles" (46 %) plutôt qu'une "extrême droite nationaliste et xénophobe" (41 %).
Cette stratégie lui a notamment permis d'attirer un électorat féminin, rebuté par les propos violents et volontiers sexistes de son père, et de combler ce "radical right gender gap", soit l'écart pouvant aller jusqu'à 6-7 points entre le niveau de soutien des femmes et des hommes.
Mais son parti inquiète encore. Après les élections, 70 % des sondés placent le RN à l’extrême droite, 58 % y voient un danger pour la démocratie, 57 % un parti xénophobe selon l’étude de la Fondapol. Une partie de l'appareil du RN n'a jamais adhéré à cette stratégie de "dédiabolisation" et reste très attachée aux fondamentaux, à une ligne dure sans concession. Ces tensions entre radicaux et pragmatiques ne sont pas spécifiques au RN, elles sont en train de miner l'AfD allemande, maintenant en perte de vitesse. Elles ont amené le FPÖ autrichien à l'éclatement après son passage au pouvoir entre 1999 et 2002, ainsi que le parti des Vrais Finlandais après son passage au gouvernement en 2017. Le débat récent à l'Assemblée autour de l'inscription dans la Constitution du droit à l'avortement est un bon révélateur de divisions potentielles au sein du RN. Marine Le Pen répond "Pourquoi pas ? " alors que les députés du RN comptent plusieurs militants et militantes pro-vie qui y sont farouchement opposés.
Surtout, le RN n'est pas allé au bout de sa mue. Au cœur de son programme figure toujours le principe de la préférence ou priorité nationale, en matière de logement, d'emploi, d'aides sociales, contraire au principe constitutionnel de l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Il remet en cause le droit d’asile, le regroupement familial, le droit du sol. Il affirme la supériorité du droit français sur le droit européen et international. Autant de mesures contraires aux valeurs et principes de la République et à nombre d'engagements internationaux de la France. Le discours nostalgique de l'Algérie française du doyen d’âge, le député RN José Gonzalez, lors de la séance d'ouverture de l'Assemblée nationale, validé par Marine le Pen, et ses réponses évasives à la presse sur l'OAS et les crimes de l’armée française en Algérie illustrent bien ces contradictions.
Comment cette victoire s'inscrit-elle dans le processus plus large de normalisation des droites radicales en Europe ?
La dynamique électorale des droites radicales populistes en Europe à partir des années 1990 tient largement à leur volonté affichée de se démarquer de l'héritage fasciste ou nazi pour intégrer le jeu politique démocratique. Celles qui réussissent le mieux sont celles qui mettent en œuvre, comme Marine le Pen, une stratégie de respectabilisation et de "mainstreaming", au moins de façade. Mais comme l’a bien montré Jan Werner Müller les processus sont très contrastés d’un pays à l'autre. Il y en a où ces droites sont depuis longtemps au pouvoir, comme le Fidesz en Hongrie ou le PIS en Pologne. Au départ, ce sont des partis conservateurs qui se sont radicalisés. Aujourd'hui ils sont sur la voie non pas d'une normalisation mais d'une régression démocratique, celle des démocraties illibérales au sens de Fareed Zakaria, remettant en cause ouvertement les principes du libéralisme politique tels que la séparation des pouvoirs, l'indépendance de la justice, les droits fondamentaux. Dans d'autres pays, ces droites radicales participent à des gouvernements de coalition, le plus souvent avec les conservateurs. C'est le cas du MSI italien, entrant dans le gouvernement de Berlusconi en 1994 avant même sa mue démocratique en Alleanza nazionale. C'est le cas également du FPÖ autrichien associé à l'ÖVP en 1999-2002, puis de nouveau de 2017 à 2019. Idem enfin pour l’UDC suisse représentée au Conseil fédéral dès 2003, le Parti du progrès norvégien (2014), les Vrais Finlandais (2015) et plus récemment en Italie, le gouvernement de coalition formé par la Lega et le Mouvement populiste Cinq Étoiles (2018). Ailleurs, ces partis soutiennent le gouvernement sans y entrer, infléchissant sa politique migratoire, comme le Parti du peuple danois, ou le PVV de Geert Wilders aux Pays Bas. Rares sont les pays où les partis de gouvernement établissent encore contre ces droites un "cordon sanitaire".
Ajouter un commentaire