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13/09/2022

Inégalités de santé entre femmes et hommes : comment agir concrètement ?

Inégalités de santé entre femmes et hommes : comment agir concrètement ?
 Catherine Vidal
Neurobiologiste, Directrice de recherche honoraire à l'Institut Pasteur de Paris.

Depuis une dizaine d'années, de nombreux travaux de recherche s'intéressent aux inégalités de santé entre les femmes et les hommes et à l’influence des représentations de genre sur la prise en charge et la détection de certaines pathologies. Auteure d'un rapport du Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes, intitulé " Prendre en compte le sexe et le genre pour mieux soigner : un enjeu de santé publique", la neurobiologiste Catherine Vidal a répondu à nos questions pour expliciter les défis et les actions à mener. 

Le rapport du Haut Conseil à l'Égalité montre que le fait d'être une femme ou un homme peut jouer un rôle important dans le diagnostic de certaines maladies, notamment les maladies cardio-vasculaires ou la dépression. Pouvez-vous expliquer plus précisément ce phénomène et son incidence sur le recours aux soins et la prise en charge ?

Il faut situer cette question dans un contexte de recherches menées au niveau international. Depuis une dizaine d'années, de nombreux travaux sur le thème Genre et Santé ont révélé à quel point l'interaction entre les facteurs biologiques, socioculturels et politiques est un élément clé pour comprendre les inégalités de santé entre femmes et hommes. Il est important de faire la distinction entre les différences de santé liées au sexe et les inégalités de santé liées au genre. Lorsque l'on parle de différences de santé, on se réfère essentiellement aux déterminants du sexe biologique, alors que les inégalités de santé concernent les facteurs socioculturels et économiques liés au genre. Ainsi les codes sociaux de genre chez les patient(e)s influencent l'expression des symptômes, le rapport au corps et le recours aux soins. De la même manière, chez les professionnels de santé, les représentations sociales des maladies dites féminines ou masculines influencent l'interprétation des signes cliniques et la prise en charge médicale. Ces normes de genre viennent de loin car la médecine a été construite historiquement autour du corps masculin (paramètres physiopathologiques, description des symptômes, posologie, etc.). Ces éléments sont détaillés dans le rapport du Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes. 

Un exemple éloquent de l'influence des stéréotypes de genre sur la prise en charge médicale est l'infarctus du myocarde. Cette pathologie a longtemps été considérée comme une maladie touchant quasi-exclusivement les hommes dans la cinquantaine, et stressés au travail. Par conséquent les femmes, insuffisamment informées, sont moins vigilantes à des signes évocateurs de troubles cardiaques. Une étude menée par le service de cardiologie de l'hôpital Lariboisière a montré que les femmes victimes d'un infarctus du myocarde appelaient le SAMU en moyenne 15 minutes plus tard que les hommes. 

Un exemple éloquent de l'influence des stéréotypes de genre sur la prise en charge médicale est l'infarctus du myocarde. 

La perception de cette pathologie comme masculine se traduit de fait par un sous-diagnostic et un défaut de prise en charge des femmes. Elles sont deux fois plus nombreuses à décéder à l'hôpital à la suite d'un infarctus. En Angleterre, une enquête révèle que dans plus d'un cas sur trois, les médecins généralistes et les cardiologues n'avaient pas fait le bon diagnostic en cas de suspicion d'infarctus. Ces enquêtes montrent l'importance de la prise en compte du genre pour analyser les pathologies de façon plus pertinente et poser de meilleurs diagnostics

À l'inverse, la dépression apparaît comme une pathologie plutôt "féminine", les femmes étant en moyenne deux fois plus touchées par les troubles dépressifs que les hommes. Une explication longtemps avancée de la plus forte vulnérabilité des femmes à la dépression est l'influence des fluctuations hormonales liées aux menstruations, la grossesse, le post-partum, la ménopause… Or des recherches récentes montrent que les facteurs biologiques ne jouent qu’un rôle minime face à l'influence de l'environnement socioculturel et économique qui expose davantage les femmes aux risques de dépression. Les emplois précaires, le manque de ressources, les charges domestiques et familiales et les violences sexistes et sexuelles constituent en effet un risque majeur pour la santé mentale et physique des femmes (blessures traumatiques et gynécologiques, troubles psychiques et psychosomatiques, anxiété, conduites addictives, troubles du sommeil…).
 
Un autre exemple de l'influence des tabous et des préjugés de genre sur la santé est l'endométriose, une maladie très longtemps ignorée. Elle n'a été reconnue en tant que pathologie organique que dans les années 1990, et ce n'est que 20 ans après, en 2019, qu'un plan national pour informer la population et former les médecins a vu le jour. Elle est depuis 2022 reconnue comme une maladie chronique de longue durée. Sachant qu'elle est une cause majeure d'arrêt de travail, il est impératif de former les inspecteurs du travail et les DRH sur cette pathologie, de même que les infirmièr(e)s scolaires.

Enfin, il faut souligner que la précarité économique est un facteur majeur d'inégalité entre les femmes et les hommes dans l'accès au soin et la prise en charge médicale. Les femmes sont plus touchées par la précarité économique : elles constituent 70 % des travailleurs pauvres, occupent 82 % des emplois à temps partiel et représentent 85 % des familles monoparentales dont une sur trois vit sous le seuil de pauvreté. Le manque de ressources se traduit par le renoncement aux soins et par une dégradation de l'hygiène de vie : logements dégradés, mauvaise alimentation, consommation d'alcool, sédentarité, etc.

Concernant la recherche clinique et biomédicale, d'importants progrès ont été faits dans la prise en compte du sexe et du genre au cours des dix dernières années. Par exemple, si les femmes étaient sous-représentées dans les essais cliniques il y a encore 15 ans, ce n’est plus le cas aujourd’hui, ce qui constitue une véritable avancée.  

Comment se situe la France par rapport à ses voisins dans la prise en compte des inégalités de santé entre les hommes et les femmes ?

La France a affiché un certain retard : les études pionnières sur le thème Genre et Santé viennent des États-Unis dans les années 1960-1970, au moment des premières revendications féministes sur le droit à l’avortement et à la contraception. 

Le sujet de la santé sexuelle et reproductive a été élargi à la santé des femmes en général avec la dénonciation de leur sous-représentation dans les essais cliniques et de sous-diagnostic de certaines pathologies. Des institutions de recherche sur le thème Genre et Santé ont été créées aux États-Unis à partir de 1990 et dans les pays d'Europe du Nord dans les années 2000. L'OMS s’est également emparée du sujet en 1995 et le Conseil de l'Europe à partir de 2008. 

La France a affiché un certain retard : les études pionnières sur le thème Genre et Santé viennent des États-Unis dans les années 1960-1970.

En France, le sujet Genre et Santé est abordé depuis les années 2010 par des instances nationales dans divers rapports : un premier rapport du CESE (2010), des rapports commandités par le Sénat et l'Assemblée nationale (2015), et depuis 2017 des rapports du Haut Conseil à l'Egalité, de la HAS etc. Côté recherche, le comité d'éthique de l'Inserm a créé en 2013 un groupe de travail sur "Genre et Recherche en Santé". Depuis, de nombreuses initiatives ont vu le jour sur ces questions. En 2017, le premier grand colloque international tenu en France sur Genre et Santé a été organisé par l'Inserm, avec également des clips vidéo pour sensibiliser le grand public. En 2020, le projet GENDHI (Gender and health inequalities) coordonné par Nathalie Bajos a reçu un financement très important de l'Europe (10 millions d’euros sur une période de 6 ans) pour développer les recherches sur les inégalités de santé.

Quelles recommandations porteriez-vous pour lutter contre les inégalités de santé dans les politiques publiques et dans les cursus de formation ?

Plusieurs actions peuvent être menées à différents niveaux. Je les résumerai ainsi : 

  • Sensibiliser et former les personnels soignants à prendre en compte les interactions entre sexe et genre dans les pathologies
  1. Une formation initiale des étudiants devrait être mise en place au cours des études médicales et paramédicales. Dans ce domaine, l'Université de Lausanne est pionnière : elle a créé des formations obligatoires pendant tous les cursus des études en santé sur les questions de genre et de santé. Le projet est monté au niveau fédéral, et la thématique compte désormais parmi les objectifs suisses d’enseignement pour la médecine. 
  2. Une formation continue de tous les professionnels de santé sur la prise en compte du genre - associée au sexe - dans les pathologies, avec en particulier une formation au dépistage des violences.
  • Soutenir les recherches pluridisciplinaires sur le sexe et le genre dans la santé : avec la création d'un Institut Français sur "Genre et Santé", à l'instar de ceux d'autres pays européens. 
  • Garantir l’accès aux soins pour les femmes en situation de précarité : informer des droits et guider vers les bons parcours de soins (dispositifs "d’aller vers").
  • Interagir avec les instances de décision pour mettre en œuvre des politiques de prévention et de santé publique mieux ciblées au bénéfice de la santé des femmes et des hommes.

 

 

Copyright : Geoffroy Van der Hasselt / AFP

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