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December 2023

Politique de défense : les dilemmes à l'heure des choix

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L’Institut Montaigne a organisé une conférence consacrée aux dilemmes majeurs de la politique de défense française, dans la continuité de ses travaux consacrés à la question

Après une allocution d’ouverture de Thierry Burkhard, chef d’état-major des armées. La conférence était structurée autour de deux panels :

  • Une première table-ronde sur notre environnement de sécurité et la hiérarchie des menaces autour de : Sir Nick Carter, ancien chef d’état-major des armées britanniques, Florian Colas, directeur national du renseignement et des enquêtes douanières, Muriel Domenach, Ambassadrice, représentante permanente de la France à l’OTAN, notre directeur des études internationales Mathieu Duchâtel et Michel Duclos, notre conseiller spécial - géopolitique et diplomatie.
     
  • La deuxième table-ronde était consacrée à l’environnement de sécurité et les moyens humains et matériels autour de : Michaël Agbohouto, Associé chez Eurogroup Consulting, Nicolas Baverez, Avocat et expert associé - défense à l’Institut Montaigne, Bénédicte Chéron, Maître de conférence à l’Institut Catholique de Paris, Marwan Lahoud, Directeur général délégué de Tikehau Capital et Emmanuel Levacher, Président d’Arquus.
     

L’événement s’est conclu par une intervention de Bernard Cazeneuve, ancien Premier ministre. Les échanges étaient animés par Marie-Pierre de Bailliencourt, directrice générale de l’Institut Montaigne.

Événement défense


Retrouvez les cinq points à retenir de cette conférence :

1. Le bouleversement de l’environnement stratégique et le retour de la guerre 

L’invasion russe de l’Ukraine marque le retour de la primauté de la force sur le droit, dans un ordre international défaillant qui ne remplit pas sa fonction atténuatrice des conflits. Le choix de la guerre peut être attractif parce qu’elle produit des effets immédiats - en 24h, la situation au Haut Karabakh a ainsi connu un dénouement après des décennies de gel. La volonté de certains acteurs de créer un nouvel ordre mondial vise directement ce que l’on peut appeler, par contraste avec toutes les mentions d’un « Sud Global », le « Nord Global » - les démocraties occidentales industrialisées. 
 

2. Hiérarchiser les menaces

Pour les pays de l’OTAN, la Russie est la menace prioritaire - et la convergence sur la perception de l’acuité de cette menace explique à elle seule la résurrection de l’OTAN. Cette menace n’est pas limitée au continent européen - elle porte aussi sur les intérêts français et occidentaux en Afrique. Or le postulat d’une défaite inévitable de la Russie en Ukraine ne fait plus aujourd’hui consensus. Et une défaite ponctuelle n’empêcherait pas la Russie de reconstituer son potentiel militaire pour mener de nouvelles attaques. La Russie recule certes dans son environnement immédiat - en Baltique, après l’adhésion de la Finlande à l’OTAN, et en mer Noire et à Kaliningrad, d’où elle a dû retirer ses forces. Mais sa capacité de nuisance envers l’ordre européen au-delà de l’Ukraine doit demeurer le point cardinal structurant notre effort de défense. 

L’Indopacifique est une zone de conflictualité élevée, au sein de laquelle la Chine, qualifiée de « défi systémique » par le Concept stratégique de l’OTAN, mène une politique expansionniste. La France y a des intérêts de souveraineté et y tisse ses partenariats de défense, en privilégiant aujourd’hui l’Inde, dont l’importance relative s’est accrue à la suite de l’AUKUS. Elle y développe de nouveaux partenariats, aujourd’hui avec l’Indonésie, demain peut-être avec les Philippines. Quelles seraient les conséquences d’une guerre asiatique sur les intérêts français ? La France serait-elle entraînée dans une coalition américaine ? Aujourd’hui, le discours de la “troisième voie” crée beaucoup de confusion, alors que les déploiements de l’armée française sur zone constituent des actes clairs en soutien du droit de la mer, en lien avec nos alliés et partenaires privilégiés. 


3. De la LPM à l’action au sein de l’OTAN 

La France défend un modèle d’armée complet, qui repose sur un héritage et sur une ambition. État doté, elle favorise l’action en coalition, mais peut agir seule si nécessaire, pour la défense de l’Europe ou de ses nombreux territoires ultra-marins. Les 413 milliards d’euros de la Loi de Programmation Militaire représentent un signal démontrant l’effort de la nation en faveur de la défense. La LPM constitue un effort considérable, avec un axe clair de modernisation de la dissuasion et la volonté de retrouver une cohérence sur les forces conventionnelles, la présence outre-mer, le cyber, les drones et l’espace. Mais elle reste une LPM de transition et non de réarmement, de temps de paix et non de temps de guerre.

La France agit dans le cadre de l’OTAN, et doit clarifier son approche en faveur d’un pilier européen de l’OTAN afin d’éviter les malentendus sur la notion d’autonomie stratégique. L’ambition française d’être nation-cadre sous-entend la capacité de rassembler et de mener une coalition. Il est particulièrement important pour la France de travailler au renforcement de la relation de défense franco-britannique, en approfondissant l’héritage de Lancaster House. 
 

4. Enjeux industriels et innovation de défense 

L’innovation de défense est un enjeu central de la compétition stratégique. Elle peut permettre d’assurer la supériorité militaire. Pourtant en temps de guerre, la contradiction entre rusticité et innovation, notamment sur le volume, ne se pose pas réellement - les deux sont nécessaires. 

En amont, personne ne dispose d’un monopole de l’innovation, pas même dans le domaine de la défense. L’enjeu est de concilier les acteurs traditionnels de l’industrie de défense avec l’innovation ouverte qui foisonne dans le pays. Pour cela, il faut faire tomber les barrières qui brident nos capacités, en agissant à la fois sur la mobilisation de ressources humaines et financières, en ouvrant l'écosystème de l’innovation de défense et en ayant une orientation à la fois claire et ajustable de l’innovation. Retrouvez le rapport de l’Institut Montaigne sur le sujet, publié en juin dernier. 

L’annonce par le président de la République du passage à une économie de guerre ne s’est pas concrètement réalisée. La demande faite aux industriels était de produire plus, plus vite et moins cher, en réalité difficilement applicable. Les entreprises de la défense sont volontaires et capables de produire plus, mais de nombreuses forces de résistance à la simplification demeurent, ainsi que des goulots d’étranglement sur les approvisionnements et les ressources humaines. Le contexte inflationniste et concurrentiel pèse par ailleurs sur les prix.
 

5. Quel esprit de défense en France ?

Ces efforts ne peuvent se réduire à une unique dimension militaire. Le bien le plus précieux des Armées est l’humain, mais la cohésion nationale ne concerne pas seulement les armées - et par ailleurs, elles n’en sont pas les seules responsables. Une clarification de la parole publique permettrait à chacun de comprendre son rôle. Si l’armée constitue la colonne vertébrale de la défense nationale, la dimension civile de la défense est primordiale et devrait être davantage mise en avant aujourd’hui. La défense nationale et la cohésion nationale ne peuvent constituer des projets politiques en soi, ce ne sont que des moyens. Demander aux armées d’être le recours à la cohésion nationale les détournerait de leur rôle fondamental.

L’esprit de défense, aujourd’hui de l’ordre surtout de l’invocation politique, doit se diffuser à travers la société civile, via une meilleure compréhension citoyenne du fait militaire et de sa spécificité. Un tel manque de compréhension réduirait l'efficacité des armées en cas de crise existentielle. Au quotidien, le débat démocratique autour des questions de défense en sortirait renforcé et permettrait de contribuer à renforcer le lien national.

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