AccueilRencontres Juillet 2020Les nouvelles frontières de l’enseignement supérieur Éducation EmploiImprimerPARTAGERÀ l’occasion de la parution du sondage "Les nouvelles frontières de l’enseignement supérieur" conduit par l’EDHEC Business School, en partenariat avec l’Institut Montaigne et OpinionWay, Emmanuel Métais, directeur général de l'EDHEC Business School, Laurent Bigorgne, directeur de l’Institut Montaigne, et Bruno Jeanbart, directeur général adjoint d’OpinionWay, ont échangé lors d’un débat modéré par Axelle Paquer, associée chez BearingPoint, sur l’évolution de l’enseignement supérieur face aux défis du numérique, de l'emploi, de l'internationalisation et de l'inclusion sociale.Lien du replay (vidéo Twitter) : https://twitter.com/EDHEC_BSchool/status/1280398234679042048Que pensent les Français de notre système d’enseignement supérieur ? Les chiffres clés du sondageUne étude a été réalisée dans cinq pays (Inde, Afrique du Sud, États-Unis, Royaume-Uni et France) en janvier dernier. Face à la crise du Covid-19, celle-ci a été complétée, du 9 au 19 juin, afin de tenir compte de l’impact de la période du confinement sur l’enseignement supérieur. Les réponses du sondage dressent un portrait positif de l’enseignement supérieur dans l’ensemble des pays concernés, mais certaines attentes demeurent fortes.En France, 81 % des personnes interrogées considèrent que l’enseignement supérieur français a intégré de façon satisfaisante les nouvelles technologies, et 71 % pensent qu’il offre une éducation de qualité, mais quelques points d'amélioration sont à signaler. 41 % des Français par exemple ont le sentiment qu’il faut mieux préparer l’insertion professionnelle, ce qui représente un retard de la France par rapport aux autres pays. Par ailleurs, seuls 53 % des Français trouvent que le digital est accessible à tous.La diversité des cursus est considérée comme l’atout majeur de l’enseignement supérieur français ; en revanche, seuls 13 % des Français perçoivent le lien avec le tissu économique comme un avantage.La transformation du système de l’enseignement supérieur apparaît comme inévitable, à la fois sur les formats d’apprentissage (que 97 % jugent indispensables), mais aussi sur les programmes enseignés ou le rôle de l'enseignant.La digitalisation de l’enseignement supérieur est perçue par une très grande majorité comme positive. D’abord parce que, pour les Français comme pour les autres nationalités, la digitalisation de l’éducation est encouragée. D’autre part, les deux tiers des personnes interrogées jugent positivement l’enseignement qu’ils ont reçu pendant le confinement. Le confinement aura été une expérience révélatrice de ce point de vue-là. Enfin, le digital est un moteur puissant de transformation, il est perçu comme l’avenir de l’enseignement, notamment car il facilitera l’accessibilité de l’enseignement à tous.Quel sera le rôle de l’enseignant dans ce cadre ? La France reste traditionnelle : le rôle de l’enseignant pour les Français est celui de la transmission du savoir.L’ouverture internationale est perçue comme un enjeu fondamental : 85 % des Français pensent qu’il faut faire une partie ou l’intégralité de ses études à l’étranger. La crise du Covid-19 a néanmoins eu un impact : 52 % des Français pensent que la crise sanitaire va limiter les échanges internationaux des étudiants, et ce chiffre est encore plus important au Royaume-Uni et aux États-Unis, où il atteint 80 %.Enfin, il y a une attente forte autour des défis sociétaux qui doivent être traités dans le monde de l’enseignement supérieur. Pour une majorité de répondants, ce dernier ne prend pas suffisamment en compte les enjeux de société (en France, seuls 24 % pensent que l’enseignement le fait suffisamment). Les enjeux sociétaux prioritaires pour les Français sont la lutte contre les inégalités sociales (51 %), suivie par la protection de l’environnement (42 %). La lutte contre le racisme demeure un enjeu auquel les étudiants sont sensibilisés de façon beaucoup plus forte aux États-Unis et en Afrique du Sud.Les enjeux du numériqueAlors que l’enseignement supérieur connaît une profonde transformation vers le digital, 87 % des Français considèrent l’adoption de nouvelles technologies comme bénéfique. Le digital offre l’opportunité d’augmenter et transformer l’apprentissage, qui a déjà évolué depuis plusieurs décennies. Il y a néanmoins beaucoup de réticences en France sur ce sujet, l’enseignement est en retard par rapport à d’autres secteurs.Le Covid-19 a accéléré cette tendance au numérique. Le recours à la technologie pendant la crise a été perçu comme positif, et la digitalisation représente un outil de résilience face aux crises comme celle du Covid-19. Néanmoins, en comparant les résultats avant et depuis le Covid-19, il est intéressant de voir que le présentiel demeure important dans l’acte d'enseignement.Il faut se projeter en 2030, à la "génération alpha", c’est-à-dire la génération de ceux nés à partir de 2010, pour laquelle la technologie sera un prolongement du corps. Pour eux, la technologie devra être intégrée à l’enseignement supérieur.Enfin l’esprit d’entreprise, en France comme ailleurs, doit être développé chez les étudiants. Il faut garder en tête, pour aujourd’hui et pour les années à venir, que l'entrepreneuriat doit être un modèle d’inspiration pour les étudiants et permettra à l’enseignement supérieur de remplir sa mission pour les années à venir.L’internationalisation de l’enseignement supérieur85 % des Français considèrent qu’effectuer au moins une partie des études hors de France est un atout pour les jeunes générations, mais paradoxalement seuls 29 % perçoivent l’internationalisation comme un enjeu majeur de l’enseignement supérieur. En ce qui concerne l’international, la France est une exception. L’importance de l’international est entrée dans les mœurs, mais cela ne vient pourtant qu’en cinquième position des préoccupations des Français. L’exemple des grandes écoles montre que l’internationalisation est clé : elles ont beaucoup progressé dans ce domaine et sont en meilleure position dans les classements internationaux.En revanche, si nous pensions, à terme, tendre vers une globalisation de l’enseignement, depuis quelques années une tendance inverse, nationaliste, se met en place. Au-delà du protectionnisme, nous entrons dans une phase post-globale, et cela affecte l’internationalisation des études. L’annulation par Donald Trump des visas pour les étudiants étrangers ayant des cours en ligne en 2020-2021 en est un exemple. L’internationalisation va certainement changer, et il faudra digitaliser davantage l’expérience internationale des étudiants. Même d’un point de vue climatique, ces déplacements devront être limités.Les défis sociétaux74 % des Français considèrent que les enjeux sociétaux ne sont pas assez pris en compte aujourd'hui dans notre système d’enseignement supérieur et attendent plus des institutions éducatives, notamment en termes de lutte pour protéger l’environnement, lutte contre les inégalités sociales, lutte contre le racisme, lutte pour l’égalité entre femmes et hommes…Un changement de paradigme est en train de se développer. L’EDHEC a par exemple lancé un plan pour 2025, intitulé "EDHEC for future generations" dont l’objectif est de mettre le business au service de causes sociétales. Ce changement s’opère à deux niveaux : le premier est celui de la méritocratie, de l'égalité des chances.D’autre part, les citoyens comptent sur l’éducation pour répondre aux grands sujets auxquels l’humanité fait face aujourd’hui. La crise du Covid-19 a renforcé ces attentes envers l’enseignement supérieur. Cela passera par une profonde transformation, à la fois des contenus des programmes, mais aussi par une "hybridation" de l’enseignement. Il s’agit de faire des élèves de bons managers, et de leur permettre de suivre des cours sur des sujets sociétaux afin de les y sensibiliser.Quelles politiques publiques ?Si les résultats de cette étude révèlent plusieurs points d’amélioration, il demeure difficile d’en extraire des politiques publiques concrètes, car les quelques pays étudiés présentent différents modèles d’éducation, publics comme privés. Il n’y a donc pas d’unicité de politiques, mais il y a bien une mission commune d’insertion professionnelle.Le décalage que fait apparaître le sondage sur cette problématique est frappant. C’est l’un des points faibles de la France par rapport aux quatre autres pays. C’est même un double décalage : il y a un un sentiment que l’université ne donne pas les clés d’accès au monde actuel (56 % des Français ont le sentiment qu’ils ne sont pas en capacité d’interagir avec le monde actuel, alors qu’au Royaume-Uni 78 % ont le sentiment que l’université permet cette adaptation). Le second décalage est un vieux procès fait à l’université en France mais qui est une réalité : il y a une forte hétérogénéité en France entre filières courtes, grandes écoles, universités… Cette réalité ne doit pas être perçue comme un bloc de granit, mais mérite d'être passée au tamis de ces différents échelons.Seuls 41 % des Français considèrent que le système permet l’insertion professionnelle, contre 75 % au Royaume-Uni. L’opinion publique n’a donc pas encore opéré sa réconciliation avec l’enseignement supérieur français, dans sa capacité à s’adapter au monde actuel et à y emmener les étudiants, ni dans sa capacité à les emmener vers une insertion professionnelle réussie.C’est un enjeu de politique publique, et cela doit devenir un critère d'évaluation systématique, à bac +5 mais aussi à bac +3.L’exception française ?Le sondage révèle certaines spécificités françaises par rapport aux autres pays, notamment sur la perception du rôle de l’enseignant, sur la prise en compte des compétences comportementales, et sur la perception de l’enseignement supérieur.Les répondants français sont globalement plus insatisfaits que les autres. Sur certaines caractéristiques particulières, notamment les compétences comportementales, la France se distingue : le travail en équipe, par exemple, est valorisé dans tous les pays sauf en France, tout comme la créativité. En France, l’analyse critique, ou la capacité d’adaptation sont plus valorisées, et ce sont des caractéristiques plus traditionnelles. C’est le cas aussi pour le rôle de l’enseignant : ce dernier est perçu comme celui qui doit transmettre des connaissances. Or, à l’avenir, l’enseignant aura un rôle différent, tourné vers l’accompagnement des étudiants qui apprendront de manière plus dématérialisée.L’exception française concerne également l’enjeu du digital : tous les pays s’accordent sur la place centrale de la technologie à l’université, si ce n’est que la France en attend plus que les autres : elle souhaite une transformation des programmes, un changement des supports, une transformation du rôle de l’enseignant… En même temps, les Français continuent de voir une centralité du rôle de l'enseignant dans la transmission du savoir. Cela est peut-être dû à la particularité du système français, qui repose sur le lycée comme colonne vertébrale, sur une logique de concours, et sur un type d'enseignement "descendant". En tout cas, les enseignants dans les autres pays étrangers sont attendus sur une palette plus large qu’en France.De ce point de vue-là, dans de trop nombreux cas, il faut séparer les différents enseignements supérieurs français pour dire que la matrice n’est pas partout la même. L’université a beaucoup évolué sur certains aspects, les grandes écoles aussi, mais il y a des formats d’enseignement très à l’écart de ce type d’évolution : par exemple à l’université, il est très difficile d’innover avec des amphithéâtres remplis par des centaines d’élèves mal orientés, ainsi qu’en premier cycle qui repose sur les concours. La création de bachelors, qui sont par exemple des instruments d’innovation et d’internationalisation, est un effort en ce sens. Mais un certain nombre de freins, culturels et organisationnels, qui placent la France en décalage, perdurent.Accroître l’égalité des chances, un défi pour l’enseignement supérieurIl y a une attente très forte d'accroître l’égalité des chances dans l’enseignement supérieur, et la France peut aller plus loin encore dans ce domaine.Les grandes écoles sont par exemple régulièrement interpellées sur ce sujet : c’est une question de contrat social, de méritocratie propre à l’éducation en France, et les grandes écoles doivent s'inscrire dans la même logique. Tout l’enjeu pour les grandes écoles sera d’augmenter l’accès au diplôme pour les étudiants. De nombreux progrès ont déjà été réalisés, mais le cliché des grandes écoles réservées aux plus favorisés persiste, surtout dans un contexte français (peut-être moins dans un contexte international). Il faut davantage aider les étudiants les plus défavorisés. L’EDHEC par exemple reverse 10 millions d’euros par an aux étudiants les plus défavorisés, ce qui représente 15 % des frais de scolarité. Il faudra néanmoins accentuer ces dépenses pour aider ces étudiants et pour payer la quasi-totalité des frais de scolarité des étudiants dans le besoin.En France, le sentiment que les portes de l’enseignement supérieur sont fermées persiste. La France stagne en-deçà des 40 % d’accès aux études supérieures, et ce n’est pas le cas au Royaume-Uni et ni aux États-Unis. Il y a au Royaume-Uni une réelle démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur. C’est en France, pour l’heure, un échec de l’actuel gouvernement qui devrait se saisir de ce sujet.