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Rencontres
January 2016

La France face au terrorisme

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L’Institut Montaigne en collaboration avec l'école des MINES ParisTech a organisé mardi 26 janvier un échange autour d'Alain Juppé, maire de Bordeaux, ancien Premier ministre, auteur de Pour un Etat fort et Gilles Kepel, professeur à Sciences Po, auteur de Terreur dans l’Hexagone, Genèse du djihad français.

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Les attaques qui ont frappé le territoire français en 2015 ont durablement bouleversé les rapports qu’entretiennent l’État et les pouvoirs publics avec la population française, la jeunesse et les religions. Elles ont favorisé l’émergence d’un environnement nouveau, ont engendré l’application de mesures exceptionnelles et ont occasionné des débats, politiques et sociaux, toujours très vivaces.

Alain Juppé et Gilles Kepel sont tous deux étroitement concernés par ces questions. L’un, car sa candidature à la primaire des Républicains, en novembre 2016, lui impose de se prononcer sur ces sujets. L’autre, car ces thématiques sont au fondement même des travaux qu’il mène depuis maintenant trente ans. Leurs récents ouvrages Pour un État fort (Lattès) et Terreur dans l’hexagone (Gallimard) abordent ces différentes thématiques et tentent d’y apporter des éléments de réponse. Retour sur leurs échanges qui ont confronté la vision politique à la lecture universitaire de cette annus horribilis.

Classe politique et changements sociétaux : le rendez-vous manqué ?

Les éléments qui expliquent l’apparition, sur le territoire national, de phénomènes terroristes sont aussi complexes que pluriels. Ils ont néanmoins un dénominateur commun, objectivé par Gilles Kepel : les clivages qui se sont installés, en l’espace d’une génération, dans la société française. Les raisons de cette scission auraient échappé, selon Gilles Kepel, à une grande majorité de la classe politique française. Elle a pour origine une triple faille : faille des politiques à l’égard de la jeunesse et de l’emploi ; faille de la politique de la ville ; mais aussi faille des politiques d’intégration des populations marginalisées. La multiplication de ces déchirures a engendré une véritable rupture culturelle, à l’origine du fossé qui divise aujourd’hui la société française. 

La jeunesse tout d’abord. Alain Juppé insiste sur l’existence "des" jeunesses, présentant en leur sein une grande diversité. Une partie des jeunes se serait éloignée de la société française, lui préférant des alternatives radicales. Pourquoi ? Parce que touchée de plein fouet par le chômage, elle ne croit plus dans les valeurs promues par notre système éducatif et qu’elle est, trop souvent, délaissée par les pouvoirs publics. La politique de la ville ensuite. Si pour Gilles Kepel, elle a échoué à intégrer les quartiers périphériques à la République, Alain Juppé dresse un constat plus nuancé. Si les politiques de rénovation urbaine ne peuvent suffire à rétablir la paix sociale, elles peuvent, lorsqu’elles sont accompagnées de politiques de prévention et d’opérations de médiation, aboutir à des résultats positifs.

Enfin, c’est l’abandon délibéré des populations marginalisées aux mains de groupements extrémistes que dénonce Gilles Kepel. Il fustige par-là "l’accommodement" de certains politiques qui ont fermé les yeux sur l’appropriation, par des groupes piétistes et salafistes, de la gestion des quartiers difficiles. En leur délégant sciemment cette responsabilité, les élus ont donné le sentiment d’éliminer la délinquance et d’offrir davantage de sécurité publique à leurs administrés.

"Les enjeux électoraux  à court terme sont une chose, le soutien à tel ou tel mouvement salafiste à court terme parce qu’il assure la paix sociale est une chose, la vision de la société française à moyen terme est autre chose. Je crois que c’est là l’une des responsabilités fondamentales de nos politiques.", Gilles Kepel.

Les failles de la politique de sécurité française

Au-delà des failles sociales et sociétales évoquées ci-avant, Gilles Kepel avance d’autres pistes d’explication. Selon lui, les débats suscités par le maintien de l’état d’urgence ou de la déchéance de nationalité ne font que masquer les failles de la politique de sécurité menée par la France depuis dix ans. Amputé de ses ramifications territoriales, le système français du renseignement n’a en effet pas su saisir la transformation de la menace djihadiste et le basculement depuis 2005 vers un djihadisme réticulaire, échappant à la logique hiérarchisée et pyramidale d’Al-Qaïda. Sous-estimant l’importance des réseaux qui pouvaient se créer en prison, il a échoué à prévenir l’apparition de filières djihadistes, qui ont trouvé dans l’environnement carcéral le terreau propice à leur développement. C’est pourquoi il aurait été nécessaire, dès l’affaire Merah, de s’interroger sur la pertinence de la stratégie mise en œuvre par les services de renseignement français.

Une analyse partagée par Alain Juppé, pour qui la priorité est désormais de parvenir à une coordination des renseignements européens, seule réponse adaptée à la transformation de la menace terroriste mise en exergue par Gilles Kepel. Pour le candidat à la primaire des Républicains, les États membres doivent également poursuivre les efforts engagés dans l’élaboration d’une stratégie européenne de défense. Si le souhait formulé par Jean-Claude Juncker de construire une armée européenne semble aujourd’hui largement utopique, la mutualisation des moyens technologiques et industriels poserait les jalons d’une meilleure coordination militaire entre les membres de l’Union Européenne. 

"L'Europe ne peut continuer à être le seul grand espace organisé qui se désintéresse de sa sécurité extérieure.", Alain Juppé.

Alors que l’influence stratégique des États européens sur la scène internationale dépend de leur capacité à porter une voix commune sur des sujets aussi cruciaux que la crise syrienne ou la gestion des flux migratoires, le statut de "nain diplomatique" de l’Union européenne empêche celle-ci de peser efficacement sur les négociations en cours. Pour Alain Juppé, la France doit parvenir à peser davantage sur les décisions prises à l’échelle communautaire, et engager l’UE sur la voie du changement. L’enjeu est d’autant plus crucial qu’on assiste aujourd’hui à une résurgence du nationalisme auquel il convient d’opposer une vision ambitieuse de ce que constitue in fine le projet européen.

L’avenir de l’Union Européenne dépendra également de sa capacité à assumer ou non le poids de son histoire coloniale, ainsi que de sa capacité à promouvoir des politiques propices à une intégration réussie des populations issues de l’immigration. En France comme ailleurs, la radicalisation d’une frange de la jeunesse musulmane est aussi le signe de l’échec du modèle défendu par l’Europe  et de sa faculté à fédérer l’ensemble de sa population.

Quelles solutions pour rassembler, sécuriser et redonner confiance ?

Renforcement de la coordination européenne en matière de sécurité et de défense, nouvelle politique de renseignement, fin d’une vision court termiste des élus locaux pour les quartiers marginalisés, revalorisation de l’université et, par elle, de la jeunesse,… les solutions pour instaurer une nouvelle paix sociale en France sont nombreuses, reste aujourd’hui à construire les cadres propices à leur développement. Par où commencer ? 

Pour lutter contre la radicalisation, Alain Juppé identifie quatre terrains d’action prioritaires : l’école, internet, la prison et un certain nombre de lieux de prières où sont  véhiculés des messages qui contestent les valeurs de la République. Ces quatre terrains sont au service d’une ambition : réconcilier l’Islam et la République. En contextualisant la lecture du Coran dans le 21e siècle, il peut exister une approche de la religion musulmane compatible avec les principes de la République. De nombreuses autorités musulmanes défendent d’ailleurs ce point de vue. Pour cela, Alain Juppé souhaite formaliser un Code de la laïcité. Ce code intégrerait aussi bien l’exigence pour les ministères du culte musulman de reconnaitre la laïcité, que l’obligation de prêcher en français dans les lieux de prière. Enfin, répondant à l’intervention de l’ambassadrice d’Autriche en France, Alain Juppé et Gilles Kepel s’accordent sur la nécessité de compiler et de rendre accessible l’ensemble des initiatives vertueuses menées en Europe sur ces différentes thématiques.

C’est à ces conditions que la société française pourra être durablement refondée et sécurisée.

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