AccueilRencontres Juin 2018Forum de Genshagen. Entre ouverture et repli – Quel futur pour l’Union européenne? EuropeImprimerPARTAGERLe contexte géopolitique actuel se caractérise par l'irruption de nouvelles frontières et la résurgence d'anciennes, l'importance croissante accordée à l’État-nation et le rejet par certains pays des structures multilatérales. Les États-Unis de Donald Trump, le Royaume-Uni après le vote du Brexit, la politique migratoire de certains pays d’Europe centrale et orientale, ou les tentatives d'autonomie régionale en Catalogne ou en Écosse, sont autant d’exemples de l’importance grandissante de la problématique des frontières au sein des pays occidentaux. L’alternative entre "ouverture et repli" structure désormais le débat public dans une grande partie des États membres de l'UE. Dans quelle mesure la recherche d’une "Europe qui protège", objectif souhaité par le président de la République française Emmanuel Macron et le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, s’inscrit-elle dans cette problématique ? S’agit-il de deux tendances contradictoires ou plutôt des deux facettes d’une même médaille ? Le Forum de Genshagen 2018 s’est penché sur ces questions examinant précisément deux politiques de l’Union : la politique migratoire et la politique commerciale. Mot de bienvenueParis Anne-Marie DESCÔTES, ambassadrice, Ambassade de France à BerlinMorgan GUÉRIN, responsable du programme Europe, Institut MontaigneMartin KOOPMANN, directeur, Fondation GenshagenMartin Koopmann a inauguré la conférence en soulignant que "tout ne tournait pas encore rond" dans les relations franco-allemandes. Selon ses mots, le retour du nationalisme en Europe est un problème social qui ne peut être attribué à un conflit Est-Ouest mais plutôt à de profonds changements sociaux, en partie dus à la mondialisation et à la numérisation. La relation franco-allemande doit faire plus que de la "gestion de crise" et devenir une "communauté de responsabilité". Mais comment concrétiser la promesse de renforcer et protéger l'Europe ? La protection est-elle synonyme de retrait ?Madame l’ambassadrice de France en Allemagne, Anne-Marie Descôtes, a mis en exergue la nécessité de renforcer la solidarité entre les États européens et de définir des positions communes dans les négociations en matière de politique étrangère, notamment en réponse à la crise migratoire. Selon elle, outre la politique de sécurité, ce sont surtout les questions sociales qui gagnent à être traitées, afin de contrer la montée du populisme en Europe. Elle a également rappelé combien il est important de défendre nos propres valeurs et la nécessité du dialogue multilatéral, et de "vendre" les succès de nombreux projets européen afin de regagner la confiance des citoyens. L’ambassadrice a enfin souligné l’importance des Consultations citoyennes et s’est réjoui de leur organisation dans de nombreux pays européens. Il est essentiel que les discussions ne se déroulent pas uniquement à huit clos.Points forts de l’activité politique en France et en AllemagneSylvie KAUFFMANN, Directrice éditoriale, Le MondeAnna SAUERBREY, responsable de la rubrique opinions "Causa", Der TagesspiegelModération: Martin KOOPMANN, directeur, Fondation GenshagenLors de cette première table ronde, Anna Sauerbrey et Sylvie Kauffmann ont présenté les principaux thèmes et orientations des débats publics en France et en Allemagne. Sylvie Kauffmann a esquissé dans un premier temps la popularité relativement bonne du président Macron par rapport à ses prédécesseurs, bénéficiant du soutien d’environ 40 % de la population française. Son style de gouvernement se caractérise par l'exercice vertical du pouvoir, la désidéologisation de la politique et le contournement des "corps intermédiaires" comme les syndicats et les médias. Avec un gouvernement composé en majorité de technocrates, il a fait adopter de nombreuses réformes en peu de temps, notamment la réforme du marché du travail, celle de l'éducation ou celle encore du droit d'asile. Bien qu'une grande partie de la population comprenne que des réformes sont nécessaires, l'enthousiasme post-élections a disparu, et beaucoup ne sont pas d'accord avec sa façon de diriger le gouvernement. Cependant, la résistance est faible : le président dispose d’une majorité confortable à l’Assemblée nationale, et l'opposition est actuellement trop faible pour se mobiliser contre lui.En Allemagne, l'Europe et les relations franco-allemandes ne figurent pas sur la liste des priorités des citoyens, même si la majorité des propositions d’Emmanuel Macron ont été accueillies positivement, a indiqué Anna Sauerbrey. L'Allemagne s'est dernièrement surtout concentrée sur elle-même, ce notamment sur les questions d'immigration et d'intégration, ainsi que sur la manière de réagir à la monté en puissance de l'AfD (Alternative für Deutschland). La crise des réfugiés a traumatisé le pays et la culture d'accueil a fait place à une désillusion croissante. En Allemagne, le fait que le Parti social-démocrate (SPD) et les Verts (die Grünen) soient désormais également sceptiques à l'égard de l'immigration témoigne d'un glissement vers la droite. Anna Sauerbrey a souligné enfin que le débat sur l'UE en Allemagne est fortement influencé par une analyse coûts / avantages : de nombreux citoyens craignent avant tout que l'Allemagne ne paie plus que ce qu'elle ne reçoit - contrairement à ce qui est souvent perçu dans d'autres pays, où l’on considère que l'Allemagne ne tirerait que des avantages de l'UE.Note introductive de Jean-Marc Ayrault : "Différenciation – convergence – solidarité : quel salut pour l’Europe ?"Jean-Marc AYRAULT, ancien Premier ministreDans sa note introductive, l'ancien Premier ministre français Jean-Marc Ayrault a rappelé les conflits majeurs qui menacent en ce moment l'UE. Outre la crise de l'euro, qui n'est toujours pas résolue et qui pourrait encore s'aggraver du fait du nouveau gouvernement italien, le conflit en Ukraine continue de peser lourdement et est la principale cause des difficultés actuelles des relations entre l’UE et la Russie. Selon Jean-Marc Ayrault, il faut bien entendu toujours essayer de dialoguer avec le gouvernement russe – mais sans pour autant le faire à n'importe quel prix. Il est important dans cette optique que l’Europe parle d’une seule voix en matière de politique étrangère, comme par exemple dans le cas de l'accord iranien. Autre sujet important pour l’UE : le changement climatique, un domaine dans lequel elle pourrait être pionnière, mais pour lequel elle manque de partenaires. M. Ayrault souligne que dans de nombreuses crises, ce sont avant tout les dangers, les problèmes qui sont mis en avant ; hors, il est également nécessaire de sensibiliser le public aux solutions que peuvent offrir les institutions européennes. A l’heure actuelle, l’Europe attend cependant plus de soutien de la part de la France et de l’Allemagne. L’ancien premier ministre a conclu son discours en évoquant la question de l’admission d’autres pays au sein de l’UE, comme la Macédoine. Il n’exclut pas en soi cette possibilité, mais a souligné qu’il est essentiel de montrer aux candidats potentiels les perspectives réelles que l’Union peut offrir. Débat: "Entre ouverture et repli – quelles frontières en Europe ?"Jean-Marc AYRAULT, ancien Premier ministreAbdelhak BASSOU, expert, OCP Policy CenterMichel FOUCHER, géographe, ancien ambassadeur, Collège d’études mondiales – FMSHModération: Anna SAUERBREY, responsable de la rubrique opinions "Causa", Der TagesspiegelMichel Foucher a ouvert le débat avec la distinction inspirée d’Emmanuel Kant entre "barrière" et "frontière" – cette dernière pouvant aussi désigner une délimitation ouverte et n’excluant pas que "des découvertes puissent être faites" de l'autre côté de cette frontière. Le concept de frontière, tel que nous le connaissons aujourd'hui pour les États- nations, existe depuis la Paix de Westphalie, et a maintes fois été synonyme de violence à travers l'histoire. Aujourd'hui encore, les frontières sont souvent perçues négativement : par exemple comme obstacles au commerce par les grandes entreprises, ou bien comme inhumaines par la gauche dans son slogan "no borders!". Or, la frontière est importante en tant que garante de la souveraineté d'un État, en tant qu'institution stable et indépendante des changements de gouvernement, ainsi qu’en tant que symbole d’appartenance à une communauté. Pour Jean-Marc Ayrault et Michel Foucher, le populisme et le nationalisme s'attaquent actuellement au "consensus de 1945", fondé sur l'échec du totalitarisme. Ils font cependant une distinction : Salvini mène un discours différent de celui d'Orban, puisqu'il accuse l'Europe de manquer de solidarité.Dans son introduction, Abdelhak Bassou a appelé à une coopération renforcée avec les Etats du Maghreb comme le Maroc, l'Europe ne pouvant contrôler les flux migratoires en provenance d'Afrique que si cette région est stable. Il a souligné que l'Europe se transforme de plus en plus en une forteresse contre l'immigration africaine. Pourtant, les frontières ne pourront jamais être complètement fermées et une déstabilisation du Maghreb pourrait avoir des conséquences imprévisibles pour l'Europe. Les pays d'Afrique du Nord devront donc devenir une destination pour les migrants en quête de sécurité et de prospérité. Aujourd'hui, la majorité des flux migratoires ont déjà lieu en Afrique et seule une petite proportion des migrants arrive en Europe. Michel Foucher a encouragé quant à lui à faire du problème migratoire un problème de mobilité en favorisant les échanges entre l'Afrique et l'Europe, au travers notamment des étudiants et des entrepreneurs. Le "Capacity Building", c'est-à-dire le développement d'infrastructures durables, représente un aspect important dans ce contexte. L'une de ces initiatives est le "Plan Marshall" pour l'Afrique, lancé par le Ministère allemand fédéral du Développement.Ateliers (Chatham House Rules)Atelier 1 "Politique migratoire en Europe"Input : Martin SCHIEFFER, chef de division "Appui à la gestion des flux migratoires", Direction générale Migration et Affaires intérieures, Commission Européenne Rapporteur : François GEMENNE, directeur du programme de recherche "Politiques de la Terre", Sciences PoModération : Morgan GUERIN, responsable du programme Europe, Institut MontaigneA l'issue du forum, François Gemenne a rédigé sa contribution finale intitulée "Une réponse européenne à la crise de l'asile".Atelier 2 "Politique commerciale en Europe"Input: Philippe MARTIN, président délégué du Conseil d’analyse économiqueXavier SUSTERAC, Senior Vice President Personal Care Europe, BASF et Vice-Président de la Chambre franco-allemande de Commerce et d’Industrie Rapporteur: Laura VON DANIELS, directrice adjointe de groupe de recherche, Stiftung Wissenschaft und PolitikModération: Hendrik KAFSACK, correspondant, Frankfurter Allgemeine ZeitungA l'issue du forum, Dr Laura von Daniels a rédigé sa contribution finale intitulée "Défis centraux pour la politique commerciale de l'UE - entre ouverture et fermeture, libre-échange et protection de l’économie domestique".Débat : "Entre ouverture et repli – quelle Union européenne souhaitons-nous ?"Présentation des conclusions par les rapporteurs des ateliers et discussionFrançois GEMENNE, directeur du programme de recherche "Politiques de la Terre", Sciences PoLaura VON DANIELS, directrice adjointe de groupe de recherche, Stiftung Wissenschaft und PolitikModération: Martin KOOPMANN, directeur, Fondation GenshagenLors de ce débat, la montée en puissance de la Chine et les excédents du commerce intérieur de certains États membres ont été identifiés comme des défis majeurs pour la politique commerciale de l'UE. Laura von Daniels a notamment évoqué une proposition du groupe selon laquelle l'UE doit faire preuve de plus d’engagement dans la conclusion de nouveaux accords, et même les subordonner à certaines conditions politiques. Quant à la migration, la question principale a été de savoir dans quelle mesure une identité européenne commune peut être inclusive alors qu’il existe un sentiment de menace dans certaines parties de la population. François Gemenne a souligné que l'étape la plus importante serait d'harmoniser les politiques d'asile des Etats membres. Il a également attiré l’attention sur l’écart considérable entre la représentation de la migration par les médias, les gouvernements, la perception de la population et la réalité. L'absence d'institutions efficaces au niveau de l'UE a été critiquée au cours de cette discussion, alors que la migration restera un défi pour l’Europe à long terme.Débat de clôture : "Raviver la flamme citoyenne : l’Europe qui protège, clé d’une plus grande cohésion sociale pour une plus grande confiance en l’UE ?"Klara GEYWITZ, députée au Parlement du Brandebourg (SPD)Mark LEONARD, directeur, European Council on Foreign RelationsIsabelle NÉGRIER, référente pour l’Allemagne et l’Autriche, La République en Marche (LREM)Bonn Axel RÜCKERT, dirigeant d’entreprise, essayisteModération: Stephen BASTOS, chargé de projets, Fondation GenshagenAu cours du débat final, d'autres aspects de l'idée d'une "Europe qui protège" ont été abordés dans la perspective des prochaines élections européennes. Isabelle Négrier a souligné que les régions rurales devaient être plus activement prises en considération, dans lesquelles, comme l’a rappelé Klara Gleywitz, de nombreux agriculteurs tirent profit de l'UE – à l’exemple du Brandebourg. Elle a cependant également précisé que l’Europe n’a pas encore réussi à convaincre ces derniers. La discussion a également porté sur l'immigration, qui serait perçue comme une perte de contrôle dans les sociétés souvent très homogènes d'Europe centrale et orientale. Pour Mark Leonard, la solution conceptuelle pour contrer un tel sentiment général de perte de contrôle est effectivement l'idée d'une "Europe qui protège". Enfin, Axel Rückert a attiré l’attention sur le fait qu'une plus grande intégration économique, comme la création d'un ministre européen des finances, est importante, mais qu’elle ne doit pas occulter l’importance de la défense des valeurs sociales.