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Rencontres
September 2016

Entretiens de la cohésion sociale

Fait religieux en entreprise : comment éviter la fracture ?

Cet événement était co-organisé avec Entreprise & Personnel et August & Debouzy

Ouverture des échanges

 


Jean-Paul Bailly, président, Entreprise & Personnel
Henri de Castries, président, Institut Montaigne
 
La motivation qui préside à ces entretiens repose sur la conviction que la performance économique et la cohésion sociale sont réciproquement indispensables, l’une n’allant jamais sans l’autre. Cette conviction doit guider nos réflexions car la société française continue d’apparaître trop figée. Dans le même temps, les phénomènes de repli sur soi et de fermeture s’accentuent et s’appuient sur le religieux. Afin d’éviter la fracture, il serait dangereux d’éluder le sujet de crainte qu’il ne génère des controverses trop dures.

La prise de conscience de la réalité de ces phénomènes est indispensable : la loi ne peut l’imposer. Le management doit expliquer qu’il est possible mais surtout nécessaire d’apprendre à gérer la diversité. Les entreprises doivent progresser ensemble à se former sur ces enjeux. Sur quels champs l’État doit-il intervenir ? Quels sont ceux que l’entreprise doit investir ? Comment l’action publique peut-elle innover pour mettre en place les politiques publiques adaptées à ces enjeux ? 

Table ronde n°1 : les lois et la pratique

 

Quelle est la réalité du fait religieux en entreprise aujourd'hui ? Comment s'exprime-t-il et comment est-il encadré ? Au-delà des cas particuliers, comment l’appréhender ?
 
Pour en débattre :
Jean-Louis Bianco, président de l’Observatoire de la laïcité et ancien ministre ;
Pierre Conesa, directeur adjoint de l’observatoire des radicalisations de la Fondation Maison des Sciences de l’Homme ;
Hakim El Karoui, conseiller en stratégie et fondateur du club du XXIème siècle ;
Éric Manca, avocat associé, August&Debouzy.

Modération : Stéphane Béchaux, rédacteur en chef de Liaisons Sociales Magazine.
 
La question du fait religieux en entreprise est intimement liée à celle de la laïcité. Aussi convient-il de distinguer le cas des entreprises publiques de celui des entreprises privées : si les premières sont tenues à une stricte obligation de neutralité religieuse puisqu’elles émanent de la République, les secondes ne sont soumises à aucune règle a priori. Comme le rappelle Éric Manca, une règle ne peut s'appliquer qu'en fonction d'un critère évalué de trouble objectif causé à l’activité de la structure par un comportement donné. Ainsi, si un signe religieux remet en question la vertu commerciale de l’entreprise, alors la direction peut légalement décider de se séparer de l’employé qui occasionne ces troubles.
 
Il serait cependant dangereux de croire que la loi suffira à résoudre la question du fait religieux au sein de l’entreprise, ce qui apparaît comme un tort bien français. Jean-Louis Bianco objecte ainsi que la loi ne saurait s’immiscer dans la réalité de l’entreprise au point de s’arroger la capacité de déterminer l’intérêt commercial de l’entreprise. L’appréciation objective du trouble causé à l’activité constitue donc un exercice particulièrement délicat, susceptible de donner lieu à une jurisprudence tellement abondante qu’elle pourrait générer plus d’incertitude juridique parmi les directions d’entreprises qu’elle ne leur fournirait d’outils pour résoudre les problèmes qu’elles rencontrent.
 
L’action du législateur trouve donc ses limites dans le cadre même que fixe le principe de laïcité, d’autant plus que le fait religieux touche bien souvent à des questions identitaires auxquelles la loi seule ne saurait répondre. Afin de créer une connaissance allant au-delà des cas particuliers qui se présentent aux entreprises, il apparaît utile de nourrir les réflexions de données chiffrées objectives. Hakim El Karoui, qui a conduit le rapport Un islam français est possible pour l’Institut Montaigne, précise ainsi que pour aborder la question du fait religieux en entreprise sans céder aux craintes qu’ont fait naître les événements récents, il est crucial de mieux connaître la majorité silencieuse des musulmans, et notamment leur rapport à la religion sur le lieu de travail.
 
L’enquête pionnière menée par l’Institut Montaigne en partenariat avec l’IFOP révèle que seulement 12 000 musulmans peuvent être considérés comme salafistes sur les quelque 5 millions d’individus que compte cette population en France métropolitaine. Pierre Conesa estime quant à lui que les entreprises doivent s’emparer des sujets de sécurité : en effet, il est nécessaire qu'elle dispose des moyens adéquats pour répondre à cette forme d'extrémisme, qui constitue une menace forte pour la cohésion sociale au sein de la société en général et des entreprises en particulier.
 
Au-delà de ces cas extrêmes, qui demeurent l’exception, une proportion importante des musulmans de France, quatre musulmans sur dix selon les résultats de l’enquête, soutient que l’employé doit pouvoir exprimer sa religion sur son lieu de travail et que l’employeur doit s’adapter à la religion de ses employés. Ces préférences illustrent ainsi les difficultés que pose une acception trop stricte de la loi. L’entreprise, qui se situe à la croisée de tous les problèmes sociaux, doit donc s’emparer de ces enjeux car la loi ne peut apporter toutes les solutions.

« Attendez-vous de votre entreprise qu'elle s'adapte à vos pratiques religieuses ou à celles de vos collègues ? »


Sondage réalisé au sein du public des Entretiens de la cohésion sociale

Intervention de Clotilde Valter,secrétaire d’État chargée de la formation professionnelle et de l’apprentissage

 
La société française s’est considérablement diversifiée et le pacte laïc noué au siècle dernier s’applique aujourd’hui dans un contexte renouvelé. Pour Clotilde Valter, l’atténuation du fait religieux en France, couplé à l’essor important de l’islam, implique de repenser notre approche du fait religieux dans la société en général et dans l’entreprise en particulier.
 
Repenser notre approche du fait religieux, c’est avant tout interroger la place de la laïcité dans notre pays. Dangereusement instrumentalisée par ceux qui refusent la diversité, elle est brandie comme un « idéal négatif », expression d’un ressentiment contre une religion ou une communauté. Or, la laïcité doit, tout au contraire, incarner un idéal positif d’affirmation, qui met sur un pied d’égalité les croyants et les non croyants. La laïcité n’oppose pas, ne divise pas, elle est là pour rassembler les citoyens.
 
C’est avec cette approche que nous devons aborder le fait religieux au sein de l’entreprise, qui n’est rien d’autre qu’une « microsociété ». Dès lors, on est en droit de s’interroger : où la liberté religieuse doit-elle s’arrêter dans l’entreprise ? Selon Clotilde Valter, la réponse repose sur deux principes : la garantie de la clarté du droit, d’une part, et l’importance du dialogue sur le terrain, d’autre part. C’est cette logique qui a présidé à l’élaboration d’un guide du fait religieux en entreprise par la direction générale du travail, dont Clotilde Valter a annoncé la publication à cette occasion. 

Table ronde n°2 : les réponses des entreprises

 
Quel bilan dresser des pratiques mises en place par les entreprises ? Quels défis doivent-elles relever pour garantir demain la cohésion sociale ?
 
Pour en débattre :
-          Laurence De Ré-Vannière, membre du comité direction d’Entreprise et Personnel ;
-          Luis Molina, directeur compétences et performances sociétales du groupe EDF ;
-          Patrice Obert, délégué général à l’éthique, RATP ;
-          Claude Solarz, vice-président de Paprec.

Modération : Anne-Cécile Geoffroy, rédactrice en chef adjointe de Liaisons Sociales Magazine.
 
De nombreuses entreprises se saisissent aujourd’hui de la question du fait religieux, longtemps négligée par le secteur privé. Si ce mouvement est indissociable des événements récents, la question apparaît en lame de fond dans de nombreuses structures, où elle est traitée depuis le début des années 2010.
 
Dès 2010, EDF publiait son premier guide pour aider les managers à mieux gérer les expressions religieuses au sein de leurs équipes. Dans le même esprit, la RATP présentait en 2011 un code de l’éthique, suivi, en 2013, d’un guide de la laïcité. Contrant la législation en vigueur, la société Paprec a adopté en 2013 une « charte de la laïcité et de la diversité » qui s’impose à tous ses salariés. Le principe de neutralité, qui ne s’applique pas dans le secteur privé, s’impose ici aux 4 500 salariés. L’objet de ces guides est de donner des repères sur la loi, d’effectuer un rappel du droit et de proposer une grille d’analyse pour faire face à des situations du quotidien.
 
Pourquoi cette accélération récente ? Selon Patrice Obert, l’expression « problématique » du fait religieux en entreprise a débuté dans les années 1990. Face au caractère marginal et inédit de ces manifestations, la première réaction des managers fut le silence, le déni. Les polémiques récentes ont accéléré la prise en compte du phénomène et ont conduit les entreprises, jusqu’au plus haut niveau de gouvernance, à répondre à ces manifestations de façon concertée et concrète.
 
Pour Laurence De Ré-Vannière, trois pôles structurants doivent prévenir l’expression du fait religieux : l’entreprise, qui doit définir une ligne directrice claire ; le manager, qui est l’interlocuteur direct des équipes ; la fonction RH, enfin, qui est au cœur du dispositif, et qui doit tout à la fois garantir l’impulsion, l’orchestration et la coopération au sein de l’entreprise. Il faut une équipe de ressources humaines qui puisse expliquer le sens, dialoguer et trouver des solutions. Deux moments semblent propices à la présentation et au rappel de ces règles : le recrutement ainsi que la formation initiale et continue. 
 
Les participants au débat pointent l’importance du rôle des organisations syndicales dans ce cadre. Celles-ci, qui devraient en être des parties prenantes engagées, ne savent affirmer leur place au sein de ce processus. Il est impératif de créer le cadre qui leur permettra de relayer ces revendications dans un contexte clair et apaisé.
 
« Qui doit être en première ligne pour gérer le fait religieux en entreprise ? »


Sondage réalisé au sein du public des Entretiens de la cohésion sociale

 

 
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