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Rapport
Avril 2019

Travailleurs des plateformes :
liberté oui, protection aussi

<p><strong>Travailleurs des plateformes :</strong><br />
liberté oui, protection aussi</p>
Auteurs
Théophile Lenoir
Contributeur - Désinformation et Numérique

Théophile Lenoir est chercheur associé à l’Institut Montaigne. Il a développé pendant quatre ans (de 2017 à 2021) le programme de travail de l’Institut Montaigne sur les questions numériques. Ses intérêts portent sur les technologies de la communication et les transformations de l’espace public. Il est notamment le co-auteur pour l’Institut Montaigne de la note Information Manipulations Around Covid-19 : France Under Attack (juillet 2020). Il a aussi travaillé avec la Visiting Fellow Alexandra Pavliuc, doctorante au Oxford Internet Institute et auteure de la note State-backed Information Manipulation : The French Node (février 2021), et a coordonné la rédaction de plusieurs rapports, dont Media Polarization "à la française" ? Comparing the French and American ecosystems (juin 2019). 

Théophile effectue un doctorat à l’Université de Leeds, sur les controverses autour des mesures de l’impact environnemental du numérique, pour mieux comprendre ce que recouvre la notion d’objectivité en politiques publiques. Il est diplômé de la London School of Economics et de la USC Annenberg School for Communication and Journalism, où il a suivi le double programme Global Media and Communications.

Avant de rejoindre l’Institut Montaigne, Théophile a travaillé au sein de start-ups à l’intersection des médias et de la technologie (un outil d’analyse et une plateforme de contenus), à Londres et à Los Angeles.

Groupe de travail

Les opinions exprimées dans ce rapport n’engagent ni ces personnes ni les institutions dont elles sont membres.

Présidents du groupe de travail

  • Bertrand Martinot, Senior Fellow Apprentissage, Emploi, Formation professionnelle, Institut Montaigne
  • Laëtitia Vitaud, auteure sur le futur du travail, présidente de Cadre Noir Ltd, enseignante à Sciences Po et Paris Dauphine

Rapporteurs

  • Charles de Froment, fondateur, Pergamon (rapporteur général)
  • Faustine Pô, consultante, Pergamon
  • Edouard Michon, chef de projet direction de la stratégie, Allianz

Membres du groupe de travail

  • Gilles Babinet, conseiller numérique, Institut Montaigne
  • Emmanuelle Barbara, Senior Partner, August Debouzy
  • Damien Bon, CEO, Stuart
  • Clara Brenot, Senior Public Policy Associate, France, Uber
  • Anna-Christina Chaves, associée, Stehlin & associés
  • Lily Desnoes, directrice, pôle conseil RH, Obea
  • Sophie Durand, directrice de la communication, Randstad
  • Hind Elidrissi, membre du Conseil national du numérique et CEO, Wemind 1
  • Anne-Sophie Godon, directrice innovation, Malakoff Méderic Prévoyance
  • Vincent Huguet, président, Malt
  • Nicolas Pécourt, directeur de la communication et RSE, Crédit Foncier
  • Philippe Portier, avocat associé, Jeantet

Ainsi que :

  • Arthur Corbel, assistant chargé d’études, Institut Montaigne
  • François Jolys, assistant chargé d’études, Institut Montaigne
  • Théophile Lenoir, chargé d’études, Institut Montaigne
  • Julie Van Muylders, assistante chargé d’études, Institut Montaigne
     
Personnes auditionnées

Les opinions exprimées dans ce rapport n’engagent ni ces personnes ni les institutions dont elles sont membres.

  • Nicolas Amar, inspecteur des affaires sociales, IGAS
  • Jean-Baptiste Chavialle, Legal Director, Employment, EMEA, Uber
  • Matthieu Coelenbier Tré-Hardy, fondateur, Le Club des extras
  • Dan Colcieru, Senior Manager, Corporate Strategy, Temenos
  • Hugues Decosse, General Manager, Deliveroo France
  • Alexandre Fabre, professeur de droit privé, Université d’Artois
  • Stéphane Ficaja, General Manager Uber Eats France et Belgique.
  • Maeva Gauthier, directrice artistique, Ux / Ui Designer
  • Adrien Givelet, graphiste, Ux designer, webdesigner
  • Thierry Grégoire, président UMIH saisonniers et porte-parole de la négociation sociale, UMIH
  • Olivier Guillaume, expert Google analytics, tag manager, search
  • Vassilis Hatzopoulos, professeur de droit et des politiques de l’Union Européenne, Pantheion University of Athens
  • Henri Isaac, professeur, Université Paris-Dauphine
  • Anna Jannic, chef de projet innovation, stratégie, produit
  • Garance Lefèvre, Policy Senior Associate, France, Uber
  • Louis Lepioufle, responsable des relations institutionnelles et de la communication corporate, Deliveroo France
  • Antonia Maraninchi, directrice des affaires sociales, UMIH
  • Arthur Pascal, Ux / Ui designer, expert applications mobiles
  • Ben Robinson, Chief Strategy Officer, Temenos
  • David Saenz, Chief Operating Officer, Stuart UK
  • Amélie Thibierge, consultante pour Lulu dans ma rue
  • Marco Torregrossa, Secretary General, European Forum of Independent Professionals
  • Romain Trebuil, CEO & co-founder, Adecco – Yoss
  • Louis-Charles Viossat, inspecteur général des affaires sociales, président du collège Protection Sociale de l’IGAS et coordonnateur du groupe "régulation sociale" des états généraux des nouvelles régulations numériques

Simon est étudiant en sociologie et livreur à vélo. Le jour de sa majorité, Simon s’est immédiatement inscrit au registre des auto-entrepreneurs, afin d’obtenir au plus vite son numéro de SIRET. Il veut travailler vite, facilement, et surtout gagner de l’argent pour se payer des vacances d’été à l’étranger.

Michaël est chauffeur VTC. Il a été babysitter, assistant ressources humaines dans une entreprise technologique, formateur en relation client... Aujourd’hui il a 45 ans et conduit une berline. 

Maria est UX Designer. Elle a un BTS en communication visuelle et une licence concepteur-réalisateur. Elle a été directrice artistique dans une start-up de communication digitale. À 28 ans, Maria a décidé de se mettre à son compte en trouvant ses clients sur une plateforme de freelances.

 

Trois profils, trois parcours différents mais un point commun : un désir d’autonomie et de liberté dans leur travail. Celui-ci est résumé en deux phrases : "je suis mon propre patron", "je travaille où je veux, quand je veux". Mais derrière l’indépendance et l’autonomie mises en avant, il y a un acteur clé : les plateformes. Leurs rôles : servir d’intermédiaires et assurer l’équilibre entre offre et demande. Pour cela, elles mettent en contact les utilisateurs et incitent les travailleurs à adopter certains comportements. Les utilisateurs de plateformes sont par exemple invités à travailler à certaines périodes, en échange de primes. Ils reçoivent des notes pour les motiver à offrir à leurs clients un service irréprochable.

Même si les travailleurs des plateformes ne sont que 200 000 en France, soit 0,8 % des actifs occupés, il convient de s’y intéresser rapidement tant les plateformes ont créé une nouvelle façon de trouver et d’exercer un travail et tant elles jouent déjà un rôle central pour certaines catégories de travailleurs. C’est pourquoi l’Institut Montaigne a engagé une enquête statistique inédite sur les coursiers à vélo (réalisée en ligne auprès de plus de 800 travailleurs de plateformes), 22 entretiens individuels ainsi que 3 focus groups, afin de comprendre les enjeux de ces nouvelles formes de travail, et proposer des solutions pour encourager un développement responsable des plateformes de travail à la demande, respectueux des intérêts des travailleurs et soutenable sur le long terme.

    Economie des plateformes : de quoi parlons-nous ? 

    Les plateformes de travail à la demande ne sont pas un phénomène nouveau. Cette organisation du travail préexiste même le modèle du salariat, avec les agences d’intérim, l’univers des "petites annonces", les bureaux de placement, etc. Toutefois, le facteur numérique des plateformes est venu bouleverser le travail tel que nous le connaissions. La généralisation d’Internet, du très haut débit et des smartphones a changé la donne. Les plateformes digitales prennent une place centrale en jouant le rôle d’intermédiaire dans l’offre et la demande de biens et de services. 

    Le Conseil national du numérique définit une plateforme par sa "fonction d’intermédiaire dans l’accès aux informations, contenus, services ou biens édités ou fournis par des tiers. Au-delà de sa seule interface technique, elle organise et hiérarchise les contenus en vue de leur présentation et leur mise en relation aux utilisateurs finaux". Par exemple, Uber, Kapten ou encore LeCab sont des applications de mobilité qui mettent en relation les utilisateurs avec les conducteurs les plus proches grâce à un système de géolocalisation ; Airbnb ou Le Bon Coin recensent des annonces pour les rendre accessibles en ligne selon différents critères (quartier, budget, nouveauté, etc.).

    Dans le cadre de ce rapport, nous nous intéressons aux plateformes rassemblant les critères suivants :

    • le niveau d'interventionnisme de la plateforme est élevé. Elle définit par exemple les prix, les pratiques des travailleurs, leur évaluation, les incitations à la connexion, ou encore l’existence de sanctions ;

    • l’activité est significative en termes de revenus pour les travailleurs indépendants qui les utilisent.
       

    Travailleurs des plateformes : liberté oui, protection aussi 1

    Le graphique ci-dessus positionne les plateformes sur l’axe vertical en fonction de l’utilisation qui en est faite par les travailleurs. Les plateformes peuvent donc y figurer deux fois. Par exemple, certains travailleurs utilisent la plateforme UberEats comme travail ponctuel afin de compléter leurs revenus (en bas de l’axe vertical) alors que d’autres utilisent cette plateforme comme un travail régulier, ce qui en fait leur source de revenus principale (en haut de l’axe vertical).

    Qui sont les travailleurs des plateformes ?

    Travailleurs des plateformes : liberté oui, protection aussi 2


    Notre étude statistique nous a permis de dresser le portrait des travailleurs des plateformes en observant certaines tendances :

    • 96 % d’entre eux sont des hommes âgés en moyenne de 26 ans ; 
    • ils sont étudiants pour 57 % d’entre eux ; 
    • ils touchent en moyenne une rémunération comprise entre 10 et 15 euros brut par heure ;
    • et pour ¾ d’entre eux, travaillent le samedi et le dimanche.

    Les focus groups que nous avons menés ont fait émerger par ailleurs plusieurs points communs aux travailleurs des plateformes : 

    • ils sont disponibles à des plages horaires atypiques et irrégulières ; 
    • ils ont une volonté de gagner de l’argentà très court terme ;
    • ils souhaitent s’émanciper du salariat. 

    Nous distinguons trois catégories de travailleurs des plateformes : 

    • ceux qui sont salariés et qui utilisent les plateformes afin de compléter leurs revenus ;
    • ceux qui sont travailleurs indépendants et qui utilisent les plateformes comme forme d’activité exclusive ;
    • ceux qui sont hautement qualifiés et souhaitent avoir davantage de flexibilité et "travailler mieux" en se tournant vers un intermédiaire numérique (les freelances). 

    La première catégorie est couverte par la protection sociale des salariés. En revanche, les deux autres font l’objet de débats.

    Un résumé du débat autour de l’économie des plateformes ?

    Deux perspectives sur le développement des plateformes sont souvent opposées : 

    • d’un côté, les partisans qui considèrent que les plateformes permettent de pallier l’incapacité chronique des pouvoirs publics à apporter une solution d’emploi aux travailleurs les moins armés ;
       
    • de l’autre, les opposants pour qui les plateformes sont un moyen de contourner la protection des travailleurs (salaire minimum, droits individuels et collectifs du travail, etc.).

    Quelle protection sociale pour les travailleurs des plateformes ?

    Travailleurs des plateformes : liberté oui, protection aussi 3

    La question de ce que devra être la protection sociale de demain (indemnisation en cas d’accident, droits à la santé, droits à la retraite, etc.) est centrale.

    IDÉE FAUSSE

    Les travailleurs indépendants ne sont pas exemptés de protection sociale, de droits à la retraite et de droits à la santé. La protection sociale à laquelle ils ont droit est en effet moindre. En contrepartie, le niveau de cotisations est en moyenne plus faible et cette différence correspond à la plus grande autonomie des travailleurs de plateformes.

    Voici, en revanche, les protections auxquelles ils n’ont pas droit :

    • la protection complémentaire santé, 
    • l’assurance AT-MP (Accidents du Travail et Maladies Professionnelles), 
    • l’assurance contres les risques de perte d’activité ou encore les congés payés.

    Nous sommes convaincus que le régime de protection sociale doit être adapté pour permettre au travailleur de sélectionner les services auxquels il souhaite avoir droit (en mettant en place certaines obligations). Dans cette vision futuriste, la protection sociale correspond au travailleur, et non au contrat auquel il est lié.

    Les travailleurs des plateformes sont-ils des indépendants ou des salariés ?

    Ce rapport montre que la création d’un statut juridique ad hoc pour les indépendants est dépassée. À court terme, la priorité est d’établir un cadre pour limiter les dérives. Ce rapport formule ainsi certaines propositions pour assurer rapidement un encadrement fort du travail sur les plateformes et ainsi protéger les travailleurs. Cela implique de leur donner davantage de visibilité sur les algorithmes qui les gouvernent au travers de notes ou de primes, tout en empêchant les requalifications en masse qui pourraient faire sortir les acteurs de l'économie des plateformes de France.

    Les recommandations auxquelles vous n’aurez pas droit

    Non-proposition 1 "La facilité"
    Assimiler les travailleurs de plateformes à des salariés.
    Même s’il serait tentant d’opter pour cette solution de facilité aujourd’hui défendue par la jurisprudence française, cela mettrait en danger l’existence des plateformes et de leurs travailleurs qui ne souhaitent pas, pour une grande partie d’entre eux, rebasculer dans le monde du salariat. 

    Non-proposition 2 "La fausse-bonne idée"
    Créer un "tiers statut" pour les travailleurs de plateformes.
    Créer un statut juridique et de nouveaux droits permettrait de pallier les problèmes de protection sociale que nous avons identifiés mais reviendrait seulement à déplacer le problème juridique car l’expérience montre qu’un nouveau statut tend davantage à multiplier les contentieux qu’à les contenir. Par ailleurs, les droits contre les accidents du travail, pour renforcer la formation professionnelle ou pour anticiper de potentielles ruptures de contrat sont d’ores et déjà entrés dans la législation française ou ne sauraient tarder à le faire.

    Nos recommandations

    1
    Permettre le développement des plateformes en garantissant l’autonomie réelle des travailleurs des plateformes
    Détails

    Proposition 1 - Sécuriser l’interprétation juridique du travail indépendant sur les plateformes.

    Proposition 2 - Mettre les algorithmes au service des travailleurs des plateformes.

    Proposition 3 - Développer des algorithmes non discriminants.

    Proposition 4 - Encourager un partage régulier des données collectées par les plateformes sur leurs travailleurs auprès des autorités publiques et des acteurs de l’écosystème (assureurs collaboratifs, sites d’information communautaires).

    Proposition 5 - Garantir aux indépendants une visibilité raisonnable sur les évolutions des conditions d’utilisation de la plateforme.

    Proposition 6 - Créer les conditions d’un dialogue entre indépendants et plateformes de travail à la demande.

    Proposition 7 - Assurer la portabilité du capital immatériel des travailleurs.

    Proposition 8 - Encourager les bonnes pratiques des plateformes de travail à la demande via des sites collaboratifs.

    2
    Faire de la protection sociale des travailleurs des plateformes un laboratoire des nouvelles protections
    Détails

    Proposition 9 - Donner aux travailleurs des plateformes tous les moyens pour exercer leurs droits sociaux.

    Proposition 10 - Améliorer la responsabilité sociale des plateformes en imposant, secteur par secteur, la couverture des risques professionnels majeurs, en particulier les accidents du travail.

    Proposition 11 - Faire des plateformes de travail à la demande (notamment pour leurs publics "peu qualifiés") des tremplins professionnels grâce à des politiques de formation innovantes.

    Proposition 12 - Instaurer un droit universel à la complémentaire santé et à la complémentaire retraite pour les travailleurs non couverts (ni étudiants, ni salariés) au-delà d’un certain seuil de chiffre d’affaires.

    Proposition 13 - Favoriser la constitution d’une épargne de long terme pour les travailleurs des plateformes en créant un produit d’épargne adapté à leurs besoins.

    Proposition 14 - Soutenir une garantie chômage complète (partiellement obligatoire) et créer une garantie chômage "de crise" pour les indépendants (obligatoire).

    Proposition 15 - Réduire le fossé entre salariés et indépendants sur la question des logements en inventant de nouveaux dispositifs de cautionnement.

    Proposition 16 – En s’inspirant du modèle du portage salarial, favoriser l’émergence de "plateformes de plateformes", capables de mutualiser les risques individuels des travailleurs des plateformes, et d’inventer des garanties collectives sur-mesure.

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liberté oui, protection aussi</p>
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    (226 pages)
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