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Note
Décembre 2020

Relance : 30 milliards d’euros pour soutenir les populations modestes

Auteurs
Eric Chaney
Expert Associé - Économie

Eric Chaney est expert associé sur les questions d'économie de l'Institut Montaigne depuis janvier 2017.

Julien Damon
Professeur associé à Sciences Po

Julien Damon est professeur associé à Sciences Po, chroniqueur aux Échos et au Point, dirigeant de la société d’études et de conseils Éclairs. Il a été, en particulier, responsable de la Mission Solidarité de la SNCF, directeur des études à la Caisse nationale des Allocations Familiales (CNAF), chef du service Questions sociales au Centre d’Analyse Stratégique. Il a publié plus d’une vingtaine de livres dont, récemment, 100 penseurs de la société, 2016, Un monde de bidonvilles, 2017, Exclusion : vers zéro SDF ?, 2017. 

La deuxième vague épidémique et le reconfinement commandent des efforts renforcés du côté des finances publiques. Afin de compléter le plan de relance, de nouveaux instruments d’aides aux plus fragiles peuvent se mettre en place à court terme. Un programme, à la fois conjoncturel et massif, de 30 milliards d’euros de soutien aux ménages passerait par des canaux originaux : des chèques consommation axés sur les secteurs économiques les plus frappés par la crise ; des fonds attribués aux municipalités pour renforcer leurs actions sociales locales ; des prêts garantis par l’État pour les 18-25 ans. L’ensemble a trois ambitions : cibler les populations les plus enclines à consommer immédiatement ; flécher la dépense vers les filières qui en ont le plus besoin ; contribuer à une reprise puissante.

Les mesures d’urgence et de relance décidées au printemps 2020 soutiennent le revenu global des ménages. Activité partielle, allègements de charges ou encore fonds de solidarité ont ainsi permis de limiter très fortement le recul du pouvoir d’achat. Alors que l’activité économique se contractait de 19 % au deuxième trimestre 2020 par rapport au deuxième trimestre 2019, le revenu des ménages ne s’est réduit "que" de 2,6 %. 

Du côté des jeunes, particulièrement affectés par les conséquences encore à venir de la crise, pour aider les 750 000 nouveaux arrivants sur le marché du travail à l’automne 2020, mais aussi ceux qui sont aujourd’hui sans activité ou sans formation, le gouvernement mobilise environ 7 milliards d’euros. Le plan "un jeune, une solution", lancé le 23 juillet 2020, et encore évoqué par le président de la République dans son intervention télévisée du 24 novembre, vise à offrir une solution à chaque jeune. Il s’appuie sur un ensemble de leviers qui n’ont jamais autant été dotés budgétairement : aides à l’embauche, formations, accompagnements, aides financières aux jeunes en difficulté, etc. afin de répondre à toutes les situations. L’objectif affiché, et auquel tout le monde peut souscrire, est de "ne laisser personne sur le bord de la route".

L'État-providence à la française, renforcé comme jamais, confronté à des défis de financement colossaux, joue, une nouvelle fois, plutôt bien son rôle d’amortisseur de crise.

Dans une certaine mesure, tout ceci fonctionne assez convenablement. Un chiffre seulement : le chômage des jeunes, c’est-à-dire la proportion des jeunes actifs (on ne compte pas ceux qui suivent leur scolarité) est de 20 % à l’automne 2020. Cependant ce chômage des jeunes fait, depuis des décennies, du yo-yo entre 15 % et 25 %. À la différence d’autres pays (Espagne, Italie ou Suède par exemple), le chômage des jeunes actifs n’a pas fortement augmenté. 

En un mot, l’État-providence à la française, renforcé comme jamais, confronté à des défis de financement colossaux (car les recettes se sont effondrées) joue, une nouvelle fois, plutôt bien son rôle d’amortisseur de crise.

Face à l’ampleur de cette crise, ne pas augmenter significativement la dépense publique aujourd’hui, c’est se condamner à une économie restant en dessous de son potentiel pour une longue période, et ainsi accumuler encore plus de dette publique en proportion du PIB dans les années à venir. C’est le syndrome italien. 

La Commission pour l’avenir des finances publiques (CAFP) a été installée début décembre. Il lui appartient de faire des propositions afin de reconstruire une trajectoire des finances publiques de moyen terme. Elle doit élaborer des scénarios visant à digérer les impacts du fameux principe "quoi qu’il en coûte" soutenu par le président de la République. Les 30 milliards d’euros évoqués dans cette note s’inscrivent dans cette logique. Ils sont également conçus en complémentarité de l’ensemble des mécanismes déjà mis en œuvre, en particulier le fonds de solidarité pour certaines entreprises et l’activité partielle, mécanismes qui ont d’ailleurs été renouvelés et intensifiés à plusieurs reprises au fil de l’année 2020.

De fait, dans les circonstances inédites du moment, la meilleure relance que l’on puisse concevoir passe par une dépense accrue, temporaire, ciblée sur l’investissement et sur le revenu des ménages ayant une forte propension à consommer. À l’argument macroéconomique, s’ajoutent les problèmes liés au creusement des inégalités, avec leurs puissantes conséquences sociales et politiques potentielles.

Sur ce plan des inégalités, le satisfecit d’ensemble à l’égard des performances d’amortissement social du système socio-fiscal doit d'ailleurs être pondéré. Il masque à la fois de fortes disparités dans les protections accordées et dans les difficultés rencontrées. Le recours accru aux dispositifs d’aide alimentaire en témoigne concrètement. Globalement, les populations les plus fragiles avant la crise sont celles qui ont vu leur situation financière se détériorer le plus. 

Sur le registre des évolutions ressenties, la dégradation, rapportée par les personnes enquêtées par l’Insee en mai 2020, de leur situation financière est ainsi plus de deux fois plus élevée parmi les 10 % des ménages les plus pauvres que parmi les 10 % les plus aisés

 

 

Au-delà du seul ressenti, artisans, commerçants, ouvriers, mais aussi étudiants, demandeurs d’emplois, familles monoparentales ou encore sans-domicile et travailleurs au noir comptent parmi les plus touchés. 

Alors que l’activité économique sera encore très affaiblie en 2021, de nouvelles mesures publiques de soutien devraient être prises pour accélérer le rebond de la consommation et, ainsi, soutenir l’économie. Dans une logique de solidarité et d’équité, mais aussi d’efficacité économique de l’action publique, ces mesures méritent d’être ciblées sur l’aide aux ménages les plus défavorisés.

Alors que la plus grande partie des efforts contenus dans le plan France Relance, lancé début septembre 2020, visent une transformation en profondeur de l’économie française, à moyen et long termes, il convient d’agir plus directement et plus immédiatement pour la reprise de la consommation. À cet effet, augmenter et mieux cibler les aides au revenu des ménages s’imposent.

De nouveaux transferts ciblés : d’une pierre trois coups

Nous avons déjà suggéré, dans la note d’Eric Chaney intitulée Plan de relance : répondre à l'urgence économique, un plan purement conjoncturel pour l’année 2021, de l’ordre de 60 Mds €, venant en complément des 40 Mds € programmés par France Relance pour cette même année, et partagés entre ménages et entreprises. Nous revenons donc ici sur la partie ménages.

Pris dans leur ensemble, les ménages auront fortement augmenté leur épargne au cours de cette année : même après une baisse de 64 Mds € du flux d’épargne au cours du 3e trimestre, le flux cumulé depuis le début de l’année reste massif. 141 Mds €, soit 13 % du revenu après impôts perçu par les ménages, sont restés sur les comptes bancaires ou sont allés abonder les livrets d’épargne. L’image agrégée rend toutefois mal compte de la situation réelle des ménages. Pour un grand nombre d’entre eux, le poids de l’alimentation, des loyers et des autres dépenses obligatoires est tel que leurs capacités d’épargne sont très faibles, voire totalement inexistantes. Certaines familles ont même dû puiser dans le peu d’épargne qu’elles avaient, pour faire face à leur baisse de revenu ou au service de leur dette. 

Le gouvernement a rapidement mis en place de nombreuses filières de soutien au revenu de ces catégories, ce qui a permis de boucler de nombreux budgets, sans abonder l’épargne pour autant.

Dans le contexte du nouveau déconfinement progressif, étendre le soutien aux ménages à bas revenus et l’augmenter significativement, de façon temporaire, présente un triple intérêt.

1/ Stimuler l’économie avec un fort effet multiplicateur

Les ménages à bas revenu ressortent comme étant, d’une part, les plus touchés par le creusement des inégalités financières et non financières, et, d’autre part, les plus réactifs dans l’optique consommation.

Les transferts monétaires aux ménages à forte propension à dépenser, en raison de leurs contraintes budgétaires, ont un fort effet multiplicateur pour l’économie. Les sommes injectées sont rapidement dépensées, et non pas thésaurisées. Stimuler la demande finale, alors que la confiance commence à revenir en raison des espoirs ouverts par les perspectives de vaccination, est un moyen puissant de stimuler l’activité économique et d’inciter les entreprises à embaucher et investir. 

2/ Soutenir l’équité face aux pertes financières

Certaines catégories de la population ont beaucoup plus souffert financièrement de la crise du Covid-19 que d’autres. Retraités, employés du secteur public et, dans une large mesure du secteur privé, n’ont pas subi de perte significative sur leurs feuilles de paye, grâce aux soutiens aux entreprises et aux dispositifs de financement du chômage partiel. Mais pour nombre d’indépendants, de commerçants et artisans, de saisonniers et de travailleurs intermittents, la perte de revenu a été significative. Les "petits boulots", déclarés ou non déclarés, se sont largement taris, aggravant les situations de pauvreté. Des transferts financiers plus importants que ce qui a déjà été mis en œuvre permettraient de réduire considérablement le creusement des inégalités de revenu causées par la crise Covid.

3/ Renforcer l’équité face aux mesures sanitaires

Les mesures sanitaires, de restriction des déplacements, de confinement temporaire, de fermeture des établissements scolaires (durant le premier confinement) ou d’accès réduit à ces établissements, maintenu dans le cas des universités, creusent des inégalités non pécuniaires mais néanmoins bien tangibles. Les familles les plus démunies sont aussi celles qui vivent dans les logements les plus exigus, rendant les situations de confinement bien plus difficiles à vivre. La réduction des heures de cours et du travail scolaire a aussi des conséquences très différenciées selon les conditions de logement et le niveau culturel des parents. Ces pertes sont plus élevées pour les élèves de familles à bas revenus (dans une étude utilisant les données épidémiologiques françaises à haute fréquence, principalement liées à la grippe saisonnière, l’économiste Jérôme Adda avait montré qu’une fermeture de classe de trois jours causait une perte de capital humain de 0,8 %, via les pertes de revenus futurs dues à une moindre qualification). 

Les pertes de revenu, contreparties de mesures destinées à sauver des vies humaines, comportent également des transferts financiers implicites (des jeunes vers les plus âgés, des actifs vers les retraités par exemple) et ont un impact sur le bien être très différent selon les niveaux de vie et de richesse. Il s’avère légitime, de la sorte, que des transferts financiers compensent le creusement des inégalités entraînées par les mesures sanitaires (pour une recommandation en ce sens, appuyée sur une analyse critique de l’utilisation de la valeur de la vie statistique moyenne comme critère de décision sanitaire, voir Matthew Adler, "What should we spend to save lives in a pandemic? A critique of the value of statistical life").

Pour chacun des trois critères que l’on vient de décrire, les ménages à bas revenu ressortent comme étant, d’une part, les plus touchés par le creusement des inégalités financières et non financières, et, d’autre part, les plus réactifs dans l’optique consommation.

Des transferts financiers, de grande ampleur - soit la moitié (30 Mds €) du plan de relance que nous préconisons, l’autre allant au soutien à l’investissement - permettraient d’atteindre trois objectifs simultanément. Toute la difficulté est bien sûr dans le détail des mesures de transferts, leur nature et leurs critères de sélection. Des mesures mal conçues pourraient créer d’excessifs effets d’aubaine et de mauvaise allocation des ressources. À l’opposé, des mesures bien conçues feraient beaucoup pour relancer l’économie d’une façon à la fois puissante et équitable. 

Ce programme ne consiste pas en abondements systématiques des prestations en place. Il s’agit d’une action, par canaux originaux, temporaire. Le programme serait limité à 2021 pour les dépenses budgétaires immédiates et à 2022 pour l’ouverture des prêts.

Trois ciblages : allocations logement, CCAS, jeunes

Les conséquences, en termes de pauvreté, ne se voient pas vraiment encore dans les statistiques. Et ces dernières pourraient même apparaître bien paradoxales. En réalité, les instruments de mesure sont assez inadaptés. D’abord les derniers chiffres sur la pauvreté portent sur 2019. Ensuite, avec un seuil de pauvreté qui est fonction du niveau de vie médian, si le niveau de vie médian baisse (ce qu’il est raisonnable d’envisager pour 2020 et 2021) alors le seuil de pauvreté baissera, et, mécaniquement, le taux de pauvreté. Il serait absurde de considérer une diminution de la pauvreté, telle qu’évaluée habituellement, quand tous les indicateurs du dénuement seraient, eux, en croissance. Il en va d’ailleurs déjà ainsi de la pression croissante sur les services d’aide alimentaire ou encore sur le nombre d’allocataires du RSA, qui pourrait, au total, augmenter de 10  % en 2020.

Cette possible incongruité statistique à l’esprit, les conséquences de la crise pèseront, de fait, sur des catégories particulières de la population : ménages déjà défavorisés, jeunes qui auront du mal à s’insérer sur le marché du travail, salariés du privé et indépendants dont les secteurs d’activité pâtissent déjà des confinements. 

Pour cibler de nouvelles mesures sur ces populations, trois canaux de ciblage s’envisagent très valablement.

1/ Pour les ménages modestes : le canal des aides au logement

Les aides au logement, sous condition de ressources, sont versées aux ménages locataires ou accédant à la propriété les plus modestes. Alors que les minima sociaux, tous d’un montant inférieur à 900 € mensuels, touchent les plus pauvres, les aides au logement couvrent un public plus large, contenant en grande partie par ailleurs les allocataires des principaux minima sociaux. 

Il semblerait judicieux de lancer, comme on l’a fait pour les entreprises - et pour des montants très importants - des prêts garantis par l’État (PGE) en faveur des jeunes.

Le gouvernement a déjà organisé deux fois le versement, fin mai et fin novembre, d’une "aide exceptionnelle de solidarité pour les foyers les plus modestes et les jeunes". Celle-ci était versée, principalement, par Pôle Emploi aux allocataires de l’Allocation de solidarité spécifique (ASS) et par les CAF aux allocataires du RSA ainsi qu’aux ménages touchant une aide au logement s’ils avaient au moins un enfant à charge. En décembre, une "prime de Noël", comme chaque année depuis vingt ans, sera également versée sur les comptes des allocataires de l’ASS et du RSA.

Notons que les allocataires de l’allocation aux adultes handicapés (plus d’un million de personnes), entre autres minima sociaux, sont exclues de cette opération.

Afin de ne pas se cantonner aux situations les plus défavorisées et de toucher tous les ménages modestes, une nouvelle aide, substantielle, peut passer par le fichier des allocataires des allocations logement. La réforme dite des "APL en temps réel" donne l’occasion d’un ciblage efficace. Cette réforme, qui entre en vigueur au 1er janvier 2021, rend réactif le mode de calcul des allocations logement qui bénéficient aujourd’hui à 6,6 millions de ménages. 

Les allocations logement, à compter du 1er janvier, seront plus réactives car permettant une actualisation plus rapide de leur montant. Leur fichier de gestion contiendra les ménages fragiles qui se trouvaient dans une situation précaire en amont de la crise et ceux dont la situation s’est très nettement dégradée du fait du contexte économique.

2/ Pour les ménages démunis non allocataires d’allocations logement : les CCAS

Les pouvoirs publics ont largement soutenu le secteur associatif pendant la période. Il s’est agi notamment de financer les nouveaux efforts en faveur des sans-domicile et de l’aide alimentaire. Fin novembre, un nouveau budget de 100 M€ a été débloqué pour les associations de lutte contre la précarité.

Dans l’ambition de chercher à couvrir toute la population démunie, outre le canal des allocations logement et celui des associations, les Centres communaux et intercommunaux d’action sociale (CCAS et CIAS) méritent d’être mobilisés et soutenus par l’État.

Les allocations logement, comme vecteur de distribution d’une nouvelle aide, présentent des défauts. D’abord, les ménages propriétaires pauvres, nombreux en zone rurale, ne les touchent pas. En outre, des ménages actifs, propriétaires, notamment parmi les commerçants et les artisans, basculeront avec la crise dans la précarité sans pouvoir bénéficier de la réactivité augmentée des allocations logement (car ils n’y seront toujours pas éligibiles). N’en bénéficient pas non plus toutes les personnes sans-abri et hébergées en urgence, alors qu’elles figurent incontestablement parmi les plus pauvres. C’est le cas aussi d’une partie importante des saisonniers. Un soutien aux CCAS, centré sur toutes ces catégories singulières, se justifie en complément de l’aide qui passerait par le fichier des allocations logement.

Les allocations logement présentent, par rapport à l’objectif recherché ici, un autre défaut. Elles sont versées aux étudiants très souvent sans prendre en considération les ressources des parents. Ce sujet, éternellement disputé, n’est pas problématique en l’occurrence, car une ambition de cette opération consiste à soutenir la consommation. Or tous les jeunes ont une propension élevée à la consommation.

3/ Pour un effort singulier en faveur des premières victimes de la crise : les jeunes

Les jeunes font l’objet, à juste titre, d’inquiétudes et d’attentions particulières. La crise économique pèse d’abord sur ceux qui ne sont pas encore bien insérés sur le marché du travail. Elle pourrait peser disproportionnellement à long terme si des efforts plus massifs encore ne sont pas consentis. 

Accorder le RSA aux jeunes (en dehors des cas prévus pour les jeunes déjà parents ou bien ayant déjà beaucoup travaillé) est un véritable serpent de mer. L’option ne bénéficie ni du soutien de la majorité ni d’une très bonne image dans l’opinion. Il semblerait plus judicieux de lancer, comme on l’a fait pour les entreprises - et pour des montants très importants - des prêts garantis par l’État (PGE) en faveur des jeunes. Avec un plan de remboursement qui démarre lorsque le jeune est en mesure de gagner sa vie. Une telle opération s’enclenche rapidement, avec les réseaux bancaires, et peut, en peu de temps, changer les perspectives d’une jeunesse inquiète par l’avenir.

Il ne s’agirait pas de cibler les plus défavorisés parmi les jeunes - ceux-ci faisant l’objet par ailleurs de nouvelles aides décidées fin novembre. Tous les 18-25 ans pourraient prétendre à ce système de prêts ouvert pendant les deux prochaines années. 

Trois mesures dans un plan massif de 30 Mds €

Les logiques de solidarité et de soutien à l’activité invitent à une aide massive et temporaire en faveur des populations et des secteurs les plus fragiles. Il s’agit ainsi de cibler les aides sur les ménages les plus touchés par la crise, en veillant à prévenir le risque de constitution d’une épargne inutile et en cherchant à orienter vers les secteurs les plus meurtris par la crise. 

Trois mesures originales sont proposées.

1/ 12 Mds € de chèques consommation pour les allocataires des aides au logement

Afin de soutenir conjointement la consommation des ménages et certains secteurs économiques particulièrement affectés par la crise, le gouvernement devrait choisir l’option des chèques-consommation. Ce vecteur, privilégiant les dépenses immédiates a d’ailleurs déjà été partiellement mobilisé pour contrecarrer les effets de la crise. L’État a financé des chèques-services pour les sans-abri. Les plafonds de dépense pour les tickets restaurants ont été augmentés. Ce devrait être le cas pour les chèques cadeaux. Des municipalités (Calais ou Angoulême par exemple) et des associations caritatives ont développé leurs propres titres.

Plus globalement, ce vecteur de soutien simultané au pouvoir d’achat et à des secteurs clés, suscite toujours davantage d’intérêt. Dans le contexte de la crise Covid, le Fonds européen d’aide aux plus démunis (FEAD) en soutient l’opportunité. L’OCDE en étudie les déclinaisons et les perspectives un peu partout dans le monde. D’autres think tanks français, Terra Nova ou les Gracques par exemple, en traitent afin de réagir efficacement face aux conséquences de la crise.

Concrètement, un programme national massif passerait par des titres de paiement distribués par les CAF et caisses de MSA, sous la forme de cartes de crédit adressées au domicile des allocataires. Un intérêt tient dans le fléchage possible des dépenses. Dans la mesure où la relance se devra d’être ciblée sur des secteurs qui auront particulièrement souffert, le périmètre d’utilisation possible de ces chèques pourra comprendre le bâtiment, l’hôtellerie restauration, l’alimentation. Focalisée sur des secteurs et consommations prioritaires, empêchant une épargne inutile, une vaste opération de distribution de tels chèques serait inédite. Avec une forte visibilité et une forte acceptabilité possible. Calibrage et modalités de production de tels "vouchers", restent à préciser. Les controverses seront les mêmes que celles qui ponctuent l’année civile, avec l’allocation de rentrée scolaire (ARS), ou la "prime de Noël" pour les bénéficiaires de certains minima sociaux. Faut-il, avec le même budget public, verser des fonds libres d’affectation ou servir des bons d’achat orientés ? Les destinataires choisiraient la liberté, mais les TPE, artisans, commerçants et autres indépendants préféreront des titres visant leurs activités. 

Concentrée sur la seule année 2021, une enveloppe de 12 Mds € pourrait être allouée par l’État à ces chèques consommation. Cette aide, colossale, correspond, en moyenne, à plus de 450 € par trimestre pendant un an pour les 6,6 millions de ménages touchant des allocations logement. Il faudra en formater plus précisément le barème.

Soulignons que passer par le fichier des allocations logement, ne veut pas dire une augmentation des allocations logement. Il s’agit, comme pour les "aide exceptionnelle de solidarité", de passer par ce fichier réactif, non pas d’en transformer les prestations.

2/ 500 M€ d’aides de secours accordées par les centres d’action sociale

Les publics les plus touchés par la crise ne sont pas tous allocataires des aides au logement. Certains publics, en particulier ceux très éloignés du logement mais aussi une part des propriétaires, voient leur situation financière et sociale se fragiliser. Pour traiter de ces cas de grande pauvreté, l’État soutient traditionnellement le secteur associatif.

De manière plus originale, et massive, il serait loisible de passer par les CCAS et CIAS. Ces acteurs publics, au nombre de 14 500 et présents sur l’ensemble du territoire national, sont actuellement dotés d’un budget de 6,3 Mds €, dont 143 M€ pour les aides de secours.

Ouvrir une enveloppe de soutien de 500 M€ centrée sur ces aides de secours local revient à les multiplier par quatre. L’opération revient, également, à un soutien de l’État aux finances locales, celles du bloc municipal (communes et intercommunalités). La logique voudrait que CCAS et CIAS repèrent les personnes dans le besoin, non allocataires des allocations logement, et qui se verraient verser, au même titre que les autres ménages, des chèques consommation.

Les logiques de solidarité et de soutien à l’activité invitent à une aide massive et temporaire en faveur des populations et des secteurs les plus fragiles.

Ceux-ci viendraient compléter l’accompagnement personnalisé de ces structures, par ailleurs au fait des besoins sociaux locaux.

3/ 17,5 Mds € de prêts jeunes garantis par l’État 

Les jeunes sont durement touchés par la crise économique. Étudiants, ils n’ont plus accès à un certain nombre d’emplois qui leur permettaient de financer leur vie quotidienne : restauration, événementiel, stages d’études, etc. En fin d’étude, ils rencontrent d’importantes difficultés pour accéder au marché du travail. Ni étudiant, ni employé, ni stagiaire (NEET), ils voient leur précarité se renforcer par l’effacement des petits boulots et leurs perspectives d’entrée dans la vie active s’éloigner. 

Un puissant effort pour les jeunes peut passer par un système original de prêts. À cet effet, il est proposé d’élargir pour les seules années 2021 et 2022 le système de prêt garanti pour les étudiants à tous les jeunes. Ce dispositif, par lequel l’État garantit un prêt bancaire dans la limite de 15 000 €, ne bénéficie actuellement qu’à 11 500 bénéficiaires en 2020 et concernerait 67 500 étudiants en 2021 dans le cadre du plan de relance. 

L’extension temporaire de ce dispositif de prêts garantis, à tous les jeunes de moins de 25 ans dans une limite augmentée à 50 000 €, pourrait permettre de toucher un nombre bien plus conséquent de jeunes - signalons qu’un RSA sur sept ans représente environ 42 000 € (sept années de douze mensualités de 500 euros). Au total, ce serait un montant maximum de 17,5 Mds € de prêts garantis qui pourraient être octroyés sur deux ans. Le coût budgétaire final pour l’État serait limité (de l’ordre de 0,5 Md €). L’opération bénéficierait effectivement d’un très fort effet levier et participerait ainsi fortement à la relance de l’économie.

Autre originalité, le dispositif s’inscrirait dans la logique des prêts à remboursement contingent. Ceux-ci, déployés dans d’autres pays pour financer l’enseignement supérieur, permettent d’attendre l’atteinte d’un certain niveau de revenus avant le début du remboursement1.

Un tel montage ne coûterait pas forcément très cher puisqu’il s’agit d’une garantie et non d’une allocation. L’opération est audible dans le débat public. L’instrument représente un véritable investissement en faveur des jeunes, changeant à la fois leur quotidien et leurs perspectives. On peut souligner un risque de surendettement. Mais c'est, entre autres, contre cet effet pervers, que la garantie d'État jouerait. L'idée, là aussi, reste à calibrer précisément. 

 

 

Écrit en collaboration avec Pierre Vincenac.

1L’Institut Montaigne travaille par ailleurs à l’introduction de cet instrument dans le contexte français.

Pour rentrer dans le détail

Nombre de ménages par tranche de revenu disponible annuel (2018)

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Le programme proposé ici toucherait de l’ordre de 7 millions de ménages (environ 25 % des personnes vivant en France). Le plafond de revenu disponible annuel serait alors de l’ordre de 18 à 20 000 €, pour une médiane qui se situe, en 2018, à 30 600 €. Ce chiffrage est un ordre de grandeur car l’opération est techniquement fonction du barème des allocations logement. Elle prend aussi en considération, pour le volet soutien aux CCAS, des personnes qui échappent à la statistique sur les revenus fiscaux et sociaux, dans la mesure où il ne s’agit pas de ménages "ordinaires" de l’Insee.

Comme nous proposons d’injecter 30 Mds €, le nouvel effort public représenterait, pour 2021, une moyenne de 1 800 € de chèques consommation par ménage ciblé par l’opération et, pour 2021 et 2022, 3 200 € de prêts pour tous les jeunes. Cependant, le recours à ces prêts et leurs montants seront très différents et bien plus dispersés.

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