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Exemple : Education, Europe, Santé
  • Les militants
    du djihad

    Ouvrage - Janvier 2021
Auteurs
Hakim El Karoui et Benjamin Hodayé

Normalien, agrégé de géographie, Hakim El Karoui a enseigné à l’université Lyon II avant de rejoindre le cabinet du Premier ministre en 2002. Après un passage à Bercy, il rejoint, en 2006, la banque Rothschild. En 2011, il rejoint le cabinet de conseil en stratégie Roland Berger où il est co-responsable de l’Afrique et du conseil au gouvernement français. En 2016, il fonde sa propre société de conseil stratégique Volentia. Il est également essayiste et entrepreneur social et a créé le club du XXIe siècle et les Young Mediterranean Leaders. Hakim El Karoui est senior fellow de l’Institut Montaigne. 

Ancien élève de l’ENS de Lyon, Benjamin Hodayé est agrégé d’histoire. Ses recherches portent sur l'histoire du Maghreb contemporain et sur l’islam en France et en Europe.

L'Institut Montaigne a, depuis plusieurs années, porté une attention particulière au sujet de l’idéologie islamiste et du djihadisme. Après plusieurs travaux sur le sujet, notamment Terreur dans l’Hexagone (2015) et La Fabrique de l’islamisme (2018), il nous a paru nécessaire d'étudier le parcours sociologique et idéologique des djihadistes français et européens.

Cet ouvrage, Les militants du djihad, est le fruit d’un travail initié en 2018 qui a permis de constituer une base de données inédite de plus de 1 460 djihadistes actifs entre 2010 et fin 2019 dans quatre pays européens (France, Royaume-Uni, Belgique et Allemagne). 700 djihadistes liés à la France y sont identifiés, ce qui représente environ 30 % des 2 500 djihadistes français estimés pour la période. 

Ces femmes et ces hommes ont commis des attentats, en ont projeté (20 % des personnes identifiées dans la base de données sont des terroristes), sont partis en Syrie ou ont voulu rejoindre cette zone de guerre pour y faire le djihad. 

Pourquoi ce travail ? Car il est nécessaire de s’appuyer sur des chiffres clairs et des données concrètes pour dépasser les débats passionnés, comprendre les raisons de l’engagement sans précédent de citoyens européens dans le djihadisme, et ainsi tenter d’anticiper les grandes tendances à venir du djihadisme, qui mute sous nos yeux. 

Trois enseignements principaux se dégagent de ce travail :

  • Le parcours sociologique des femmes et des hommes qui choisissent le djihad montre l’homogénéité sociale et géographique du phénomène et la préexistence de failles personnelles, qui peuvent rendre les individus vulnérables aux discours radicaux. 
     
  • L’approche religieuse et idéologique décrit les chemins intellectuels et spirituels d’accès au djihadisme et met en lumière le rôle du salafisme dans le parcours d’au moins la moitié des djihadistes français.
     
  • La reconstitution des réseaux éclaire la mécanique exacte du militantisme, du recrutement et de l’engagement, qui se jouent avant tout à l’échelle locale, sur des territoires précaires travaillés de longue date par l’islamisme.

Zoom sur le cas français

Les djihadistes sont pour 90 % d’entre eux nés en France, et 94 % sont français. Comment expliquer alors que des Français ayant grandi en France puissent renier la République, voire prendre les armes contre elle ? C’est la question à laquelle cet ouvrage tente de répondre en retraçant les parcours sociologiques et idéologiques des djihadistes. 

Tout d’abord, il s’agit d’un phénomène générationnel puisqu’en France, comme en Europe, les djihadistes sont nés en moyenne en 1988. Leur vivier de recrutement est au croisement de groupes minoritaires de la population : les jeunes, les habitants de Quartiers populaires de la politique de la ville (QPV) et les musulmans. 

Ces données sociologiques ne constituent pas une causalité mais une toile de fond. C’est la religion, transformée en idéologie par l’islamisme, qui est le principal levier de l’engagement dans le djihad.

L’importance de la religion dans l’engagement djihadiste

Mais de quel islam parle-t-on ? Le fossé est large entre les formes absolutistes de l’islam (salafisme, djihadisme) et l’islam traditionnel pratiqué par la majorité des musulmans français. 90 % des individus ont connu une rupture spirituelle, au sens où ils ont en quelque sorte changé d’islam, passant de l’islam traditionnel au salafo-djihadisme. Par ailleurs, 30 % des djihadistes français sont des convertis, ce qui démontre la puissance de conviction de l’islamisme. Il s’agit là d’une jeunesse qui subit un questionnement identitaire, auquel l’islamisme (violent ou non) répond à la place de la République. 

Tous les salafistes ne deviennent pas djihadistes, mais le djihadisme français tire sa force du salafisme français. Ces deux courants partagent des fondements identiques et une même vision absolutiste de la religion musulmane. En France, tous deux voient une incompatibilité fondamentale entre l’islam et la République, dont ils nient les valeurs. La différence entre ces deux formes de salafisme se fait non sur les fins (expansion de l’islam et application de la sharia dans son interprétation la plus dure et littéraliste), mais sur les moyens : la prédication pour les uns, la violence pour les autres. 

Lorsque l’on se penche sur la trajectoire des djihadistes, ce livre montre qu’il faut distinguer deux parcours : l’un passe par le salafisme, l’autre va directement au djihadisme.

Un engagement local qui se fait en réseau

Bien que la propagande en ligne soit un puissant moteur pour diffuser l’idéologie, pour mobiliser les militants, et polariser les haines, internet et les réseaux sociaux suffisent rarement à expliquer l’engagement réel des djihadistes. L’élément déterminant est plutôt la capacité pour l’aspirant djihadiste à se connecter, entre autres par Internet, à d’autres djihadistes - ou plutôt à être déjà connecté à eux. 

L’élément déterminant est en effet la présence de recruteurs djihadistes. La tâche de ces derniers est facilitée dans la mesure où les hotspots ont été travaillés par plusieurs générations d’islamistes, Frères musulmans, militants du Tabligh et salafistes qui, involontairement, mais avec une vision de la religion qui se rejoint sur bien des points, ont contribué à des formes plus ou moins poussées de communautarisation. Leur présence a eu pour conséquence, sur le long terme, une inversion des normes au profit d’un absolutisme religieux et aux dépens des normes et valeurs de la République. Cette nouvelle normalité explique la facilité avec laquelle des individus en apparence éloignés de la religion peuvent rapidement basculer dans le djihadisme : ces normes leur apparaissent comme une vérité non remise en cause, qu’ils finissent par s’approprier. La rupture du passage à l’acte ou du départ en Syrie est donc moins rude qu’on pourrait le penser. Tous les djihadistes, qui pour la plupart sont originaires des mêmes territoires, sont convaincus par la cause qu’ils défendent. Il ne faut donc pas réfléchir en termes de "radicalisation" ou de "lavage de cerveau", mais d’engagement, de recrutement et de militantisme.

Cet ouvrage fournit d’ailleurs une étude précise de la mécanique de recrutement et la constitution des filières et des réseaux à l’échelle locale.

Le djihadisme français à la croisée des chemins

Les auteurs identifient entre la fin de la décennie 2000 et 2012 l’émergence d’un salafisme plus agressif et provocateur. En 2012, il entrait dans une phase violente (représentée par Mohammed Merah) quand la guerre syrienne puis la montée en puissance de l’État islamique a en grande partie détourné les forces salafistes et djihadistes du territoire européen - les attentats exceptés. L’échec du projet califal de l’État islamique a refermé cette parenthèse syrienne. Comment penser alors l’avenir du djihadisme en France ? 

Ce travail de recherche amène les auteurs à avancer deux scénarii d’évolution :

  • L’un, violent, dans lequel les djihadistes qui n’ont pas été tués ou appréhendés dans le djihad syrien, ceux qui sont sortis de prison, et leurs nouveaux disciples, se tournent vers la France et l’Europe et en font le nouveau théâtre du djihadisme.
     
  • L’autre, social, dans lequel le djihadisme évolue vers une forme moins violente, plus politique, mais tout aussi dangereuse qui accélérerait le repli identitaire et séparatiste déjà à l’œuvre dans certains quartiers.

Une chose apparaît évidente : la France deviendra un enjeu majeur pour l’idéologie djihadiste. 

Cet ouvrage est disponible en librairie et sur le site de Fayard

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