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Le conflit russo-ukrainien met en lumière les divisions profondes d’un monde multipolaire, dans lequel l’Occident ne fait plus figure de leader. Alors que l’UE risque de sortir de cette guerre profondément affaiblie, Michel Duclos, conseiller spécial de l’Institut Montaigne et ancien ambassadeur, appelle la France à faire face à ce changement de donne et à redéfinir sa politique étrangère. 

Conflit en Europe, crise mondiale

Depuis le début de l’invasion russe de l’Ukraine le 24 février dernier, la guerre est de retour en Europe. Si le conflit est avant tout local, opposant Moscou à Kyiv, il est pensé par les dirigeants russes comme une attaque à l’ordre mondial tel que construit par l’Occident, et revêt ainsi des implications globales. 

  • D’abord, les États-Unis se sont engagés avec force dans le conflit, avec notamment en ligne de mire la Chine, pour démontrer la capacité de réaction occidentale dans l’hypothèse d’une attaque chinoise contre Taïwan. En lien étroit avec l’allié américain, l’Union européenne a également réagi rapidement sur plusieurs plans : en matière de sanctions, d’aide à l’Ukraine et d’augmentation de ses capacités de défense. Le camp occidental a ainsi fait preuve d’une cohésion et d’une efficacité remarquables. Néanmoins, la guerre n’est pas finie et des points de divergence pourraient apparaître, notamment face à l’explosion de l’inflation.
  • Ensuite, le conflit a bouleversé les équilibres intra-européens. Le couple franco-allemand semble affaibli, au profit des "nouveaux États membres", tels que la Pologne, malgré ses atteintes à l’État de droit. Sur la question de l’attitude à adopter vis-à-vis de Moscou, mais également de l’élargissement de l’Union, notamment à l’Ukraine, c’est en effet leur ligne qui semble aujourd’hui dominer.
  • Au-delà de l’Occident, les conséquences, notamment économiques, de la guerre se font ressentir dans le monde. Celles-ci contribuent à creuser le décalage entre les Occidentaux et les grands émergents, tels que l’Inde ou les pays du Golfe. Ils refusent ainsi de participer à la stratégie d’isolement politique et d’affaiblissement économique de la Russie, alors qu’une partie importante des leurs opinions publiques adhère au narratif russe d’intervention en Ukraine pour prévenir une menace de l’OTAN.
  • Enfin, la guerre en Ukraine et le jeu de sanctions et contre-sanctions qui en résulte viennent fragiliser davantage le commerce mondial, les chaînes de valeur et la sécurité alimentaire, déjà mis à mal par la crise du Covid-19. La mondialisation pourrait se trouver dans une posture encore plus critique si la Chine venait à décider de contourner les sanctions américaines vis-à-vis de la Russie, s’exposant ainsi à des sanctions très lourdes à l’encontre de sa propre économie. 

Si l’issue de cette guerre n’est pas certaine, il est probable que la Russie, qu’elle soit vainqueure ou vaincue, sorte affaiblie de cette aventure dans laquelle Vladimir Poutine l’a embarquée. Sur le plan économique, les pressions occidentales sont susceptibles de se poursuivre au-delà de la guerre, alors qu’un changement de régime à Moscou est peu probable dans les prochaines années. Cela ne fera qu’accroître la dépendance russe à l’égard de la Chine. On peut alors s’attendre à une compétition Est-Ouest accrue, encouragée par une Russie affaiblie et revancharde. Cela dépendra néanmoins également de l’attitude des autres acteurs, au premier rang desquels la Chine, mais également les États-Unis et grands émergents, et des leçons qu’ils tireront de cette guerre.

Et la France ?

Quant à la France, elle se trouve d’une part confortée dans son projet d’une Europe plus forte, plus souveraine et plus résiliente ; mais est d’autre part handicapée par son tropisme sur la Russie et sa volonté de privilégier le dialogue, alors que la "ligne dure" d’autres Européens comme les États baltes, l’Europe du Nord ou la Pologne semble aujourd’hui triompher. S’il faudra bien en effet un jour négocier avec Vladimir Poutine pour mettre fin à la guerre, les conditions ne sont aujourd’hui pas réunies et le coût de la poursuite du dialogue pour le Président Macron est élevé. 

Alors que l’UE risque de sortir profondément affaiblie économiquement, politiquement, psychologiquement et même philosophiquement de cette guerre à ses portes, quels premiers éléments d’orientation pour la politique étrangère française - en Europe et au-delà - peut-on suggérer ?

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En Europe
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  • Consolider un rôle de leader pour la France. Il s’agit là de la priorité pour les autorités françaises, qui implique une plus grande concertation et des efforts de pédagogie envers nos partenaires européens, pour faire apparaître nos positions comme des contributions à la recherche d’un nouveau consensus au sein de l’Union. Cela passe également par des gages à donner à nos partenaires sur deux points importants : la fermeté à l’égard de la Russie et la reconnaissance de la centralité de l’OTAN dans la défense du continent.
  • Se mettre en posture de négociation. Forte d’une clarification de ses positions sur les points cités précédemment, la France doit s’appuyer sur diverses coalitions intra-européennes pour faire avancer des sujets importants pour elle, comme le renforcement de la zone euro, l’alignement de la Pologne sur les normes européennes en matière d’État de droit et la valorisation du nucléaire civil.
  • Clarifier notre conception de l’Europe de la défense. Une fois reconnu le caractère central de l’OTAN, les autorités françaises doivent veiller à ce que la guerre n’enterre pas toute velléité de construction d’une défense européenne. En articulation avec l’OTAN, l’UE pourrait par exemple contribuer au financement des efforts de défense de ses États membres et à l’émergence d’une base industrielle et technologique de défense européenne.
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Dans le jeu global
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  • Mener la bataille des récits. Si les perceptions dans les pays émergents se nourriront avant tout de l’aide, notamment sur la question alimentaire, apportée par l’Europe, celle-ci ne doit pas abandonner le champ du narratif. Sur ce point, le Président Macron est mieux placé que d’autres du fait de la politique de main tendue à la Russie qu’il a longtemps défendue et de son statut de chantre du multilatéralisme.
  • Garantir la stabilité de la mondialisation. Il serait opportun, par exemple via le G7, de tenter de limiter les effets de la guerre et des sanctions pour les pays du Sud, qui subissent les conséquences d’un conflit qu’ils considèrent comme étant "un problème d’Occidentaux". Cela pourrait s’accompagner de l’envoi d’émissaires français dans certaines capitales pour mieux comprendre les préoccupations de ces pays et démontrer l’importance que la France y attache.
  • Refonder les alliances occidentales. Le redressement des efforts de défense européens doit aller de pair avec une discussion stratégique avec les États-Unis sur le partage des responsabilités dû au "pivot américain vers l’Asie". Là encore, le Président Macron a un rôle particulier à jouer car il apparaît a priori comme le principal interlocuteur en Europe du Président Biden.
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À plus long terme, face à la Russie
Détails
  • Réviser notre posture de défense. La guerre en Ukraine a contribué à mettre en relief la possibilité d’un conflit "de haute intensité" dans lequel la France serait engagée dans les prochaines années, face auquel elle dispose d’un certain nombre de lacunes. Dans ce contexte stratégique durci, il apparaît justifié d’entamer l’élaboration d’un nouveau Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, qui doit notamment nous amener à nous interroger sur l’objectif des 2 % du PIB consacrés aux dépenses militaires.
  • Penser à nouveaux frais la question nucléaire. Les menaces nucléaires proférées par Vladimir Poutine doivent nous encourager à remettre sur la table la question nucléaire, au moment même où la possibilité d'un accord avec l'Iran sur le sujet paraît s'éloigner. 
  • Savoir se taire sur la Russie. Il convient pour la France, notamment vis-à-vis de ses partenaires européens, d’affirmer clairement que l’agresseur ne doit en aucun cas l’emporter. De même, une fois la guerre terminée, il serait dangereux pour les dirigeants français d’envisager de reprendre le fil de leur proposition d'architecture de sécurité européenne négociée avec Moscou. Enfin, s’agissant des conditions d’un éventuel règlement du conflit, plutôt que de spéculer publiquement, la France, avec ses alliés américain et britannique du P3, pourrait proposer - de manière confidentielle - d’apporter des "garanties de sécurité".
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