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Note
Octobre 2022

Emploi des seniors :
agir sur tous les leviers

Auteur
Franck Morel
Expert Associé - Travail et Dialogue Social

Expert reconnu du droit du travail depuis plus de vingt ans, Franck Morel est avocat associé chez Flichy Grangé Avocats.

Baptiste Larseneur
Expert associé - Éducation

Baptiste Larseneur était expert résident sur les questions d'éducation et responsable de projets liés au développement du capital humain et au développement économique des territoires à l'Institut Montaigne.

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En France, d’après les chiffres de la DARES, le taux d’emploi des travailleurs dits seniors, c'est-à-dire les salariés âgés de 55 à 64 ans, n’a cessé de progresser depuis vingt ans : il est passé de 32 % au début des années 2000 à plus de 56 % en 2021. Pour autant, le taux d’emploi des seniors français demeure inférieur à la moyenne européenne (59 %).

En matière d’emploi des seniors, les politiques publiques françaises tâtonnent encore. Si l’on peut se féliciter de l’abandon quasi-complet des dispositifs de soutien aux départs anticipés, pour autant nombre de dispositifs spécifiques créés ont finalement été supprimés faute de résultats satisfaisants.

Il en résulte que l’augmentation du taux d’emploi des seniors est presque exclusivement due aux réformes des retraites successives qui ont créé une forte incitation au maintien dans l’emploi, notamment en reculant l’âge légal de départ à la retraite, l’âge de la retraite à taux plein, la durée d’assurance et en créant des mécanismes de décote et de surcote.

Néanmoins, n’activer que ces leviers pour renforcer le taux d’emploi des seniors est insatisfaisant : ces réformes ont également eu pour conséquence de faire basculer des travailleurs expérimentés, qui ne parviennent pas à rester ou à revenir dans l’emploi, vers le chômage ou l’inactivité forcée.
 
Dès lors, à la lumière de l’analyse que nous pouvons faire des échecs passés et des politiques efficaces conduites chez nos partenaires européens, comment concevoir un plan équilibré en faveur de l’emploi des seniors qui ne saurait se résumer au recul de l’âge du départ en retraite ?

Faisant écho au volontarisme de notre pays en faveur de l’emploi des jeunes, l’ensemble des 16 propositions formulées dans cette note ont pour ambition de construire un plan cohérent, permettant d’aménager le maintien des seniors dans l'emploi et d’encourager à l'embauche des seniors tout en limitant le risque de précarité à la sortie. Parmi elles, 7 propositions apparaissent prioritaires pour favoriser l’accroissement du taux d’emploi des seniors.

Levier 1 : Encourager à l'embauche des seniors

Proposition : créer un contrat d’embauche pour les seniors (CS) de 55 ans et plus ouvert aux embauches en CDD, ou CTT jusqu’à 5 ans, renouvelable une fois, et aux embauches en CDI.

Les seniors sont plus confrontés à l’emploi à durée limitée que le reste de la population, notamment les 60-64 ans, puisque 90 % d’entre eux sont employés en CDD contre 85 % pour les 45-49 ans. Il est proposé de substituer à l'actuel CDD senior un contrat unique, comme un contrat d’embauche pour les seniors (CS) de plus de 55 ans. Ouvert à l’embauche en CDD, CTT jusqu’à 5 ans renouvelable une fois, CDI ou CDI intérimaire avec pour seul motif de recours "l’emploi des seniors", l’embauche en CS serait associée à une aide spécifique versée à l’employeur sur le modèle de celle du contrat de professionnalisation senior (2 000€ pour l’embauche d’un plus de 45 ans).

Proposition : moduler le taux des cotisations sociales patronales en fonction de l’âge du salarié.

En France, le coût du travail induit par les cotisations sociales ne tient pas compte de l’âge des salariés, alors que les chances d’accès à l’emploi sont très différentes en fonction de l’âge. A contrario, en Suède, le taux de cotisations diminue avec l’âge et les cotisations de retraite professionnelle sont supprimées à partir de 65 ans dans beaucoup d’accords collectifs. Ainsi, il est proposé d’instaurer une modulation des cotisations patronales en courbe de Gauss afin de favoriser, aux deux extrémités, les salariés dont les taux d’emploi sont les plus faibles. Concrètement, les salariés entre 30 et 55 ans, dont les taux d’emploi sont les plus élevés, pourraient voir le taux des charges sociales patronales qui leur sont appliquées augmenter quand les moins de 30 ans et les seniors verraient le taux des charges sociales diminuer.

Nous formulons l’hypothèse qu’en diminuant de 2,5 points les cotisations vieillesse et chômage des moins de 30 ans et des plus de 55 ans, et en augmentant d’1 point les cotisations des salariés entre 30 et 55 ans, le dispositif serait suffisamment incitatif tout en maintenant un produit des cotisations sociales inchangé.

Proposition : supprimer progressivement les "préretraites Unedic", qui constituent en pratique le dernier dispositif de préretraite financé sur fonds publics, à mesure que le taux d’emploi des seniors progressera.

Les demandeurs d’emploi bénéficient, à partir de 55 ans, d’une durée maximale d’indemnisation de 36 mois. Cette indemnisation peut être prolongée au-delà de 36 mois suivant une règle particulière de maintien d’indemnisation. En effet, pour les demandeurs d’emploi ayant épuisé les 3 ans d’indemnisation à 62 ans et ne pouvant liquider leurs droits à retraite complets, le mécanisme des "préretraites Unédic" permet de conserver une indemnité chômage jusqu’à l’acquisition d’une retraite à taux plein, soit 5 ans de plus potentiellement.
 
Il est proposé dans l’esprit de la future réforme de l’assurance chômage qui permet de prendre en considération les fluctuations de la conjoncture du marché du travail pour moduler les règles relatives à l'indemnisation, de supprimer progressivement ce qui s’apparente au dernier système de préretraites aidées à mesure que le taux d’emploi des seniors progressera. Le bénéfice de l’indemnisation par l’assurance chômage d’une durée de 5 années pourrait être progressivement ramené à trois ans puis supprimé totalement en fonction de l’amélioration du taux d’emploi des seniors. Cette réduction pourrait se faire en suivant un calendrier pluriannuel défini par accord entre les partenaires sociaux ou par décret.

Levier 2 : Aménager leur maintien dans l'emploi

Proposition : créer des conventions de fins de carrière pour favoriser des aménagements conventionnels de fin de carrière.

À l’instar des branches professionnelles comme le BTP qui permettent aux seniors, sur une base conventionnelle, de réduire leur temps de travail en contrepartie d’une réduction de leur rémunération et du versement d’une indemnité conventionnelle de licenciement, encourager la signature de conventions de fin de carrière semble être un outil efficace, susceptible de répondre tant aux aspirations des salariés qu’à celles des entreprises. Après signature de cet aménagement conventionnel, la cotisation retraite de l’employé continuerait d’être basée sur l’emploi précédent à temps plein.

Proposition : instaurer un droit à recourir à un aménagement du temps de travail à temps partiel de manière choisie et aménagée pour les personnes en fin de carrière.

Pour rester dans l’emploi, les seniors, notamment les cadres, sont prêts à faire plus de concessions sur leur temps de travail et leur rémunération. Le travail à temps partiel est plus répandu chez les seniors (22,9 % chez les 55-64 ans) que chez l’ensemble des actifs (18,7 %) et souvent de manière plus volontaire (63 %) que subie.

Si le code du travail prévoit déjà de nombreuses facilités d’accès au temps partiel, il est proposé d’expérimenter le déploiement pour les salariés de plus de 55 ans d’un droit à recourir à un aménagement du temps de travail à temps partiel, flexible et progressif, inspiré du temps partiel familial.

Cette nouvelle forme de temps partiel permettrait notamment de pouvoir effectuer des heures supplémentaires certaines semaines tout en ayant le statut de travailleur à temps partiel. La réduction de la durée du travail pourrait être contractualisée sur l’année ou sur une durée de trois années sans que cette réduction du temps de travail ne soit forcément organisée en périodes d’au moins une semaine comme c’est le cas pour le temps partiel familial.

Proposition : déplafonner le CPF pour les actifs de 50 ans et plus à hauteur d’un abondement effectué notamment par l’employeur.

Les seniors ont moins recours à la formation continue que les travailleurs plus jeunes. En effet, selon la Dares, en 2021, 50 % des salariés de plus de de 50 ans ont participé à une formation pour raisons professionnelles contre 62 % des moins de 50 ans. À titre de comparaison, en Suède ce sont plus de 60 % des 55 ans et plus qui ont suivi une formation continue en 2020. Il est proposé, particulièrement pour encourager les reconversions professionnelles dont le coût de formation peut être important, d’envisager un déplafonnement du CPF pour les 55 ans et plus.

Aujourd’hui, le CPF permet à son bénéficiaire de disposer chaque année de 500€ supplémentaires dans les droits à formation qu’il peut utiliser dans la limite d’un plafond de 5 000€ (800€ par an dans la limite de 8 000€ pour les actifs les moins qualifiés).

Ce déplafonnement pourrait être envisagé de deux façons :

  • Dans le premier cas, le déplafonnement serait ouvert à concurrence maximale du montant annuel d’acquisition de droits, soit 500€ (ou 800€ pour les moins qualifiés) et d’un abondement qui serait effectué par l’entreprise ou Pôle emploi afin de faire effet de levier. Ce déplafonnement pourrait être en partie financé par l’utilisation des avoirs sur CPF non utilisés par des salariés, constatés au moment de la liquidation de leurs droits à retraite, qui seraient collectés dans un fonds dédié. 
  • Une autre filière de déplafonnement pourrait être la possibilité de mobiliser ces financements spécifiques sur la base d’un projet avec un abondement significatif de l’entreprise. La démarche serait alors contractualisée.

Afin de garantir la soutenabilité financière des mécanismes, cette proposition doit s’accompagner d’un recentrage du CPF sur des formations qualifiantes, correspondant à un projet professionnel précis avec des débouchés professionnels clairement identifiés, comme nous l’avions proposé précédemment dans notre note Reconversion professionnelle : pour le meilleur et pour l'avenir.

Proposition : instaurer rapidement un index d’emploi des seniors sur le modèle de l’index égalité homme-femme.

L’instauration d’un index en matière d’égalité entre les femmes et les hommes au sein de l’entreprise a permis de réaliser des progrès certains. Il est donc proposé d’instaurer un index d’emploi des seniors, comme le préconisent l'association nationale des directeurs de ressources humaines (ANDRH) ou le rapport parlementaire des députés Didier Martin et Stéphane Viry. Si les problématiques de l’emploi des seniors et de l’égalité entre les hommes et les femmes ne sauraient être assimilables, la méthode de l’index, fondée sur un suivi d’indicateurs et sur des objectifs de progression, pourrait être transposée en prenant en compte les différences.

S’appliquant aux entreprises d’au moins 50 salariés et composé d’indicateurs établis au plan national après concertation, la mise en œuvre d’un index senior viserait à suivre l’évolution de l’emploi des seniors et à prendre en considération le degré d’arbitrage de l’entreprise dans ses recrutements. Cet index induirait pour l’entreprise la publication annuelle d’un score qui ferait l’objet d’une publicité. En fonction de son score, l’entreprise pourra ensuite être invitée à prendre des mesures de correction pour chacun des indicateurs où elle atteindra un résultat inférieur à la cible.

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