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Note
Février 2022

Droit du travail :
18 idées pour le
prochain quinquennat

Auteur
Franck Morel
Expert Associé - Travail et Dialogue Social

Expert reconnu du droit du travail depuis plus de vingt ans, Franck Morel est avocat associé chez Flichy Grangé Avocats.

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Le droit du travail est, par nature, en mouvement. En effet, les nombreux objectifs qui lui sont assignés - réguler la vie de l’entreprise, protéger les travailleurs, préserver la compétitivité des entreprises, etc. - supposent une évolution quasi-permanente de ce dernier.

Pour autant, ce champ du droit français est caractérisé par des injonctions paradoxales et parfois même contradictoires. D'une part on souligne un besoin de stabilité. De l'autre, on exige que le droit puisse  s’adapter pour permettre aux salariés et aux employeurs de bénéficier de protections renforcées et pouvoir répondre aux besoins d’un marché économique concurrentiel.

Toutefois, depuis une quarantaine d’années, l’évolution du droit du travail français est caractérisée par plusieurs tendances :

  • l’affirmation d’une place croissante de la négociation collective, particulièrement au sein des entreprises ;
  • le renforcement de la sécurisation des procédures dans le cadre des ruptures de relation de travail ;
  • la prise en compte des nouvelles formes d’activité et d’emploi, afin de mieux s’adapter à un marché du travail en perpétuelle mutation.

Si certaines évolutions, notamment en matière de formation professionnelle ou de règles applicables en matière de médecine du travail, ont parfois pu donner le sentiment d’une trop grande abondance législative, il faudrait remonter très longtemps en arrière pour trouver une année, comme celle de 2021, où la France n’a connu aucune évolution des règles applicables en matière de relation de travail et d’emploi.

Cette note à vocation à contribuer au mouvement de longue haleine de création d’un droit du travail qui protège mieux, organise mieux et soit plus souple et plus sûr. Franck Morel y formule 18 propositions qui s’inscrivent dans la continuité des propositions imaginées en 2016, avec Bertrand Martinot, dans l’ouvrage Un autre droit du travail est possible.

Trois grands axes sont envisagés pour faire évoluer le droit du travail et permettre à l’économie française de faire face aux défis de demain. Premièrement, il s’agit de faciliter le dialogue entre entreprises et salariés quant à la durée du travail. Ensuite, il est nécessaire de permettre aux salariés de prendre part à la gestion et à l’administration de leurs entreprises. Enfin, au vu des récentes évolutions, il relève de l'intérêt de tous de mieux prendre en compte les nouvelles formes de travail.

En matière de rupture du contrat de travail

1
Réduire le délai de recours contre les licenciements
Détails

Tout d’abord le délai individuel de recours contre le licenciement a été abaissé par l’ordonnance du 22 septembre 2017 à un an au lieu de deux ans auparavant. Cette durée demeure beaucoup plus élevée que celle applicable chez nos voisins européens (le délai est de 3 semaines en Allemagne ou de 20 jours en Espagne) et pourrait encore être abaissée à quelques mois. Songeons que pour former un recours contre un décret, on ne dispose que de deux mois.

2
Ouvrir aux accords d’entreprise la possibilité de mise en place de CDI de chantier
Détails

Ensuite, l’ordonnance du 22 septembre 2017 a permis à des accords collectifs de branche d’ouvrir la possibilité de recourir au contrat de chantier, ou contrat de projet, CDI pouvant être rompu pour le motif de survenance de la fin du chantier. Une quinzaine d’accords de branche couvrant 3 millions de salariés a été conclue en ce sens. Il est donc aujourd’hui envisageable d’élargir cette possibilité, sous le contrôle éventuel des accords de branche, aux accords d’entreprise.

3
Améliorer les règles fiscales et sociales relatives à la conciliation pour la rendre plus attractive encore
Détails

Enfin, si le barème de conciliation avec son régime fiscal spécifique incite à régler de manière amiable des conflits individuels du travail, l’écart avec le coût d’un procès devrait pouvoir encore être accru pour favoriser une telle conciliation. Cela suppose d’accentuer de manière forte, notamment à tous les niveaux d’ancienneté en jouant sur le barème en tant que tel et sur les plafonds, l’écart entre le traitement social et fiscal d’une indemnité versée en bureau de conciliation et des sommes versées dans le cadre d’une éventuelle condamnation.

Sur les formes d’emploi

4
Faciliter le prêt de main d’œuvre et le CDI intérimaire
Détails

Le recours au prêt de main d’œuvre a été assoupli pendant la crise sanitaire avec des dispositions permettant de mieux sécuriser celui-ci dans un contexte de préservation de l’emploi des salariés concernés. Le cadre du prêt de main d’œuvre s’est construit progressivement et les possibilités ont été élargies dans l’ordonnance du 22 septembre 2017 via la possibilité donnée aux entreprises ou aux groupes d’au moins 5 000 salariés de mettre à disposition, pour une durée maximale de 2 ans, leurs salariés auprès d’une jeune entreprise ou d’une PME en le sous facturant, sous forme de "mécénat". Élargie à certains secteurs de manière temporaire pendant la crise, cette possibilité doit être assouplie et largement ouverte à la négociation collective, sans seuil. Il est également nécessaire de faciliter le recours au CDI intérimaire en supprimant l’exigence de motif pour les missions effectuées dans ce cadre comme cela avait déjà été proposé.

5
Clarifier et actualiser les délits de prêt de main d’œuvre illégaux
Détails

Par la même occasion les délits de prêt illicite de main d’œuvre à but lucratif et de marchandage, mal définis et en partie redondants, doivent être réécrits pour sanctionner véritablement les opérations qui s’affranchissent des garanties légales. Leur champ très large aboutit aujourd’hui à freiner le prêt de main d’œuvre sans véritablement protéger les actifs concernés

6
Poursuivre et élargir la régulation sociale et la sécurisation de certaines formes de travail indépendant
Détails

La régulation des plateformes de travailleurs indépendants est en cours depuis les rapports Frouin et la mission Mettling et les dispositions adoptées en application de la loi d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019. Elle va aboutir à l’élection de représentants des travailleurs concernés et permettra ensuite aux acteurs eux-mêmes de négocier et trouver l’équilibre optimal entre garanties et compétitivité permettant de sécuriser cette forme d’activité au bénéfice de tous. Le cadre juridique est en cours de construction. Dans le même temps, un projet de directive européenne pose une présomption très large de salariat pour ces travailleurs, ce qui aboutirait à mettre à bas cette évolution positive et à terme, sous couvert de protection, à "tuer" en réalité cette forme d’activité, la précarité se reportant vers d’autres types de situation. Il est nécessaire d’élargir à de larges pans des travailleurs indépendants, notamment les sous-traitants ou ceux qui sont intermédiés par un tiers, cette démarche de régulation par le dialogue social, doublée d’une sécurisation des relations. Par ailleurs, il est indispensable d’amender très sérieusement le projet de directive européenne pour qu’il soit porteur de garanties réelles et non d’une approche bureaucratique rigide.

Sur les relations collectives de travail et le dialogue social

7
Organiser de manière expérimentale l’ouverture aux signataires d’accords collectifs à la possibilité de réserver le bénéfice des avantages créés par l’accord aux membres des organisations signataires
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Cette proposition est une incitation à s’engager, à signer mais aussi à participer au dialogue social en adhérant aux organisations qui le font vivre. Elle mérite d’être tentée et évaluée dans un cadre expérimental, avec toutes les garanties voulues.

8
Ajouter un seuil minimal de participation électorale pour fonder la représentativité syndicale dans l’entreprise
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Renforcer l’exigence de légitimité électorale pour fonder la représentativité d’une organisation syndicale issue de la réforme de 2008 doit permettre de poursuivre le mouvement vers plus de négociation et de dialogue social. Le seuil de représentativité des 10 % des suffrages exprimés au premier tour des élections professionnelles permet dans les faits à des acteurs ayant reçu un nombre de suffrages très faible de négocier au nom de tous les salariés. Il est donc indispensable que ce seuil de 10 % soit aussi mesuré en pourcentage des inscrits, au moins pour que les résultats globaux puissent permettre de déterminer la représentativité des syndicats dans l’entreprise. Si aucune organisation syndicale n’est représentative dans l’entreprise, il existe des modalités alternatives de négociation organisées par le droit du travail qui seraient utilisables.

9
Viser une représentation élue des salariés aux conseils d’administration des entreprises de plus de 50 salariés
Détails

La représentation des salariés dans les conseils d’administration des entreprises constitue l’un des moyens d’organiser concrètement leur participation à la gestion de celle-ci et d’organiser la convergence des intérêts de tous au bénéfice de tous, de favoriser une meilleure connaissance mutuelle des enjeux et préoccupations de chacun. Complémentaire de l’action des institutions représentatives du personnel, comité social et économique et délégué syndical, le seuil de cette représentation a été abaissé au fil des années et en dernier lieu aux entreprises employant plus de 1 000 salariés. Il faut viser progressivement l’élection de représentants des salariés aux conseils d’administration de toutes les entreprises de plus de 50 salariés. C’est un facteur d’accroissement majeur de la productivité et de l’innovation. Ce choc de participation, couplé avec les autres mesures dont il ne peut être déconnecté, va dans le sens d’une entreprise plus agile et plus responsable.

10
Poursuivre l’élargissement du champ de la négociation collective
Détails

Aujourd’hui, de larges parties du code du travail sont organisées en distinguant en premier lieu le champ de la négociation collective, qui fixe par principe les règles applicables, en deuxième lieu les règles d’ordre public, auxquelles il ne peut être dérogé et, en dernier lieu, les règles supplétives, applicables à défaut d’accord. Il est possible d’élargir encore ce mode d’organisation et donc le champ de la négociation collective. En particulier en matière de prévention des risques professionnels, thème ou les prescriptions techniques détaillées sont nombreuses, de conclusion du contrat de travail et de rupture de celui-ci, de larges possibilités peuvent encore être ouvertes.

Sur le temps de travail

11
Permettre de rehausser par accord collectif le seuil de calcul des heures supplémentaires, sans perte des avantages fiscaux et sociaux liés aux heures supplémentaires effectuées au-delà de 35h
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Il est possible de négocier un nombre important de mesures en matière de temps de travail mais il n’est pas possible de modifier par la négociation le seuil au-delà duquel les heures supplémentaires sont calculées. Ce seuil est fixé par la loi à 35 heures sur une semaine ou à son équivalent sur une période plus longue et notamment à 1 607 heures sur l’année. Les avantages en matière de déduction de cotisations salariales et d’exonération d’impôt sur le revenu sont calculés sur les heures supplémentaires donc au-delà de ce seuil. Il serait pertinent d’ouvrir la possibilité à un accord collectif de déplacer ce seuil à la hausse en préservant les avantages

12
Permettre le rachat de 10 jours non travaillés dont une semaine de congés payés et des jours fériés chômés avec les avantages sociaux et fiscaux liés aux heures supplémentaires
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Si le rachat des jours de repos des salariés employés dans le cadre d’une convention de forfait en jours est possible et bénéficie des avantages applicables aux heures supplémentaires en matière de régime social et fiscal, cela ne peut concerner que la proportion minoritaire de salariés employés dans ce cadre et bénéficiant de tels jours (notamment un cadre sur deux). Il est aujourd’hui impossible de racheter une semaine de congés payés, sauf à transformer en rémunération les congés placés sur le compte épargne-temps, ce qui n’est autorisé que pour les jours de congés accordés au-delà des congés légaux ou en cas de fin des relations de travail. Permettre de rehausser rapidement le temps de travail annuel comme cela avait pu être le cas pour la réduction du temps de travail passe par une possibilité simple et attractive de racheter des jours de repos. Pour concerner la totalité des salariés, cette possibilité doit englober une semaine de congés payés et le cas échéant quelques jours fériés chômés. Permettre de racheter 10 jours de repos ou de congés englobant jusqu’à une semaine de congés payés, de jours de repos ou fériés chômés avec les avantages sociaux et fiscaux liés aux heures supplémentaires irait dans ce sens.

13
Simplifier les règles relatives aux congés payés
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D’une manière générale, le cadre normatif relatif aux congés payés demeure complexe et l’évolution de la jurisprudence de la cour de justice de l’Union européenne implique sa mise à jour. Une proposition de loi avait déjà été déposée afin de simplifier ces règles dès 2015, mais sans succès. Simplifier largement est possible et souhaitable. Caler la période de référence sur l’année, simplifier les règles de report avec un plafond, simplifier les règles de prise en supprimant le fractionnement, permettre d’avoir une seule méthode de paiement de l’indemnité pour toute l’entreprise constituent des mesures simples qui pourraient fonder cette remise à plat

14
Rétablir le contrat de travail à temps partiel annualisé
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Depuis de nombreuses années, les règles relatives au travail à temps partiel se sont multipliées avec diverses garanties destinées à réduire le travail à temps partiel contraint, sans que la proportion des travailleurs désireux de travailler plus ne diminue notablement puisqu’elle concerne toujours environ 4 salariés à temps partiel sur 10. Il a été possible pendant quatre ans de conclure des contrats de travail à temps partiel annualisés, avant que le contrat de travail intermittent, dans des conditions plus strictes ne remplace ce contrat. Rétablir ce type de contrat offrirait plus de possibilités notamment pour les travailleurs qui cumulent plusieurs emplois.

15
Permettre le décompte en jours du temps télétravaillé et autoriser le fractionnement du repos quotidien des télétravailleurs qui le souhaitent
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Le développement du télétravail durant la crise sanitaire et ceci dans un cadre issu des ordonnances du 22 septembre 2017 et de la négociation collective qui en a facilité l’usage, va aboutir à un changement inéluctable de la place de cette forme de travail dans le marché du travail. Pour autant, ce développement met en lumière le décalage entre les exigences applicables en matière de contrôle du temps de travail sur l’horaire collectif et leur application dans un contexte de travail à distance géré par le salarié lui-même. Accompagner une place pérenne du télétravail passe donc par une adaptation du cadre normatif en préservant les acquis rappelés. Ainsi aller dans ce sens pourrait passer par le fait de permettre un décompte du temps de travail des salariés en télétravail en jours pour les périodes télétravaillées, avec toutes les garanties applicables en matière de convention de forfait en jours relatives au suivi de la charge de travail. Autoriser le fractionnement du repos quotidien des télétravailleurs lorsque le travail est organisé par l’intéressé à différentes périodes de la journée comme le proposait déjà voici quelques années un rapport à la ministre du travail irait également dans ce sens.

Sur la participation aux résultats de l’entreprise

16
Instaurer une nouvelle participation fondée sur l’élargissement du champ et du montant de la participation et subordonner le versement de dividendes aux actionnaires au versement d’une prime de participation ou d’intéressement
Détails

La formule de calcul de la participation date de 1967 et n’a jamais été modifiée alors même qu’elle concerne aujourd’hui toutes les entreprises de plus de 50 salariés. Moderniser cette formule en supprimant par exemple le coefficient diviseur de moitié du bénéfice net comme le propose Thibault Lanxade, élargir le champ de la participation en la rendant applicable dans toutes les entreprises de plus de 11 salariés et subordonner le versement de dividendes aux actionnaires au versement effectif d’une prime de participation ou d’une autre forme de reconnaissance irait dans le sens d’une nouvelle participation, réaffirmant un partage de la valeur ambitieux dans les entreprises. Une telle évolution serait intégrée dans la politique salariale de l’entreprise et pourrait être applicable progressivement.

Sur la sécurisation des relations de travail

17
Publier une étude d’impact avec les décisions de justice de dernier ressort en matière sociale marquant un revirement de jurisprudence ou traitant un point de droit nouveau et important
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Depuis septembre 2009, en application d’une loi organique issue de la révision constitutionnelle de 2008, le dépôt de tout projet de loi au Parlement doit être assorti d’une étude d’impact procédant notamment à l’évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales, ainsi que des coûts et bénéfices financiers attendus des dispositions envisagées pour les administrations publiques et les personnes physiques et morales intéressées, en indiquant la méthode de calcul retenue. Ces documents accessibles sur les sites des assemblées sont souvent très riches d’informations et démontrent que les pouvoirs publics se sont interrogés dans le cadre de la conception de la réforme sur les différentes conséquences de celle-ci. Rien de tel n’est prévu en matière de décisions de justice de dernier ressort. Si la pratique s’est développée de la part du juge de cassation de consulter des parties prenantes, comme par exemple les partenaires sociaux, avant l’intervention d’arrêts soulevant des questions de droit importantes comme cela avait pu être le cas en matière d’égalité de traitement, rien de spécifique n’est prévu par le droit. Il pourrait donc être prévu qu’en cas de revirement de jurisprudence ou de question de droit nouvelle présentant une difficulté sérieuse, reprenant ainsi une partie des critères permettant de solliciter l’avis du juge de cassation, le juge de cassation publie une étude d’impact. Il pourrait disposer pour l’écriture de celle-ci des services de diverses administrations et pourrait procéder à des auditions.

18
Poser le principe en matière sociale d’une modulation dans le temps des décisions de justice de cassation sauf exception motivée
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Est explicitement mentionnée dans le code du travail depuis les ordonnances du 22 septembre 2017, la possibilité qu’a le juge de cassation de moduler ses décisions dans le temps, c’est-à-dire par exemple de retarder la prise d’effet de sa décision en cas d’annulation d’une clause conventionnelle. C’est une possibilité que le juge judiciaire a d’ailleurs commencé à utiliser en matière sociale après l’avoir affirmé dans d’autres domaines. Le Conseil d’État et le juge de l’Union européenne utilisent aussi cette faculté qui est aussi ouverte au conseil constitutionnel. Pour aller plus loin, il pourrait être envisagé d’inverser le principe actuel qui est l’absence de modulation des effets des décisions de justice dans le temps pour les décisions de justice rendues en cassation, proposition ancienne mais toujours d’actualité.

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