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Note
Juillet 2022

Défense française :
ajuster nos efforts

Auteurs
Nicolas Baverez
Expert Associé - Défense

Nicolas Baverez est avocat à la Cour d’appel de Paris. Il a notamment présidé le groupe de travail Refonder la sécurité nationale. Il est également l'auteur de la note Sécurité nationale : quels moyens pour quelles priorités ?.

Il est éditorialiste au Figaro, au Point et est l’auteur de plusieurs livres. Il est également membre du Comité de direction de la revue Commentaire.

Nicolas Baverez est diplômé de Sciences Po, titulaire d'un doctorat en Histoire et ancien élève de l'Ecole Nationale d'Administration (ENA).
 

Mahaut de Fougières
Responsable du programme Politique internationale

Mahaut de Fougières était responsable du programme Politique internationale jusqu'à Février 2023. Dans ce cadre, elle pilote les travaux de l'Institut Montaigne sur la défense, la politique étrangère, l'Afrique et le Moyen-Orient, et mène des projets transversaux au sein du pôle international. Auparavant, elle était chargée d'études sur les questions internationales, depuis 2018.

Diplômée de King's College London et de University College London (UCL) en relations internationales, elle a également étudié à l'université américaine de Beyrouth (AUB).

Groupe de travail

Membres du groupe de travail :

  • Nicolas Baverez, avocat, Gibson, Dunn & Crutcher (président)
  • Bernard Cazeneuve, ancien premier ministre, Avocat associé, August Debouzy (président)
  • Julie Burguburu, secrétaire générale, Eutelsat
  • Mathieu Duchâtel, directeur du programme Asie, Institut Montaigne
  • Michel Duclos, conseiller spécial - Géopolitique, Institut Montaigne
  • Général Christophe Gomart, Group Director of Security & Crisis Management, Unibail-Rodamco-Westfield
  • Amiral Édouard Guillaud, ancien chef d’État-major des Armées
  • Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, directeur, IRSEM
  • Pierre Jeannin, directeur de participations adjoint - Industrie, Agence des Participations de l’État
  • Bernard de Montferrand, ancien ambassadeur, Senior Advisor, Roland Berger
  • Alain Quinet, professeur associé, Écoles de Saint-Cyr Coëtquidan 
  • Bruno Tertrais, directeur adjoint, Fondation pour la recherche stratégique, conseiller géopolitique, Institut Montaigne
  • Stéphane Volant, président, Smovengo

Rapporteurs :

  • Mahaut de Fougières, responsable du programme Politique internationale, Institut Montaigne
  • François Klamm, haut fonctionnaire
  • Édouard Michon, Senior Strategist, Group Strategy, Allianz

Ainsi que Anissa Nabi, assistante chargée d’études, Institut Montaigne

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En février 2021, l’Institut Montaigne publiait un rapport intitulé Repenser la défense face aux crises du 21e siècle. Fruit des réflexions d’un groupe de travail présidé par Nicolas Baverez, essayiste, et Bernard Cazeneuve, ancien Premier ministre, il formulait 12 recommandations pour la politique de défense française. Un an et demi plus tard, l’évolution du contexte stratégique, marqué en particulier par l’invasion russe de l’Ukraine, nous encourage à revoir nos ambitions et à ajuster nos efforts. Alors que nous jugions en 2021 la Loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 adaptée aux enjeux auxquels la France était confrontée, une réflexion stratégique d'ampleur s’impose désormais, pour aboutir à la poursuite de l'augmentation de l'effort de défense. Dans le contexte politique qui est le nôtre, cet exercice doit être réalisé en lien étroit avec les différents groupes politiques et doit s’accompagner d’un travail de transparence et de pédagogie sur la situation géostratégique de la France.

Une nouvelle ère stratégique

Chute de Kaboul, retrait du Mali, partenariat Aukus : l’année 2021 a été marquée par plusieurs événements de nature à faire évoluer le contexte stratégique auquel la France est confrontée. En se retirant d’Afghanistan, Washington confirme son pivot asiatique, en étroite collaboration avec ses partenaires anglophones, notamment britannique et australien rassemblés au sein du partenariat Aukus. Si le contre-terrorisme demeure une préoccupation importante, le retrait contraint des forces françaises et européennes du Mali révèle l’ampleur des difficultés à mener des opérations militaires extérieures anti-terroristes. 

C’est néanmoins le retour de la guerre de haute intensité sur le sol européen, provoqué par l’invasion russe de l’Ukraine lancée le 24 février 2022, qui constitue le tournant géostratégique le plus important et fait entrer l’Europe et le monde dans une nouvelle ère. Conflit local, il revêt des conséquences mondiales : défini par la diplomatie russe comme un coup de boutoir à "l’ordre mondial dominé par les Occidentaux" ; appréhendé par les États-Unis comme une manière d’adresser un message à la Chine sur le coût militaire, économique et diplomatique qu’aurait une invasion militaire de Taïwan ; source de dissensions entre l’Occident et une partie du Sud global, qui ne soutient pas la stratégie d’isolement politique et économique de Moscou. Plus localement, la guerre a entraîné un électrochoc en Europe, et en particulier en Allemagne, qui a opéré un changement radical de doctrine en décidant de se réarmer et de livrer des armes à l’Ukraine. 

Ce contexte rend inéluctable le repositionnement stratégique de la France. La priorité réside désormais en Europe et à ses frontières. En premier lieu à l’Est, où la Russie constitue aujourd’hui une menace directe, sur les plans militaire, économique (énergie, alimentation), cyber et politique (désinformation). Mais également au Sud, alors que la France conserve des intérêts importants avec l’Afrique et le Moyen-Orient qui connaissent régulièrement des situations de crise, et que le risque terroriste demeure la préoccupation quotidienne des services de sécurité. Sans oublier l'intérêt français lié à ses territoires d’Outre-mer (Nouvelle-Calédonie, Polynésie) pour la zone Indopacifique, marquée par la rivalité croissante entre la Chine et les États-Unis. Sur tous ces théâtres, la France se veut une puissance d’équilibre à vocation universelle.

Redéfinir le cadre de sécurité de la France

L’invasion russe de l’Ukraine nous confronte à un constat sans appel : la France doit se préparer à affronter le risque de guerre de haute intensité. Comme on l’observe en Ukraine, celle-ci porte désormais sur plusieurs milieux (terre, mer, air, espace) et plusieurs champs (perceptions, cyber, électro-magnétique). Pour faire face, la France doit initier une remontée en puissance de ses capacités militaires, notamment pour combler certaines lacunes, ainsi qu’une révision de ses scénarios d’emploi et de son modèle d’armée. Il convient par ailleurs de préparer la population et les institutions à une telle éventualité, en renforçant le lien armée-nation, d’une part, et la coordination interministérielle, d’autre part. 

L’emploi des forces conventionnelles russes en Ukraine sous le parapluie nucléaire a contribué à porter dans le débat la question de la dissuasion et de son rôle. La doctrine d’emploi nucléaire française telle qu’elle avait été énoncée par le président de la République lors de son discours à l’École de guerre du 7 février 2020 s’en trouve renforcée. Elle repose sur un continuum entre les forces conventionnelles et nucléaires : les premières permettent d’empêcher la création rapide d’un fait accompli tandis que l’arme nucléaire demeure la clé de voûte de notre sécurité et la garantie de nos intérêts vitaux. 

Sur le plan nucléaire mais surtout conventionnel, la guerre en Ukraine pourrait contribuer à relancer l’idée d’autonomie stratégique européenne, alors que l’Union européenne a accumulé un retard important en matière de défense ces vingt dernières années et demeure très dépendante des États-Unis. Si l’OTAN semble "ressuscitée" par la guerre en Ukraine et constitue pour beaucoup d’Européens le fondement de leur sécurité, cela ne doit pas les empêcher d’envisager à plus long terme une approche plus autonome, dans un contexte d’évolution des priorités stratégiques américaines. À cet égard, l’adoption en mars 2022 de la Boussole stratégique, qui détaille la vision commune des États-membres sur les orientations stratégiques de leur politique de sécurité et de défense, est un pas en avant. Au niveau industriel, les grands projets européens peinent à se concrétiser. Seule une impulsion politique forte permettra d’avancer vers la construction d’une industrie européenne de défense autonome.

Réévaluer les moyens consacrés à la défense

Ce changement d’ère stratégique impose une réévaluation des moyens consacrés à notre défense. Si la LPM 2019-2025 se distingue par son ambition et son exécution jusqu’ici conforme aux engagements, l’essentiel de la hausse budgétaire n’est prévu qu’à partir de 2023, avec des marches à 3 milliards d’euros supplémentaires par an (contre 1,7 entre 2019 et 2022). Au-delà, il convient de s’interroger sur la pertinence de cette trajectoire, dont l’objectif affiché de "régénérer" nos armées n’est plus suffisant dans le contexte actuel. Lors de son discours du 13 juin au salon Eurosatory, le président de la République a annoncé vouloir dégager des capacités budgétaires supplémentaires pour les armées. Cela implique une réflexion et des choix importants sur le modèle d’armée à horizon 2030, d’éventuels renoncements capacitaires et les scénarios d’emploi des forces. Cette réflexion, qui pourra prendre la forme d’une revue intégrée sur le modèle britannique ou d’un livre blanc, ne peut pas omettre l’outil diplomatique, complémentaire à l’outil militaire, au service de la puissance et du rayonnement de la France. 

Elle doit également associer les forces politiques et mobiliser la nation toute entière. La guerre en Ukraine le montre : la sécurité est l’affaire de tous.

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