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Note
Janvier 2021

Compétitivité de
la vallée de la Seine :
comment redresser la barre ?

Auteur
Pierre Sallenave
Consultant en stratégie et développement territorial

Pierre Sallenave est consultant en stratégie et développement territorial et auteur de cette note pour l’Institut Montaigne. Il est expert des sujets de financement maritime, d’infrastructures et d’urbanisme. Directeur général de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) jusqu’en 2014, il a également de nombreuses années d’expérience dans le secteur public, en tant que conseiller technique au Ministère de l’Écologie et du Développement durable, directeur départemental de l’Équipement de la Manche et conseiller pour le développement durable à Matignon, où il a été fortement impliqué dans la réforme de la manutention portuaire.

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L’auteur et coordinateur de cette note souhaite particulièrement remercier les personnes suivantes pour leur contribution à ce travail :

Rédacteurs :

  • Charles Barrère, haut fonctionnaire
  • Nicolas Blondeau, directeur Entreprises et innovation, Conseil Régional des Pays de la Loire
  • Léonor Herbin, haut fonctionnaire

Ainsi que :

  • Sophie Conrad, responsable du pôle politiques publiques, Institut Montaigne
  • Camille Ha-thuc, assistante chargée d’études, Institut Montaigne
  • Marin Gillot, assistant chargé d’études, Institut Montaigne
  • Baptiste Larseneur, chargé d’études, Institut Montaigne

Les personnes auditionnées ou rencontrées dans l’élaboration de ce travail :

  • Yann Bouchery, professeur Associé en Gestion des Opérations et Logistique, Kedge Business School
  • Denis Choumert, président, AUTF
  • Olivier Ferrand, directeur de la stratégie et du développement, Haropa
  • Jean-Baptiste Gastinne, premier adjoint au Maire du Havre, premier vice-président Le Havre Seine Métropole, vice-président de la Région Normandie
  • Jacques Gérault, conseiller institutionnel, CMA CGM
  • Florence Gomez, inspectrice des finances, rapporteur du travail de l’Inspection générale des Finances et du Conseil général de l'Environnement et du Développement durable : La transformation du modèle économique des grands ports maritimes (novembre 2018)
  • John Houldsworth, inspecteur des finances
  • Alexandre Lavissière, professor in Maritime Logistics, Kedge Business School
  • Hervé Nadal, président, Mensia Conseil
  • François Philizot, délégué interministériel au développement de la vallée de la Seine
  • Franck Rose, directeur d’agence, Agence Maritime de Seine
  • Raymond Vidil, président de la compagnie maritime Marfret

2020 est une année marquée par une conjonction de crises pour les ports du Havre et de la vallée de la Seine. Le trafic maritime a fortement diminué, en raison des mouvements sociaux de décembre 2019 et janvier 2020, puis de la crise sanitaire qui a conduit à la fermeture temporaire de plusieurs sites industriels sur la vallée de la Seine. Le trafic conteneur, baromètre de l’économie portuaire, a ainsi déjà connu une baisse de 30 % depuis le début de l’année pour le port du Havre. Le risque pour les prochaines années est que ce dernier décroche définitivement par rapport aux ports du nord de l’Europe, Anvers et Rotterdam en premier lieu, et qu’il soit relégué à un rôle secondaire à l’échelle européenne. La possibilité que les armateurs suppriment en partie Le Havre de leurs rotations n’est ainsi pas à exclure, alors même qu’il est géographiquement le premier port d’escale de la façade maritime de l’Europe du nord.

Les faiblesses du grand port maritime du Havre sont pourtant bien identifiées : un déficit de fiabilité - en raison d’un climat social pour le moins instable - et un hinterland relativement mal relié, malgré l’immédiate proximité de l’Île-de-France, une des zones les plus dynamiques du continent. Les divers rapports et études consacrés au sujet, abondants depuis une trentaine d’années, aboutissent au même constat, ainsi qu’à des propositions récurrentes, sans permettre d’endiguer véritablement l’érosion des parts de marché du premier port à conteneurs français.

C’est face à ce constat que l’Institut Montaigne a souhaité identifier quelques actions ciblées permettant de donner une forte accélération au développement économique des ports du Havre et de la vallée de la Seine. Ces solutions, concrètes et chiffrées, devront sortir de la seule incantation pour aboutir à des résultats visibles à court et moyen termes. Leur réalisation reposera bien entendu sur un fort volontarisme politique, éminemment nécessaire au regard des enjeux, et seul susceptible de rappeler que le recul du port du Havre dans la compétition européenne et mondiale n’est pas une fatalité.

Des opportunités à saisir dans les prochaines années

Malgré les difficultés actuelles, le contexte économique et institutionnel reste en effet porteur pour le développement du port du Havre et de la vallée de la Seine. Les prochains mois constitueront donc une fenêtre d’opportunités unique à saisir pour les acteurs publics et privés.

D’une part, un axe Seine unique émergera en 2021 avec la fusion de ports complémentaires qui permettra de renforcer leur compétitivité, HAROPA devenant ainsi le premier port de commerce de France, avec près de 120 millions de tonnes de trafics maritimes et fluviaux par an et plus de 130 000 emplois directs et indirects. D’autre part, des investissements massifs ont été réalisés ou votés ces dernières années (accès fluvial direct à Port 2000 au Havre, rénovation des écluses, usine éolienne…) et devraient porter leurs fruits à court et moyen termes. Enfin, les ports font partie intégrante de la stratégie de réindustrialisation nationale, le gouvernement octroyant aux activités industrialo-portuaires une enveloppe de 200M€ dans le cadre du plan de relance, à destination principalement des projets de croissance verte.

Placer la transition écologique et les innovations logistiques au cœur du développement

Les solutions proposées dans ce rapport seront donc complémentaires des grands projets d’investissement présents ou à venir, afin de maximiser le potentiel des infrastructures qui seront créées ou rénovées dans les prochaines années.

Elles donnent également une part prépondérante aux objectifs de transition écologique, alors que les ports ont un rôle éminent à jouer dans ce domaine et que l’augmentation du trafic conteneurs ne pourra pas se traduire indéfiniment par une augmentation du trafic routier. Il s’agit non seulement d’un impératif au regard des objectifs de réduction des émissions de CO2 fixés par l’État, mais également d’une condition d’acceptabilité des populations des agglomérations havraise, rouennaise et parisienne.

Enfin, conscient que les infrastructures portuaires peuvent être le fer de lance des stratégies de relocalisation des activités industrielles, ce rapport souhaite identifier les leviers de croissance existants dans ce domaine, et en premier lieu au sein de la filière logistique. L’exemple des ports du Benelux et d’Allemagne, dont la compétitivité repose sur une automatisation poussée, une rotation rapide des stocks et plus largement le souci constant des différents acteurs de gagner du temps, à la faveur notamment d’entrepôts nombreux et flexibles, doit permettre de mettre en lumière le retard pris par la France dans ce domaine. Cela doit conduire, à l’échelle de la vallée de la Seine, à mettre en place des solutions de transport massifié et une organisation logistique plus optimale.

Fort de ces constats, le rapport s’articule autour de deux axes :

  • La première série de propositions doit conduire à une augmentation sensible de la part du fleuve dans la desserte des ports du Havre et de la vallée de la Seine, leur permettant de combler leur retard en la matière sur les ports de Rotterdam et Anvers. Ces actions devront permettre de réduire le surcoût structurel de la desserte fluviale par rapport au transport routier, et d’accroître leur visibilité auprès de l’ensemble des acteurs du transport maritime, tout en garantissant un fort impact en matière de réduction des émissions de CO2  et de décongestion routière.
  • Le deuxième ensemble de propositions aura pour objectif de développer un ensemble de zones de compétitivité logistique sur l’axe Paris-Le Havre. Ces zones devront garantir une facilité d’implantation, notamment via le levier fiscal, être rapidement accessibles, tout en offrant des solutions de report modal, et permettre ainsi aux industriels de développer des projets à haute valeur ajoutée qui bénéficieront de la proximité des infrastructures portuaires.

Axe 1 : Favoriser le report modal vers le fleuve

Alors qu’Anvers ou Rotterdam assurent plus de 50 % de leurs pré et post acheminements par voies fluviale et ferroviaire et que la loi de 2008 sur la réforme portuaire impose un objectif de 20 % de trafics réalisés par le fleuve et le ferroviaire dans les Grand ports maritimes, on estime que ces deux modes n’assurent qu’environ 10 % de ces flux en France. Au sein de HAROPA, premier port français de conteneurs, la part du transport fluvial n'est que de 8,3 %, moins qu'en 2011 (11 %), alors que la part du transport ferroviaire est estimée à 5 %.

Les entretiens menés auprès des acteurs du transport maritime permettent d’identifier une absence de culture tendant à l’utilisation des solutions de report modal, en raison de la fiabilité, de la rapidité et de la régularité du transport routier qui n’invitent pas à s’interroger sur les bénéfices du fluvial et du ferroviaire. Les surcoûts structurels de l’utilisation du ferroviaire et du fluvial, en raison de la rupture de charge qu’elle implique, sont également bien identifiés.

Le développement du transport combiné, qui vise à utiliser le fer ou la voie d’eau pour transporter des marchandises en conteneur, acheminé ensuite par camions pour les derniers kilomètres, apparaît toutefois comme une opportunité à saisir, pour capter de nouveaux trafics. Cela suppose une extension des volumes de transport, à même de réduire les coûts et de rendre le transport fluvial et ferroviaire compétitif, mais également une meilleure information à destination des acteurs du secteur afin qu’ils puissent s’emparer de ce levier. Cela doit permettre à terme de réduire considérablement l’empreinte des transports sur l’environnement ainsi que sur la congestion des axes routiers.

Le fret ferroviaire n’est, pour autant, pas développé : si le ferroviaire est une nécessité absolue pour massifier les trafics, le fret de marchandises bute aujourd’hui sur une saturation du réseau qu’il paraît difficile de dépasser à moyen terme. En effet, la saturation du fret ferroviaire est la conséquence principale de la priorité donnée par la SNCF (et les autorités organisatrices) au trafic passager sur le trafic de marchandises. Alors que cette priorité ne semble pas devoir être remise en cause dans les prochaines années, seuls des investissements capacitaires dans le réseau stratégique de fret ferroviaire (lignes et terminaux) seraient susceptibles de créer un effet de rupture. Le plan de relance pourrait offrir des leviers en ce sens, qui restent aujourd’hui à préciser. L’autre solution pourrait consister à suivre l’exemple suisse, où la loi sur le transport de marchandises (entrée en vigueur en 2016) offre davantage de sécurité de planification au fret ferroviaire en lui réservant des capacités de sillons à long terme et en répartissant plus objectivement les capacités du réseau ferroviaire entre les trafics voyageurs et marchandises. Ces deux solutions, qui impliquent des engagements de long terme, n’entrent pas dans l’échelle temporelle de ce rapport qui se focalise sur des recommandations opérationnelles et rapides à mettre en œuvre. Il n’en reste pas moins que les efforts consentis pour le fret ferroviaire doivent impérativement se maintenir et qu’une attention accrue des pouvoirs publics sur cette question est impérative. Le ferroviaire est essentiel pour innerver efficacement l’hinterland entre les aires fluviales et surtout pour desservir des bassins de consommation plus éloignés, au-delà de l’aire fluvio-maritime. La performance de la desserte portuaire se traduit par des écarts importants : 80 % des volumes traités par HAROPA sont liés à un hinterland de moins de 160 km contre 250 km pour les autres ports du Range nord.

1
Conclure un pacte entre les autorités portuaires et les opérateurs privés fixant des objectifs pour le fret fluvial à horizon 2023
Détails

La progression du fret fluvial ne peut reposer que sur une coordination efficace des acteurs publics et privés de l’axe Seine. Dans un premier temps, le recours à des mesures contraignantes (dispositions législatives, requalification des contrats) vis-à-vis du secteur privé paraît ainsi inadapté et deviendrait sans aucun doute un facteur de blocages, qui repousserait encore de plusieurs années la réalisation des objectifs de report modal.

Une méthode alternative, à privilégier, consiste à rassembler les autorités portuaires et les opérateurs privés, sous l’égide du délégué interministériel au développement de la Vallée de la Seine, afin de fixer des objectifs chiffrés de report vers le fret fluvial à horizon 2023, avec des objectifs intermédiaires dès 2021 et 2022. Cet horizon de court terme relatif doit traduire le volontarisme des acteurs publics et privés, et permettre d’identifier, dès les premiers mois, les résultats d’une dynamique vertueuse.

En contrepartie de la réalisation de ces objectifs, les opérateurs privés bénéficieront de diverses mesures incitatives qui devront permettre de compenser en partie le surcoût structurel du transport fluvial. Pourront ainsi être mis en place, de manière expérimentale, la concentration des aides au transport combiné sur les deux axes fluviaux majeurs, la Seine et le Rhône (proposition 2), un système de bonus afin de mutualiser les coûts fixes de manutention du transport fluvial (proposition 3) ainsi qu’un label permettant de valoriser les chargeurs et prenant en compte l'impact environnemental des transports dans leur stratégie de développement économique (proposition 4).

Cette phase d’expérimentation doit permettre aux acteurs du transport maritime de prouver leur capacité à agir collectivement pour remplir les objectifs qu’ils auront contribué à fixer, sous l’autorité du délégué interministériel au développement de la Vallée de la Seine, et des préfets concernés (Seine-Maritime en premier lieu, Eure, Val d’Oise, Yvelines), qui pourront organiser des points d’étape réguliers. Un bilan doit être effectué en 2023.

Les parties prenantes seront informées dès le début des négociations qu’à défaut d’un accord collectif sur les objectifs chiffrés de report modal ou si les résultats de cette expérimentation étaient jugés insuffisants, des mesures plus contraignantes seraient mises en œuvre.

Dans un premier temps, il sera possible de conditionner l’octroi des autorisations d’occupation temporaire à la réalisation d’objectifs chiffrés par les opérateurs portuaires, ce qui est permis par le cadre légal actuel. Par la suite, des mesures législatives pourraient être prises pour rééquilibrer les relations entre les opérateurs privés et les autorités portuaires, afin de permettre à ces dernières d’exiger des engagements de trafic et une exploitation performante des terminaux à conteneurs. L’État pourrait notamment revenir sur l’article 131 (article 35 du projet) de la loi d’orientation des mobilités qui dispose que les conventions de terminal sont, par principe, des autorisations d’occupations temporaires, et requalifier ces conventions en contrats de concession, dont le régime offre des prérogatives beaucoup plus importantes à l’autorité concédante.

 

Le "Green Deal" portuaire à Rotterdam : un exemple de coopération pilotée par l’État

Premier port maritime européen, Rotterdam a souhaité faire de la transition énergétique un vecteur de croissance pour les prochaines décennies. Un accord global, destiné à favoriser la transition énergétique des transports sur l'eau, a été présenté par l’État avec pour objectif ambitieux d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Cet accord, très large, comprend notamment les questions liées à l’énergie, au transport durable, ou à l’optimisation des chaînes logistiques.

Il intègre pleinement les acteurs privés qui se sont vu attribuer des objectifs chiffrés à long terme : réduction de 40 % des émissions de CO2 du secteur fluvial d'ici à 2030 pour atteindre la neutralité carbone en 2050, réduction de 50 % des émissions de CO2 en 2060 pour le secteur maritime.

En outre, des subventions (20M€) dégagées par les collectivités publiques devront permettre de concrétiser des projets déjà engagés (biocarburants) et de lancer de nouvelles initiatives (mise au point de moteurs électriques). Parallèlement, un label développement durable spécifique au secteur fluvial durable va voir le jour pour les bateaux respectant les normes environnementales. Les fonds publics devront également permettre d’améliorer la durabilité des filières logistiques, et en particulier l’acheminement groupé de marchandises par voie fluviale.

Enfin, avec le projet Porthos, dont le coût est estimé à 500M€, le port de Rotterdam a pour ambition de collecter et injecter dans le sous-sol marin une partie des émissions de CO2 des industries lourdes présentes sur le périmètre portuaire. Le port d’Anvers s’est joint à ce projet de très grande envergure en 2019.

2
Concentrer les aides aux transports combinés sur l’axe Seine et l’axe rhodanien
Détails

Les aides à l’exploitation des services de transport combiné de marchandises ("aides à la pince") visent à réduire le différentiel de coûts entre les modes massifiés (rail, voie d'eau, maritime courte distance) et la route, induit par la rupture de charge inhérente à ce mode de transport. Elles représentent d’ores et déjà une mesure importante de l’État en faveur de l’acheminement massifié, qui y consacre près de 30M€ par an, et ont été validées dans leur principe par la Commission européenne.

Dans le cadre de la loi de finances pour 2019, l’État s’est par ailleurs engagé à poursuivre l’aide en faveur du transport combiné, qui représentait initialement un dispositif temporaire, pour une période de cinq ans. Pour 2020, le calcul de l’aide a été légèrement revu avec l’introduction d’une composante liée au nombre de circulations, destinée à encourager le développement de l’offre et à la rendre plus attractive pour le transport de moyenne distance.

Une proposition volontariste consisterait à concentrer "l’aide à la pince" sur les deux axes fluviaux majeurs français, le Rhône et la Seine, voire de conditionner cette aide à la réalisation d’objectifs de développement durable (utilisation d’une flotte de bateaux respectant des normes environnementales, émissions globale de CO2…). Cette mesure conforterait le rôle moteur de ces deux axes, sans nécessairement nuire aux opérateurs des autres axes fluviaux, qui sont le plus souvent les mêmes que ceux agissant sur la Seine et le Rhône.

Par ailleurs, une augmentation significative du montant de l’aide pourrait être envisagée. Une mission du Sénat, "Réarmer" nos ports dans la compétition internationale, proposait ainsi de tripler le montant des aides à la pince dès 2021. En effet, le niveau actuel de ce dispositif est considéré comme faible par rapport aux autres pays européens, et il a fortement diminué ces dernières années (48 euros à 24 euros en 2014, puis 18 euros en 2018). Cette augmentation permettrait en outre de cibler cette aide sur les deux axes fluviaux majeurs, la Seine et le Rhône, sans diminution des aides accordées sur les autres axes fluviaux. Cela représenterait au total une somme proche de 100M€ par an.

Cette mesure, de nature législative, ne pourra prendre effet qu’à compter de la loi de finances pour 2022. Si elle porte nécessairement atteinte au principe d’égalité par la mise en avant des deux grands axes fluviaux français, elle se justifie toutefois par deux motifs d’intérêt général majeurs : d’une part, elle contribue à la réalisation des objectifs de transition écologique en concentrant l’aide là où les trafics sont les plus importants, d’autre part elle répond à l’objectif stratégique de promotion des deux grands ports français, Le Havre et Marseille, qui sont les plus à même de répondre à la concurrence européenne et internationale.

Enfin, cette mesure pourrait permettre de répondre à un besoin de structuration de la filière fluviale, qui doit gagner en compétitivité dans son ensemble. Ainsi, le comité de suivi introduit dans le cadre de la proposition 1 pourrait conditionner l’augmentation des aides aux transports combinés au regard de critères environnementaux, comme indiqué plus haut, mais également de critères liés à l’amélioration des chaînes logistiques et à une meilleure organisation de la filière fluviale.

3
Créer un système de bonus-malus pour permettre la mutualisation des surcoûts liés au transport fluvial
Détails

Les THC (en anglais "Terminal Handling Charges") sont les frais répercutés au chargeur par la compagnie maritime pour couvrir le coût de manutention sur le terminal conteneur ainsi que différentes taxes. En France, ils sont de l’ordre de 200€ par conteneur.

Selon le mode d’acheminement, des manutentions supplémentaires sont nécessaires entre le quai d’escale et le moyen d’acheminement. Elles sont de l’ordre de 50€ par conteneur pour le chargement/déchargement de barge fluviale, et 30€ pour le ferroviaire. L’opérateur fluvial ou ferroviaire intègre ces surcoûts dans ses offres commerciales. Le chargement/déchargement de remorques n'entraîne quant à lui pas de coût additionnel de manutention. En matière de desserte des ports maritimes, cette distorsion financière influence ainsi le mode d’acheminement que choisit le chargeur ou la compagnie maritime au détriment des modes massifiés.

 

La mutualisation des coûts de manutention : l’exemple du port de Dunkerque

S’agissant des marchandises en conteneur, Dunkerque a été le premier port français à adopter une répartition uniforme des surcoûts liés au mode d’acheminement sur l’ensemble des conteneurs en transit par le port. Le surcoût de manutention des modes d’acheminement massifiés ne sont plus supportés par les seuls opérateurs fluviaux et ferroviaires. Ils sont mutualisés auprès de l’ensemble des armateurs sur la base de l’intégralité de leurs trafics conteneurisés respectifs en entrée et sortie des terminaux de Dunkerque. Le port de Dunkerque estime que cette mesure est la source d’une croissance de la part du modal fluvial, celle-ci étant passée de 6 % en 2018 à 8 % en 2019.

Cette mesure est une incitation majeure au développement du mode massifié pour la desserte terrestre d’un port maritime. Elle améliore l’attractivité du port auprès des chargeurs et des compagnies dont les acheminements en modes massifiés représentent une part plus importante que chez leurs homologues. Le frein majeur est lié au surcoût occasionné pour certaines compagnies maritimes et, par répercussion, pour certains de leurs clients. Les transporteurs routiers pâtissent également sur les trafics portuaires de la perte d’un avantage compétitif comparativement aux modes massifiés.

Expérimentée quinze mois avant d’être adoptée définitivement, la mutualisation des THC a été possible pour le port de Dunkerque grâce à une volonté collective sur le multimodal partagée entre les opérateurs de terminaux, les armateurs présents à Dunkerque, les opérateurs fluviaux et ferroviaires ainsi que les chargeurs. Sa mise en œuvre depuis près de cinq ans offre un recul précieux pour envisager de la répliquer, d’abord sous forme d’expérimentation, au sein d’autres ports maritimes du territoire national. La plus grande sensibilité actuelle des chargeurs à l’impact environnemental de leur fonction logistique, y compris dans une optique de développement de la marque employeur, est particulièrement propice à cette démarche.

La mutualisation des THC équivaut à un système vertueux de bonus-malus dans le cercle des acteurs portuaires. La mutualisation de THC induirait un surcoût acceptable de moins de 7€ par conteneur pour un chargeur dont les marchandises seraient acheminées par la route. Un chargeur recourant exclusivement à la desserte fluviale bénéficierait au contraire d’une décote d’environ 43€ par conteneur.

4
Créer un label valorisant les acteurs économiques vertueux
Détails

Les consommateurs sont de plus en plus attentifs aux politiques de développement durable conduites par les marques, et ils attendent de plus en plus qu’elles agissent sur ces sujets. Il conviendrait de tirer profit de cette dynamique pour encourager les donneurs d’ordre (les chargeurs) à mieux intégrer l'impact environnemental des transports dans leur stratégie, et à favoriser l’usage du fret fluvial.

L’Agence de la transition écologique (Ademe), en partenariat avec l’AUTF, avait déjà lancé le dispositif "FRET21 les chargeurs s'engagent en faveur du climat", avec le soutien du Ministère de la transition écologique en 2015. Ce dispositif s’inspire des projets déjà lancés par l’Ademe, notamment dans le secteur du transport routier. Il doit permettre de contribuer à l’objectif d’une diminution de 18 % des émissions de gaz à effet de serre dans le transport de marchandises en 2026 par rapport à 2013. Il s’articule, avec deux autres dispositifs, à destination des commissionnaires de transport et des transporteurs.

Ce dispositif, pertinent dans son principe, pourrait être amplifié. Alors que l’incompréhension de l’étiquetage environnemental est souvent une source de méfiance, il est toutefois primordial de s’engager sur une communication claire, et surtout de s’accorder sur un cahier des charges transparent.

Axe 2 : Développer des zones de compétitivité industrielle à forte valeur ajoutée sur l’axe Seine

Afin de renforcer l’attractivité de l’Axe-Seine face à une importante concurrence européenne, une meilleure prise en compte des enjeux de compétitivité industrielle apparaît nécessaire. L’enjeu pour la vallée de la Seine est donc de renforcer sa compétitivité industrielle, afin de ne pas se limiter à un seul lieu de transit de marchandises, mais également un lieu de transformation à haute valeur ajoutée. La création de zones logistiques le long de l’Axe-Seine, caractérisées par le développement d’infrastructures de stockage ou de manutention, permettrait d’y répondre. En effet, la proposition d’activité logistique par un maillage d’entrepôts en lien avec les besoins des opérateurs et des chargeurs est déterminante pour capter les trafics et surtout entraîner la fixation d'activités de production ou de transformation industrielles à haute valeur ajoutée. La proximité de ces zones logistiques avec les terminaux portuaires est également essentielle à la consolidation de flux et de groupage pour des acheminements massifiés.

Le développement de telles zones est d’autant plus souhaitable que le Royaume-Uni a annoncé vouloir créer des "ports francs", posant un défi d’attractivité au continent : en effet, ces derniers bénéficieraient de suspensions de droits de douane et de TVA, jusqu’à la réexportation des biens y transitant.

5
Créer des zones de compétitivité de logistique portuaire bénéficiant d’exonérations délimitées dans le temps
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Ces zones de compétitivité de logistique portuaire bénéficieraient d’exonérations (droits de douanes, fiscalité foncière, impôt sur les sociétés) afin de stimuler l’activité industrielle et logistique. Le volet douanier permettrait de faciliter les procédures pour les opérateurs en réduisant les formalités de douane. Outre les facilités douanières, les possibilités d'allégements fiscaux pour l'implantation ou l'extension d'entreprises industrielles et logistiques dans les zones portuaires pourront agir comme un fort argument d’attractivité.

Après avoir établi le lieu de création de la zone en lien avec les collectivités locales et l’HAROPA, la zone franche pourra être instituée sur proposition du ministre de l’économie du ministre des finances. Elle devra également être déclarée auprès de la Commission européenne. Un décret en Conseil d’État déterminera les modalités de fonctionnement et les limites de la zone.

Plusieurs zones gagneraient à être établies le long de l’Axe-Seine. Une zone au sein du PLNP3 pourrait être étudiée au Havre. À Rouen (RSVL Amont) et Port-Jérôme (Zone industrielle portuaire multimodale) des zones de compétitivité portuaire pourraient également être proposées, qui comprendraient a minima un volet fiscal.

D’un point de vue douanier, les marchandises dans la zone ne se verront pas appliquer de droits (article 286 du Code des douanes). Cet avantage douanier permet d’entreposer des produits dans la zone sans payer de droits de douane et sans limite de temps, ce qui autorise des transformations ou stockages. Les droits de douane ne sont payés qu’une fois que les produits sortent de la zone.

D’un point de vue fiscal, des exonérations d’impôts sur les sociétés et de fiscalité foncière seraient mises en place. Ces exonérations, qui seraient ciblées et limitées dans la durée, agiront comme des leviers additionnels d’attractivité portuaire. Il est proposé de mettre en place ces exonérations fiscales pour une durée de six ans, et de manière dégressive à partir de la quatrième année (exonération à 100 % pendant trois ans, puis à 60 % la 4e année, puis 40 % la 5e année et 20 % la 6e année).

En pratique, des zones franches portuaires existent déjà en France et en Europe. En France, il s’agit du port du Verdon, dont la gestion est confiée au port autonome de Bordeaux, et de la zone franche régionale de Guyane. En Europe, il existe près de 80 zones franches, dont plusieurs ports francs (Riga, Luxembourg, Brème, Trieste, Pirée, etc.).

Comparaison internationale : le port franc de Trieste

Initialement créé en 1719 comme "port franc", le port de Trieste est depuis juillet 2017 une zone franche coordonnée par l’autorité portuaire. Ainsi, pour les marchandises importées dans l'UE via le port franc de Trieste, le paiement des droits de douane et de TVA peuvent être reportés jusqu'à 6 mois. En outre, alors que dans les ports traditionnels les marchandises doivent recevoir un statut douanier (importation/transit/dépôt) dans un délai de 45 jours, elles peuvent conserver au port de Trieste un statut indéfini tant qu'elles se trouvent dans le port franc.

Pour accroître sa compétitivité, l’autorité portuaire a récemment signé un accord avec l’agence douanière afin de simplifier les procédures douanières (numérisation, pré-dédouanement, interconnexions informatiques entre zones franches, etc.)

Comme l’ensemble des ports italiens, le port de Trieste bénéficie d’exonérations totales d’impôts sur les sociétés. Toutefois, dans une décision de janvier 2019, la Commission a appelé l’Italie à aligner son régime d'imposition des ports sur les règles en matière d'aides d'État, puis la Commission a ouvert une enquête approfondie en novembre 2019. Des décisions similaires avaient été prises pour la France et la Belgique en 2017.

Pour garantir la bonne mise en œuvre des zones de compétitivité portuaires, il conviendra d’établir une gouvernance équilibrée associant les collectivités (région et communes), l’administration (volet fiscal), le développeur du site et ses utilisateurs. La coordination de cette gouvernance pourrait se voir confiée au préfet de région.

6
Conditionner l’implantation sur la zone de compétitivité à des exigences en matière environnementale
Détails

La zone de compétitivité a vocation à offrir des conditions financières avantageuses pour l’implantation d’activités logistiques. Cet avantage compense en partie le surcoût du foncier des zones en bordure de voie d’eau et améliore donc l’attractivité de ces dernières face à l’offre de foncier rural en bordure d’axes routiers.

Toutefois l’accès à ces zones de compétitivité doit être strictement encadré. En effet, il convient d’éviter premièrement que d’autres territoires reprochent une concurrence déloyale portées par des zones qui disposent par ailleurs déjà d’une bonne dynamique urbaine ou industrielle. Deuxièmement, cette mesure n’est efficace que si les activités implantées contribuent effectivement à la croissance des trafics massifiés de marchandises.

L’accès aux zones de compétitivité à un projet économique pourrait donc être soumis à deux critères :

  • un critère portant sur l’existence d’un volet logistique : soit que l’activité soit celle d’un logisticien, soit que l’activité génère un trafic de marchandises important. Ce critère pourrait être apprécié qualitativement en définissant des secteurs d’entreprises cibles (logistique, technologique, environnemental, etc.) ou bien quantitativement sur la base par exemple du ratio du volume de trafic de marchandises induit à la surface occupée.
     
  • un critère portant sur le recours au mode massifié pour les trafics de marchandise induits sur les voies terrestres. Plus exactement, le critère exigerait que le volume de marchandises transportées par voie fluviale ou ferroviaire soit supérieur au volume de marchandises transportées par voie routière. Cela revient à fixer un seuil de 50 % à la part massifiée des trafics de marchandises en entrée et en sortie, hors flux maritimes.

La mise en œuvre de ces mesures permettrait une reprise dynamique de l’activité de l’axe Seine en début d’année 2021. Pour y parvenir, seront requis un portage politique soutenu ainsi qu’un accompagnement par les services de l’État dans les territoires. En outre, les préconisations du présent rapport pourront utilement être mobilisées pour la préparation du prochain Comité Interministériel de la Mer (CIMER).

 

 

Copyright photo : CHARLY TRIBALLEAU / AFP

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