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Octobre 2022

China Trends #14
Politique étrangère chinoise : l’écart entre rhétorique et actes

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Auteurs
Viviana Zhu
Analyste Chine - Anciennement Research Fellow - programme Asie, Institut Montaigne

Viviana Zhu était Research Fellow à l'Institut Montaigne jusqu'en janvier 2023. Avant cela, elle était coordinatrice du programme Asie à l’European Council on Foreign Relations (ECFR)

François Godement
Expert Résident, Conseiller spécial - Asie et États-Unis

François Godement est Expert Résident principal et Conseiller spécial – Asie et États-Unis à l’Institut Montaigne. Il est également Nonresident Senior Fellow du Carnegie Endowment for International Peace et assistait le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères français en tant que consultant externe  jusqu'à l'été 2024.

Janka Oertel
Directrice du Programme Asie du Conseil européen pour les relations internationales

Janka Oertel est directrice du programme Asie du Conseil européen pour les relations internationales (European Council on Foreign Relations, ECFR). Elle était auparavant Senior Fellow - programme Asie au bureau de Berlin du German Marshall Fund of the United States (GMF). Elle y suivait en particulier la politique transatlantique à l’égard de la Chine, notamment dans le domaine des technologies émergentes, la politique étrangère de la Chine et la sécurité en Asie orientale. Avant de rejoindre le GMF, elle était directrice de programme au bureau de la Körber-Stiftung à Berlin. Janka Oertel est titulaire d’un doctorat. 

Mathieu Duchâtel
Directeur des Études internationales, Expert Résident

Mathieu Duchâtel est le directeur des études internationales de l’Institut Montaigne. Ses travaux portent notamment sur la sécurité économique et sur les questions stratégiques en Asie orientale. Mathieu Duchâtel est docteur en science politique de Sciences Po.

Chiew-Ping Hoo
Maître de conférences à l’Université nationale de Malaisie

Hoo Chiew-Ping est maître de conférences en études stratégiques et relations internationales à l’Université nationale de Malaisie (UKM). Elle est en parallèle membre du Conseil consultatif de politique étrangère du ministère des Affaires étrangères de Malaisie, professeur adjoint au Collège de Défense des forces armées malaisiennes et à l’Institute of Diplomacy and Foreign Relations (Malaisie). Elle est titulaire d’un doctorat. 

Chow-Bing Ngeow
Directeur de l’Institut pour les études chinoises de l’université de Malaya

Ngeow Chow-Bing est directeur de l’Institut pour les études chinoises de l’Université de Malaya (Malaisie). Il a été nommé Special Senior Research Fellow au sein du National Institute for Global Strategy de l’Académie chinoise des sciences sociales (2017-2020). En 2018, lors du 17e Shangri-La Dialogue organisé par l’Institut International d'Études Stratégiques (International Institute for Strategic Studies, IISS), il a été délégué du Southeast Asian Young Leaders Programme (SEAYLP). Il est titulaire d’un doctorat.

Introduction - François Godement
Les vestiges de la gouvernance mondiale : façonner le multilatéralisme ou opter pour le minilatéralisme - Janka Oertel
Xi Jinping et la Global Security Initiative : mobiliser le sud global contre l’occident - Mathieu Duchâtel et Viviana Zhu
"Aime ton prochain" : la politique de la chine en Asie du sud-est en paroles et en actes - Hoo Chiew-Ping et Ngeow Chow-Bing

À propos

China Trends est une publication trimestrielle en anglais du programme Asie de l’Institut Montaigne. Chaque numéro est consacré à un thème unique et cherche à comprendre la Chine en s’appuyant sur des sources en langue chinoise. À une époque où la Chine structure souvent l’agenda des discussions internationales, un retour aux sources de la langue chinoise et des débats politiques - lorsqu’ils existent - permet une compréhension plus fine des logiques qui sous-tendent les choix de politiques publiques de la Chine.

Introduction

François Godement, Conseiller pour l'Asie à l'Institut Montaigne

Tout État manie une politique étrangère déclarative. Ses actes peuvent différer de celle-ci. "L’hypocrisie organisée", pour reprendre l’expression de Stephen D. Krasner, est une particularité immuable des relations internationales : les normes sont reconnues mais sont aussi violées, à des degrés divers. Pourtant, cette même hypocrisie peut servir à préserver ou rétablir la paix, en empêchant un conflit généralisé, une escalade ou en offrant des portes de sortie négociées. Pour cela, il faut bien sûr que le langage diplomatique ne soit pas qu’un outil de propagande.

Depuis 2007, début du second mandat de Hu Jintao, le prédécesseur de Xi Jinping, le "soft power" est devenu un objectif affiché du Parti communiste chinois. Appliqué par les penseurs chinois aux relations internationales, le concept a trouvé sa traduction dans la notion de "pouvoir discursif" (话语权). Zheng Bijian, conseiller international de Deng Xiaoping qui a introduit par ailleurs l’idée d’une "ascension pacifique" de la Chine, fut aussi le premier à avoir recours à cette expression dans une interview accordée à la chaîne de télévision Shanghai Oriental en 2004.

Xi Jinping fait lui aussi référence au pouvoir discursif et met l’accent depuis 2013 sur la nécessité de "bien raconter l'histoire de la Chine" (讲好中国故事). Mais ses propos sur l’environnement international sont souvent émaillés d’exhortations à la lutte. Cette dernière notion est directement dérivée de sa vision du rôle historique du Parti communiste chinois (PCC), à l’intérieur comme à l’extérieur. Alors que le 20e Congrès du Parti s’ouvre le 16 octobre 2022, la lutte constitue toujours le message principal de Xi dans un contexte de "changements profonds sans précédent depuis un siècle" en cours dans le monde, un monde dans lequel le PCC doit garder une longueur d’avance. En d’autres occasions, Xi Jinping a célébré ce qu’il considère comme "une opportunité stratégique pour la Chine comme il n'en arrive qu’une fois tous les cent ans".

Mais là n’est pas le cœur du discours de politique étrangère chinoise que mettent en avant les sources analysées dans ce numéro de China Trends. D’autres tendances se détachent. La première consiste à présenter la Chine comme État non hégémonique, mais constructif et rationnel - en opposition à l’attitude que les auteurs attribuent quasi constamment à l’Amérique et à l’Occident. Pour ces auteurs, l’ordre international est dépassé, mais la raison invoquée n’est pas une bascule du pouvoir vers les pays émergents et en développement au détriment des États-Unis et de leurs alliés (les auteurs chinois n’utilisent pas plus l’expression de "Sud global", pas plus qu’ils ne parlaient de "Tiers Monde" avant que Deng Xiaoping n’évoque après 1978 un "troisième monde" au sens très différent). Le recours à la force, la coercition et la manipulation demeurent des attributs occidentaux. Les anciens chefs de file de l’ordre international sont incapables de résoudre les nouveaux défis mondiaux.

Pourtant, cette même hypocrisie peut servir à préserver ou rétablir la paix, en empêchant un conflit généralisé, une escalade ou en offrant des portes de sortie négociées.

Qu’il s’agisse de lutte contre le changement climatique, de gouvernance économique, de lutte contre les inégalités ou de sécurité internationale, ce serait la Chine qui offre des solutions pouvant être érigées en modèle. Il incombe à la Chine de placer celles-ci au cœur du nouvel ordre mondial. La nouvelle Initiative de sécurité mondiale de Xi Jinping est majoritairement axée sur le dialogue et la consultation, la Charte des Nations Unies, la sécurité à travers la coopération et le développement soutenable - très loin, donc, de sa propre rhétorique politique de lutte. Avec l’Association des Nations d'Asie du Sud-Est (ASEAN) - qui est un partenaire régional idéal pour la Chine eu égard à sa neutralité déclarée et à l’influence chinoise sur la région -, un expert chinois va jusqu’à évoquer l’émergence d’une "confiance émotionnelle".

Le réalisme se fait jour sur deux points chez ces auteurs : d’abord, par le constat qui est fait d’une influence économique de la Chine qui serait irrésistible, et en fait, selon l’un des auteurs, un acteur incontournable dans la scène économique globale. Mais l’autre forme de réalisme réside dans des avertissements ou des réserves - certes minoritaires - formulés par Da Wei, professeur à l’université Tsinghua, Zheng Yongnian, un expert connu revenu de l’étranger, et, de manière plus surprenante, par Dong Chunling, membre du think tank rattaché au ministère de la Sécurité d'État. Da Wei rappelle aux lecteurs que la dépendance économique qui lie l’Occident à la Chine fonctionne dans les deux sens, et que l’Occident s’est montré étonnamment uni face à la guerre en Ukraine. Pour Dong Chunling, la coopération sino-américaine, particulièrement en matière de terrorisme, a été utile dans le passé, et la plupart des différences entravant cette coopération sont d’ordre idéologique. Zheng Yongnian esquisse une analogie entre la question de l’Ukraine et celle de la mer de Chine du Sud : une attitude rigide de la Chine risque d’encourager un "OTAN asiatique", et la Chine devrait déployer en conséquence plus d’efforts en direction de l’ASEAN.

Si Da Wei déploie un raisonnement factuel et argumenté, les autres réserves sont anecdotiques. Une remarque s’impose : nos auteurs restent dans un plan très abstrait, et ne citent guère d’initiative concrète et factuelle portée par la Chine à l’appui de leurs vues. Ces initiatives existent pourtant bel et bien - pensons aux montants extraordinaires prêtés dans le cadre des nouvelles routes de la soie (Belt and Road Initiative), aux engagements rares mais réels pris par la Chine en matière d’environnement, ou encore à sa contribution financière au fonctionnement des organisations internationales. Les experts chinois, au moins dans ces écrits publics, se concentrent sur les enjeux systémiques et sur des initiatives diplomatiques à très grands traits. Ces initiatives sont adressées aux membres de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), aux BRICS et aux membres non occidentaux du G20 : pris ensemble, ces pays forment en effet la plus grande part de la communauté internationale. C’est à nouveau Da Wei qui, à juste titre, souligne le besoin à l’échelle mondiale d’offres chinoises "positives".

Nous qualifions trop souvent d’influence chinoise ce qui relève d’actions de coercition, que ce soit l’immense levier commercial que la Chine tire de ses achats de matières premières, des débiteurs contractés dans le cadre des grands projets chinois d’infrastructures, ou de ses lobbies d’affaires qui exercent un succédané de soft power. La Chine tire aussi profit des lacunes les plus évidentes de l’Occident dans ses rapports avec le reste du monde. Elle exploite le penchant occidental à exprimer sa politique à travers la promotion de valeurs et non d’intérêts communs.

[Les experts chinois] ont une grande portée pour de nombreux enjeux mondiaux, qu’ils leur apportent ou non des solutions. Mais l’écart entre la rhétorique déployée par la Chine et ses actes demeure immense.

L’offre chinoise est bien plus exprimée à travers une dépendance commerciale, y compris la perception selon laquelle fâcher la Chine entraîne des rétorsions : la coercition joue un rôle croissant. L’aide chinoise est accordée sous la forme de prêts plutôt que de dons, les vaccins anti-Covid sont vendus plutôt qu’offerts, et l‘assistance que fournit la Chine en temps de crise est généralement limitée, d’autant plus si on la compare à la taille de l’économie chinoise. Ainsi, lorsque Xi Jinping, au récent sommet de l'Organisation de coopération de Shanghaï de septembre 2022, annonce une aide humanitaire d’urgence à destination des pays en développement, le montant total s’élève à 215 millions d’euros, soit 0.0000625 % du commerce international chinois en 2021. D’autres exemples sont faciles à trouver.

Ce sont sans doute de bonnes raisons pour que les experts chinois ne s’aventurent pas dans les détails, et s’en tiennent à des éléments de langage. Il convient d’accorder de l’importance à la posture de la Chine dans les relations internationales et à ses choix. Ils ont une grande portée pour de nombreux enjeux mondiaux, qu’ils leur apportent ou non des solutions. Mais l’écart entre la rhétorique déployée par la Chine et ses actes demeure immense, et n’est pas seulement imputable à ce qui relève de l’idéologie "rouge" ou de "loups combattants". Le fait que Pékin poursuive quasi exclusivement ses intérêts propres, et sa pingrerie en matière d’assistance internationale constituent une faiblesse stratégique quant au rôle futur de la Chine dans le monde. Il revient naturellement à ses partenaires de prouver qu’ils ont mieux à offrir.

Les vestiges de la gouvernance mondiale : façonner le multilatéralisme ou opter pour le minilatéralisme

La Chine trouve-t-elle encore un intérêt aux structures de gouvernance mondiale ? Les juge-t-elle au contraire à jamais dépassées à l’ère des rivalités stratégiques, de la maximisation de la puissance et du nationalisme triomphant ? Janka Oertel, directrice du programme Asie du Conseil européen pour les relations internationales (European Council on Foreign Relations, ECFR), passe en revue ce qu’en disent certains auteurs chinois pour comprendre la manière dont la gouvernance mondiale est aujourd’hui appréhendée en Chine.

Ces auteurs soutiennent que pour Pékin, la gouvernance mondiale n’est pas morte. Il s’agit au contraire de chercher à restructurer l’ordre mondial afin qu’il facilite l’émergence des initiatives portées par la Chine et reflète la "sagesse chinoise", tout en permettant la promotion de "solutions chinoises" aux défis mondiaux.

 

Xi Jinping et la Global Security Initiative : mobiliser le sud global contre l’occident

L’Initiative de sécurité mondiale de Xi Jinping a un peu plus de six mois. Force est de constater qu’elle ne fait pas beaucoup parler d’elle en Europe. En Chine, cette initiative bénéficie en revanche d’une forte impulsion politique. Mathieu Duchâtel, directeur du programme Asie de l’Institut Montaigne, et Viviana Zhu, Research Fellow au sein du programme, examinent la façon dont les commentateurs chinois perçoivent sa nature, sa signification et sa valeur.

Ce que la Chine rejette à travers l’initiative est limpide, mais ce qu’elle propose à la place l’est moins. Fondée sur des termes vagues et abstraits, l’Initiative ne promeut pas de solutions concrètes pour les défis auxquels le monde fait face en matière de sécurité. Elle peine à expliquer comment le monde pourrait collectivement se diriger vers le modèle que propose ainsi la Chine. Mais le récit chinois mérite toute notre attention, car il révèle les intérêts stratégiques que poursuit Pékin et sa vision hyperréaliste de l’ordre international sous le vernis d’un discours axé sur la coopération.

"Aime ton prochain" : la politique de la chine en Asie du sud-est en paroles et en actes

L’Asie du Sud-Est est devenue le champ de bataille incontournable entre la politique de "bon voisinage" de la Chine et la stratégie Indo-Pacifique des États-Unis. Si la plupart des experts occidentaux ont tendance à signaler les points de litige entre la Chine et les pays de l’Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN), et en particulier les tensions en mer de Chine du Sud, les experts chinois préfèrent généralement décrire les évolutions positives de la relation entre la Chine et l’ASEAN ou ses membres. Les actions de la Chine ne sont néanmoins pas toujours et pas nécessairement en adéquation avec la rhétorique affichée et les publications académiques.

Hoo Chiew-Ping, maître de conférences à l’université nationale de Malaisie (UKM) et Ngeow Chow-Bing, directeur de l’Institut pour les études chinoises de l’université de Malaya, analysent la façon dont la question de l’ASEAN et de l’Asie du Sud-Est est perçue en Chine en tant que pilier de sa politique de voisinage. Dans l’ensemble, il ressort de ces analyses que si les actions entreprises par la Chine en la matière, avec l’ASEAN comme première priorité, semblent bienvenues dans la région, il reste encore un long chemin à parcourir avant d’aboutir à une relation de confiance et de bonne volonté avec l’ASEAN.

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