Le texte a d’ailleurs été rapidement censuré en Chine. Les positions que Hu Wei y prend sur l’échec de la stratégie du Blitzkrieg adoptée par Vladimir Poutine, tout comme le réalisme dont le politologue fait preuve lorsqu’il énonce que "la Chine doit se féliciter voire même soutenir Poutine, mais si et seulement si la Russie ne chute pas", sonnent rétrospectivement comme un avertissement utile.
Les sources chinoises que nous avons analysées présentent depuis le début de la guerre un élément de continuité dans l’évaluation de la situation ukrainienne et de sa gravité. Elles suggèrent que l’enjeu premier du conflit ne porte pas sur l’Ukraine en tant que telle, mais sur un ordre sécuritaire plus large et sur l’équilibre international des puissances. Cette vision des choses interpelle, dans la mesure où le langage de la diplomatie publique chinoise avait généralement tendance, dans les premiers jours, à minimiser l’ampleur de l’offensive russe. Mais comme nous le verrons, cette tendance à la sous-estimation répondait à un objectif principal : occulter le fait que la Russie de Poutine était en train de lancer le conflit militaire le plus important que le continent européen ait connu depuis la Seconde Guerre mondiale. Le 20 février, Han Liqun, expert du CICIR, soulignait ainsi que "pour assurer sa sécurité nationale, la Russie n’hésite pas à utiliser tous les moyens qui sont à sa disposition et à enfreindre les conventions (为维护国家安全,俄罗斯不惜运用一切手腕,不惜打破常规)". Le 17 mars, Huang Jing, aujourd’hui professeur émérite à l’Université des études internationales de Shanghai, affirmait quant à lui que "la Russie, forte de son écrasante supériorité militaire, devrait être en mesure de prendre le contrôle de la situation et d’atteindre ainsi son objectif fondamental : démanteler l’Ukraine, abattre sa puissance militaire et lui barrer le chemin de l’adhésion à l’OTAN". Le fait même que ces analyses publiquement accessibles n’aient pas cherché à cacher la violence des actions de la Russie montre que la diplomatie chinoise avait pour sa part simplement mis en avant des "éléments de langage", comme le Quai d’Orsay les appelle parfois, afin d’éviter une position trop voyante sur la scène internationale.
La Chine, bien sûr, s’est distanciée de la Russie au Conseil de sécurité des Nations unies le 25 février, et lors de l’Assemblée générale, en s’abstenant lors du vote d’une résolution sur l’arrêt des combats.