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Document de travail
Novembre 2021

China Trends #10
Comment l’intelligence artificielle transformera la Chine

Auteurs
Viviana Zhu
Analyste Chine - Anciennement Research Fellow - programme Asie, Institut Montaigne

Viviana Zhu était Research Fellow à l'Institut Montaigne jusqu'en janvier 2023. Avant cela, elle était coordinatrice du programme Asie à l’European Council on Foreign Relations (ECFR)

François Godement
Expert Résident, Conseiller spécial - Asie et États-Unis

François Godement est Expert Résident principal et Conseiller spécial – Asie et États-Unis à l’Institut Montaigne. Il est également Nonresident Senior Fellow du Carnegie Endowment for International Peace et assistait le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères français en tant que consultant externe  jusqu'à l'été 2024.

Pierre Sel
Contributeur sur les politiques technologiques et industrielles

An associate researcher with Institut Montaigne’s Asia Programme, Pierre Sel is also a Ph.D. candidate at the University of Vienna. As a political science researcher, he closely follows developments of digital technologies, having also worked on A.I., quantum technologies, fintech and cloud computing. While working for the CEA-Leti as deputy representative based at the French Embassy in Beijing (2020-2022), he wrote weekly briefings and in-depth memo covering governments plans and industry developments (focusing on sensors, automotive, photonics, as well as AI chips). The position also included regular coordination with partner countries as well as industry representatives. Regular monitoring and briefing were also an essential component of his work as the co-founder of EastIsRed, an advisory company focusing on China-related developments.

Rebecca Arcesati
Analyste au Mercator Institute for China Studies

Rebecca Arcesati is an Analyst at the Mercator Institute for China Studies (MERICS). Her research focuses on China’s digital and technology policies and how they impact Europe. She covers digital infrastructure and the global expansion of Chinese tech firms, data and emerging tech governance issues, as well as EU-China relations in the technology and innovation spaces.

Prior to joining MERICS, Rebecca was involved in a project helping Italian tech startups scale up in China and worked on gender equality with the United Nations in Beijing. She holds an LL.M. in China Studies with a focus on Politics and International Relations from Peking University, where she was a Yenching Scholar. She also received an MA in International Studies from the University of Turin, with a specialization in China’s foreign policy and political economy. Rebecca studied Chinese language in Beijing and Dalian and holds a BA in Language Mediation and Cross-Cultural Communication.

Introduction par François Godement
Smart Education par Rebecca Arcesati
Smart Transportation par Viviana Zhu
Smart Cities par Pierre Sel

À propos

China Trends est une publication trimestrielle en anglais du programme Asie de l’Institut Montaigne. Chaque numéro est consacré à un thème unique et cherche à comprendre la Chine en s’appuyant sur des sources en langue chinoise. À une époque où la Chine structure souvent l’agenda des discussions internationales, un retour aux sources de la langue chinoise et des débats politiques - lorsqu’ils existent - permet une compréhension plus fine des logiques qui sous-tendent les choix de politiques publiques de la Chine.

Introduction

François Godement, Senior Advisor for Asia

Le secteur numérique et des technologies de l’information (IT) de la Chine, devenu fournisseur mondial de premier plan, a vu sa croissance fortement encouragée, y compris dans des développements hors du commun : c’est le cas avec le "crédit social" ou les apps de traçage des contacts (contact tracing) pour contrôler la pandémie, et désormais avec l’intelligence artificielle (IA).

La Chine est assurément à l’avant-garde de ce domaine, en partie grâce à la centralité de ses décisions politiques et à la taille de son marché. Elle possède des avantages incomparables par rapport à ses concurrents : l’échelle des mégadonnées (ou big data) récoltées dans ce marché, une croissance rapide - à partir d’une base inexistante - qui a permis de sauter des étapes et favorise l’introduction de l’innovation, un public cible qui est souvent celui des enfants du numérique et, du côté du gouvernement, un pouvoir de décision incontesté et une capacité à mener des projets d’envergure. Une nouvelle génération de spécialistes de l’analyse des données et de l’informatique a émergé en Chine, et les start-ups bénéficient d’un capital-risque abondant, appuyé par la certitude qu’il s’agit d’un secteur directement encouragé par le gouvernement. Malgré cela, la Chine force bien moins l’admiration dès lors qu’il s’agit de concevoir des algorithmes, et les déploiements publics ont été ralentis par les silos sectoriels et la fragmentation locale de sa bureaucratie. Cela explique aussi pourquoi des géants hybrides comme Alibaba ou Tencent ont provoqué la colère de l’État-parti, du fait de l’importance de leurs propres bases de données et des applications potentielles de ces dernières. C’est d’ailleurs à ce moment précis que le gouvernement chinois a fait sien l’enjeu de la protection des données personnelles. Mais si l’on définit l’innovation de pointe comme fonction de la quantité et la quantité de R&D, le "D" du développement l’emporte, en Chine, sur le "R" de la recherche : dans les applications de l’intelligence artificielle, l’avantage technologique dont bénéficie la Chine réside dans son inventivité sociale, managériale et marketing. Cette inventivité n’est bien sûr pas sans lien avec l’absence de résistance sociale manifeste au sein de la société chinoise, ni sans lien avec la concurrence qui existe entre des administrateurs locaux cherchant à figurer en première ligne de cette nouvelle vague d’innovation.

Une nouvelle génération de spécialistes de l’analyse des données et de l’informatique a émergé en Chine, et les start-ups bénéficient d’un capital-risque abondant, appuyé par la certitude qu’il s’agit d’un secteur directement encouragé par le gouvernement

Les trois auteurs de ce numéro de China Trends concentrent chacun leurs analyses sur un cas d’application à la fois sectorielle et transversale de l’intelligence artificielle en Chine. Le cas le plus captivant aujourd’hui est sans doute celui du secteur de l’éducation, tant il fait écho au stéréotype de la surveillance. Au-delà des logiciels de reconnaissance faciale (et de suivi des émotions) et de reconnaissance automatique de la parole, l’IA y promet un degré de contrôle de l’élève qui va jusqu’au tracking de ses ondes cérébrales. Michel Foucault et son fameux panoptique, ou les moralistes néo-confucéens n’auraient pu imaginer une telle évolution technologique. Des voix s’élèvent en Chine pour souligner, à raison, un risque important : qu’elle en vienne à étouffer plus encore, parmi les étudiants, la capacité à innover.

Ce numéro de China Trends s’intéresse en second lieu à l’industrie automobile et la conduite autonome. Dans ce domaine, il est fascinant de constater que c’est en se fondant sur des infrastructures collectives que la Chine cherche à faire émerger des solutions de transport intelligent, plutôt qu’en s’appuyant sur des véhicules autonomes individuels bardés de capteurs. Si on peut aussi y voir une manifestation de la culture du contrôle propre à la Chine, il convient d’admettre que nombre de développements informatiques en cours au sein de l’industrie automobile mondiale ouvrent le partage de vastes ensembles de données aux entreprises automobiles, de télécommunications et aux compagnies d’assurances. D’un autre côté, la priorité accordée par la Chine aux infrastructures routières pour la conduite autonome semble adaptée aux paysages urbains embouteillés chinois.

Ce dernier aspect cadre bien avec notre troisième cas : les villes intelligentes (ou smart cities). L’avance prise par la Chine dans ce secteur - comme c’est aussi le cas pour les ports intelligents - est une conséquence de la vitesse d’introduction de l’internet des objets (IoT) dans le pays, des puces RFID à la 5G. À nouveau, l’approche chinoise de type "rouleau compresseur" en matière d’infrastructures pourrait porter ses fruits. Comme pour les deux autres cas, il y a lieu d’en tirer quelques leçons pour nos propres sociétés ; dans quelle mesure l’ampleur de notre propre résistance sociale à l’innovation, souvent habillée avec l’argument de la préservation de notre environnement traditionnel et avec celui de la complexité des droits de propriété ou de ceux des utilisateurs, peut-elle être un obstacle que la Chine rencontre moins fortement ? Le cas des smart cities chinoises révèle aussi des exemples d’entrepreneurs vendant des projets superficiels d’IA à des administrateurs locaux crédules.

Tout programme visant à introduire l’IA dans nos propres sociétés gagnerait à s’attarder sur ces précédents chinois - avec leurs limites bien sûr, mais aussi avec leur ampleur et l’intégration de la technologie et de la dimension sociétale et collective.

Smart Education

Depuis les premiers plans lancés par le gouvernement chinois en faveur du développement de “l’éducation intelligente” (smart education), une multitude d’entreprises de haute technologie et de start-ups se sont empressées de créer des produits de technologie de l’éducation (EdTech). Les gouvernements locaux et les écoles se font aujourd’hui concurrence pour adopter les solutions les plus innovantes. Rebecca Arcesati, analyste au Mercator Institute for China Studies (MERICS), examine en profondeur les mythes et la réalité de la smart education chinoise. Plutôt que de servir directement des objectifs d’éducation, la numérisation du secteur semble surtout avoir offert une opportunité économique aux entreprises de matériel et de logiciels informatiques. Les experts chinois observent que l’adoption aveugle des nouvelles technologies dans le secteur de l’éducation au nom de sa modernisation ne suffit pas : selon eux, une véritable réforme éducative est aujourd’hui impérative en Chine.

Smart Transportation

La Chine s’est engagée dans la voie d’une refonte de ses transports. Les systèmes plus "intelligents" (smart transportation) sont définis comme un projet d’importance stratégique. En 2020, la taille totale de ce marché a atteint 25,9 milliards de dollars. Mais malgré ses progrès et ses succès, nourris par un soutien public important et un engouement populaire, le secteur présente des risques et certaines de ses technologies accusent un retard sur les meilleurs standards internationaux. Dans un écosystème dit de transports intelligents, un seul élément manquant peut entraîner un dysfonctionnement du tout. Viviana Zhu, chargée d’études au sein du programme Asie de l’Institut Montaigne, analyse le développement du système chinois de smart transportation et sa perception dans le contexte de la compétition internationale et la concurrence en matière de données

Smart Cities

Les planificateurs du gouvernement chinois et les fonctionnaires locaux tâchent en toute hâte de faire de la Chine le pays le plus avancé en matière de smart cities, créant ainsi un marché alléchant pour les entreprises technologiques. Pierre Sel, cofondateur d’EastIsRed, décode cette frénésie en cours en Chine. Cas d’école, la ville de Ningbo est souvent citée comme une smart city réussie. La réalité est plus nuancée, et l’avènement des villes intelligentes fait l'objet de nombreux débats dans le pays. À y regarder de plus près, la majorité des projets sont considérés comme utopiques ou inutiles, voire comme un gaspillage de ressources. Si les décideurs publics semblent avoir aujourd’hui conscience de ces limites, la course à la construction de villes intelligentes est déjà lancée.

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