Les politiques au niveau de l'UE n'ont encore pas toutes prouvé leur efficacité.
Les divergences systémiques, la rivalité avec la Chine et l’asymétrie des règles des deux parties dans de nombreux domaines (ouverture aux investissements, marchés publics, transferts forcés de technologie, subventions d'État, droits de propriété intellectuelle...) sont vieilles de plusieurs décennies. Mais elles se sont accentuées à mesure que le statut de la Chine comme économie en développement devenait de moins en moins défendable. Le fait que la Chine ne soit pas disposée à faire des concessions structurelles sur ces questions d'importance vitale pour l'UE apparaît désormais avec évidence. En témoignent d’ailleurs les négociations en cours entre l’UE et la Chine en vue d’un accord global sur les investissements.
Les institutions européennes sont progressivement parvenues à coordonner les points de vue et les approches nationales sur une liste de politiques économiques défensives (parmi elles, le mécanisme de filtrage des investissements étrangers) ; mais l’efficacité de certaines de ces mesures défensives reste encore à prouver. Le règlement établissant un cadre de filtrage des investissements étrangers vient d'entrer en vigueur en octobre 2020. Il prévoit certes des mécanismes de coopération et comporte certains aspects contraignants en matière d'information et d'investissements transfrontaliers, ou impliquant des entreprises bénéficiant d'un financement de l'UE. Mais son ensemble n’est pas contraignant. Les autres règles et outils existant au niveau européen empêchent souvent de prendre des mesures efficaces dans d'autres domaines, notamment en matière de politique étrangère et de sécurité. Ces règles viennent même limiter notre pouvoir déclaratif collectif. Un exemple frappant est la déclaration de l’UE, advenue tardivement et dans des termes faibles en réaction à la décision (2016) de la Cour permanente d'arbitrage de La Haye concernant les revendications chinoises en mer de Chine méridionale.
Défis Comment renforcer la résilience européenne au-delà des mesures purement défensives ; comment surmonter l’enjeu du plus petit dénominateur commun dans les déclarations de l'UE ; identifier les points sur lesquels nous pouvons faire pression sur la Chine pour qu'elle accepte de faire des concessions, ou identifier les points sur lesquels nous pouvons prendre des contre-mesures qui limitent concrètement la marge de manœuvre de la Chine en cas d’absence de concession. |
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Les États membres de l'UE (et en dessous de ce niveau) soumis aux pressions chinoises ont souvent été livrés à eux-mêmes.
La diplomatie agressive de la Chine et/ou ses menaces de représailles, principalement économiques, ont pris pour cibles certains États membres de l'UE ; ce fut le cas de la Suède, de la France et de l’Allemagne1. Après la visite de son président du Sénat à Taiwan, accompagné d’une délégation, la République tchèque a tout récemment été menacée de "graves conséquences" pour ce "comportement à courte vue". En dessous du niveau gouvernemental, les compagnies aériennes et les chaînes d'hôtels font l’objet de pressions de la part de la Chine, qui les exhorte à utiliser des cartes du monde "correctes", c’est-à-dire ne montrant pas Taiwan comme une entité distincte. Les sociétés d'édition sont quant à elles tenues de retirer de leurs sites web (Cambridge University Press, Springer) les publications considérées comme sensibles par la Chine, celles qui ont trait par exemple au Tibet ou à Taiwan. Cette pression s'exerce également à l’échelle locale et cible des villes, des communautés ou des événements culturels.
Dans presque tous les cas, les pays (et autres entités) visés ont été largement livrés à eux-mêmes ou ont cédé à cette pression. Rares ont été les déclarations de solidarité émises par leurs voisins européens ou par l’UE elle-même. Les "petits" pays sont encore plus vulnérables aux pressions - ou tout autant aux sirènes - de la Chine. Les comportements opportunistes, comme ceux qui ont été observés lorsque la Chine a "puni" les gouvernements ayant rencontré le Dalaï-Lama, ne devraient pas perdurer.
Défis Le soutien mutuel et la solidarité nécessitent d’accepter de devoir en payer le prix dans certains cas. La démonstration de ce soutien et de cette solidarité doit aller au-delà des frontières de l’UE pour s’étendre à d’autres partenaires (au Canada par exemple, sur le dossier de la détention de Michael Kovrig et de Michael Spavor). Il s’agit de soutenir concrètement les États membres de l'UE, et les pays qui lui sont extérieurs. |
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L'(inter)dépendance entre l’UE et la Chine, fruit de leurs interactions économiques croissantes, constitue une menace potentielle pour la sécurité et le bien-être de l'Europe.
La présence économique grandissante de la Chine dans l'UE et dans son voisinage immédiat (par le biais d'investissements, d’approvisionnements clés ou la gestion d'infrastructures comme les ports, les réseaux électriques, l'approvisionnement en eau) est à l’origine d’un débat en Europe sur les risques d'une intégration économique croissante avec la Chine. Les plateformes numériques et les systèmes de paiement poseront également problème. L’implication de Huawei dans la construction des réseaux 5G et la pandémie de Covid-19 ont douloureusement démontré les dépendances de l’Europe à l’égard de la Chine et déclenché des craintes quant à la vulnérabilité des chaînes d'approvisionnement européennes, intensifiant les débats sur une Chine perçue comme une menace potentielle pour la sécurité et le bien-être européens. À cela s'ajoute la politique actuellement menée par les États-Unis, visant un découplage partiel avec la Chine dans certains secteurs technologiques essentiels, mais sans objectif final clair.
Le sujet englobe toutes les transactions économiques avec la Chine (investissements directs étrangers, commerce, approvisionnement et R&D) dans les infrastructures, les biens et technologies duales, les technologies émergentes et la protection des données. Même si l’Europe ne retient que l’hypothèse d’un découplage partiel, d’une diversification des chaînes d'approvisionnement pour atténuer ses dépendances et/ou d’une poursuite de la souveraineté européenne limitée à certains secteurs (télécommunications, intelligence artificielle, infrastructures critiques, industrie biomédicale), tout ceci aura un coût élevé. De la même manière que pour les projets d'économie verte, il convient ici d’évaluer l’ampleur de ces coûts.
Défis Comment réduire les écarts de compréhension au sein de l’UE et développer un cadre conjoint et complet de lignes directrices partagées, mises en œuvre par les États membres (à commencer par la France et l'Allemagne). |
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Lorsqu’ils s’engagent avec la Chine, l'UE et les États membres peinent à faire prévaloir leurs propres requêtes.
Le durcissement des positions des deux parties (à l'exception de quelques dossiers comme l'adhésion de principe à la COP21 et aux accords du JCPOA) remet en question la possibilité d’une politique d'engagement de l'UE avec la Chine. Le fossé sur des valeurs comme les droits de l'Homme a toujours existé. Mais la situation au Xinjiang et au-delà rend les implications concrètes de ce fossé plus urgentes encore. Le respect du droit international est désormais un enjeu de taille à Hong Kong. L'UE et les États membres restent, officiellement, déterminés à engager la Chine à tous les niveaux et sur tous les sujets. Compte tenu du rôle de cette dernière dans l'économie mondiale, dans les institutions internationales et sur les questions transversales, poursuivre le dialogue apparaît incontournable pour interpeller la Chine avec efficacité. Pour que cet engagement soit suivi d’effets, il est important de bénéficier d’une unité de vues entre Européens.
Au-delà d’un discours commun, nous sommes aujourd’hui confrontés à une nouvelle variante d’un vieux problème dans notre relation avec la Chine : autrefois, nous peinions à hiérarchiser nos propres demandes à son égard. Maintenant que la Chine répond ouvertement et en général par la négative à la plupart voire à la quasi-totalité de nos demandes, il s'agit désormais de hiérarchiser nos contre-mesures, de sélectionner ce qui est actuellement faisable et de nous efforcer à améliorer notre capacité d’influence dans un avenir proche.
Défis Comment identifier et nous accorder sur des domaines prioritaires où une contre-offensive peut permettre d’atteindre l’objectif souhaité ou est considérée comme nécessaire pour défendre les valeurs et les normes qui sont essentielles à l’UE. Cela pourra avoir un prix, qu’il s’agisse des sacrifices ou des concessions auxquels nous devrons consentir sur d’autres dossiers, ou des représailles à attendre de la part de la Chine : et ce surtout si l'UE envisage d’avoir recours à des sanctions ciblées en réaction à ses abus flagrants. |
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Les débats sur les institutions multilatérales et la politique d'alliance avec les États-Unis ont eu un impact négatif sur les relations transatlantiques.
Les divergences d'intérêt avec les États-Unis ne datent pas d’hier ; il se peut en réalité qu'il y ait actuellement davantage de consultations concernant certaines questions relatives à la Chine. Cependant, ces dernières années, les débats quant aux institutions multilatérales et à nos stratégies d’alliance ont éclipsé la relative convergence des opinions concernant les orientations chinoises à l’intérieur et à l’international. Cette situation et les différences de perception avec les États-Unis quant à nos valeurs ont eu un impact sur de larges pans de l'opinion publique européenne - dans certains cas, de manière presque aussi forte que le comportement autoritaire et agressif de la Chine elle-même. Les demandes adressées par les États-Unis à l'Union européenne ou aux États membres, les invitant à s'aligner sur l'agenda américain (y compris les menaces de sanctions secondaires, la fin de la coopération et du partage d'informations, etc.) n’ont en cela guère aidé. Créer de la confiance avec la nouvelle administration américaine en 2021 nécessitera un dialogue plus équilibré - ce qui implique également que l’UE soit capable de formuler ses propres besoins et recommandations.
Défis Comment renouveler la consultation et la coordination transatlantiques avec un agenda partagé et comment poursuivre ensemble des intérêts communs. |
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L’impulsion franco-allemande en faveur d'une "alliance pour le multilatéralisme" a reçu le soutien d'autres partenaires, mais pas encore celui de l'UE.
L'Allemagne et la France sont toutes deux déterminées à défendre et à réformer, si nécessaire, l'ordre international fondé sur des règles et les institutions internationales existantes, à l’image de l'OMC ou de l'OMS. Elles sont à l’initiative, comme objectif général, d’une "alliance pour le multilatéralisme". La France a progressé dans le domaine de la coopération en matière de sécurité dans la région indo-pacifique, avec l'Inde, l'Australie, le Japon et Singapour notamment. D'autres États membres de l'UE y ont occasionnellement participé, mais sans aucune coordination fructueuse au niveau de l'UE. Les "lignes directrices pour l'Indo-Pacifique" récemment adoptées par l’Allemagne mettent un accent complémentaire sur le développement durable et la lutte contre changement climatique. Mais elles promettent aussi davantage d'actions sur les questions de sécurité et promettent, avec la France (et d'autres États membres comme les Pays-Bas), d'œuvrer en faveur d’une position européenne sur l'Indo-Pacifique. Les lignes directrices envisagent une coopération accrue avec les partenaires de l'Indo-Pacifique comme le Japon, l'Australie, la Corée du Sud, l'Inde, mais aussi l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ANASE). Les Pays-Bas viennent tout juste de publier des lignes directrices comparables.
Défis Comment réformer l'OMC et d'autres organisations internationales, tout en se préparant à une situation où la Chine est susceptible de bloquer ces réformes au moyen de coalitions négatives. Comment assurer la concrétisation de ces objectifs dans l'Indo-Pacifique, y compris l'allocation des ressources nécessaires en France, en Allemagne et éventuellement au niveau de l'UE : la connectivité eurasiatique de l'UE n'a ciblé ni les régions maritimes ni les corridors Nord-Sud. Comment donner vie à "l’alliance pour le multilatéralisme" avec les partenaires de l’Asie-Pacifique et de l'Indo-Pacifique ? Comment l'associer à l'action d'acteurs non européens, comme les États-Unis, l'Inde, l'Australie et le Japon, sur des questions clés : coopération en matière de sécurité, technologie et innovation, questions numériques et cybernétiques, politiques climatiques. |
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