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05/02/2020

Union africaine : une présidence sud-africaine sous le signe de l’économie

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Union africaine : une présidence sud-africaine sous le signe de l’économie
 Dalila Berritane
Auteur
Contributrice sur les questions africaines

Après l’Égypte, c’est l’Afrique du Sud qui présidera l’Union africaine (UA) pour un an. La décision sera entérinée lors du Sommet des chefs d’État africains du continent, réunis les 9 et 10 février à Addis Abeba, où se trouve le siège de l’UA.

Après l’Égypte, l’Afrique du Sud prend la tête de l’Union africaine

La présidence égyptienne n’aura pas véritablement marqué les esprits en terme de rayonnement du continent africain à travers le monde, ou même en Afrique. On s’y attendait. L’Égypte est un pays aux confins de multiples cultures, dont l’une - la culture arabo-musulmane - la pousse à entretenir des relations étroites avec les pays de la péninsule arabique. Le Caire vit son africanité essentiellement avec ses plus proches voisins avec qui elle a des intérêts parfois antagonistes, comme avec l’Éthiopie à propos du partage des eaux du Nil. Les autres pays, en particulier ceux de la façade atlantique du continent africain, sont souvent éloignés de ses préoccupations.
 

Pretoria, au lendemain de la fin de l’apartheid, a toujours espéré jouer un rôle central sur le continent africain.

Le positionnement de l’Afrique du Sud est différent. Pretoria, au lendemain de la fin de l’apartheid, a toujours espéré jouer un rôle central sur le continent africain. Une position de leader naturel en quelque sorte, disputée avec le Nigeria, que l’Afrique du Sud n’a pas réussi à tenir. En effet, les Sud-Africains ont connu des crises politiques et économiques importantes tout au long de la dernière décennie, qui les ont maintenus dans leur zone d’influence, en Afrique australe.

Priorité donnée à l’économie

Alors quels objectifs pour l’Afrique du Sud à la tête de l’UA ? Les ambitions de la première puissance économique du continent (qui représente environ 24 % du PIB africain) seront avant tout d’ordre économique. En effet, le Président sud-africain Cyril Ramaphosa a placé son mandat sous le signe d’un double objectif : consolider et faire en sorte que la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) devienne une réalité. Il attend beaucoup de cette zone de libre-échange en matière de croissance et de création d’emplois.

Il faut dire que l’Afrique du Sud en a bien besoin. Elle peine à sortir du marasme économique dans lequel elle est engluée depuis des années. En 2020, selon les prévisions du FMI, le pays pourrait connaître une croissance de moins de 1 % ou 1,2 % selon la Banque centrale sud-africaine. Impossible avec un tel taux de croissance de faire baisser la pauvreté dont bon nombre de Sud-Africains souffrent. Et les deux fleurons de l’économie sud-africaine, la compagnie d’électricité Eskom et la compagnie aérienne South African Airways ne pourront pas être d’un très grand secours pour les comptes de l’État, bien au contraire, car elles sont elles-mêmes en difficulté.

Sans compter les conséquences du changement climatique, véritable bombe à retardement pour la région avec des perspectives néfastes notamment pour les récoltes. Selon les Nations Unies, 45 millions de personnes en Afrique australe seraient menacées de famines dans les prochaines années, en raison de sécheresses à répétition, de cyclones et de pluies diluviennes.

Second axe de travail pour la présidence sud-africaine à la tête de l’UA : l’autonomisation des femmes dans toutes les sphères de la vie et notamment à travers l’entrepreneuriat. Depuis le milieu des années 1990, le continent africain a fait de multiples déclarations en ce sens et a inscrit l’égalité homme-femme comme l’une de ses priorités. Si beaucoup a été fait en la matière, il reste encore du chemin à parcourir.

Une présidence à l’épreuve des conflits

Le Président sud-africain se rêve aussi en faiseur de paix. En effet, début janvier, lors de la visite du Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed à Pretoria, il lui a été demandé de jouer les facilitateurs pour régler le différend avec l’Égypte à propos de la construction par l’Éthiopie sur le Nil bleu d’un grand barrage hydroélectrique, surnommé "barrage de la Renaissance".

Le Président sud-africain se rêve aussi en faiseur de paix.

Cyril Ramaphosa a également indiqué récemment qu’il espérait "faire taire les armes" en Libye, un pays avec lequel les relations sont historiques. En effet, la Libye de Kadhafi a longtemps financé les militants de l’African National Congress (ANC) dans leur combat contre l’apartheid. Nelson Mandela, peu après sa libération, s’était d’ailleurs rendu à Tripoli le 23 octobre 1997 pour remercier "son frère" Kadhafi, au grand dam des États-Unis et des Nations Unies qui avaient imposé un embargo à la Libye.

Depuis, les relations sont restées ambivalentes. L’Afrique du Sud a voté en 2011 au Conseil de sécurité des Nations Unies l’entrée en guerre contre la Libye - espérant décrocher en échange un siège au Conseil de sécurité de l’ONU. Quant à l’ex-chef de l’État sud-africain, Jacob Zuma, il est soupçonné d’avoir entreposé dans sa résidence privée au Kwazulu Natal, dans l’est du pays, une partie de l’argent du dictateur libyen après sa mort en 2011, soit l’équivalent de 27 millions d’euros. Allégation que Zuma a toujours démentie. Son successeur à la tête de l’État sud-africain aurait été prié par les autorités libyennes de récupérer cet argent pour le leur remettre. Par ailleurs, l’ancien argentier de Kadhafi, Béchir Salah, que la justice française souhaite entendre sur l’affaire du financement de la campagne électorale de Nicolas Sarkozy, est exilé en Afrique du Sud depuis 7 ans. En 2018, il a été blessé par balles, sans que l’on sache avec certitude s’il s’agissait d’une agression crapuleuse ou d’une tentative d’assassinat.

Cette année à la tête de l’Union africaine s’annonce chargée pour le Président  Ramaphosa, qui devra encore convaincre ses pairs de la bonne foi "panafricaine" de l’Afrique du Sud, après la vague de violences xénophobescontre d’autres Africains qui a secoué le pays en septembre 2019. Des violences qui ont suscité des protestations sans précédent des pays dont les ressortissants ont été attaqués et ont terni l’image de l’Afrique du Sud sur le continent.

 

Copyright : Ludovic MARIN / POOL / AFP

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