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21/02/2022

Ukraine : Poutine se trompe de cible

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Ukraine : Poutine se trompe de cible
 Dominique Moïsi
Auteur
Conseiller Spécial - Géopolitique

Se pourrait-il qu'en voulant redessiner les contours de l'Europe à son profit, Poutine ait renforcé le camp de son principal adversaire, la démocratie, et cela à ses frontières ? interroge Dominique Moïsi. Ce n'est pas la présence des armes occidentales qui menace Moscou, c'est l'idée de liberté.

Retrouvez la timeline de l’Institut Montaigne dédiée à remonter le temps et saisir la chronologie du conflit.

Si les Russes ont vraiment reculé - mais les photos satellitaires et la multiplication des attaques cyber qui ont accompagné le prétendu retrait de certaines unités blindées - justifient tous les doutes - quelle en est vraiment la raison ? Est-ce bien l'unité des Occidentaux qui a fait reculer la Russie ? Ou bien est-ce le respect de ses nouveaux alliés Chinois qui a poussé Moscou à attendre la fin des Jeux Olympiques pour continuer à dépecer l'Ukraine ? L'histoire nous le dira très vite.

Pour le moment, si elle n'était potentiellement tragique et terriblement dangereuse pour la sécurité du monde, la crise ukrainienne serait pleine d'ironie et de paradoxes. En effet, au nom du refus absolu de l'entrée de l'Ukraine dans l'Otan, Poutine a poussé Kiev dans les bras de l'Occident et plus spécifiquement de l'Europe. Jamais sans doute face aux pressions et menaces de la Russie, une majorité aussi large d'Ukrainiens ne s'est-elle sentie aussi européenne.

La vraie menace : l'exemplarité de la démocratie à ses frontières

Poutine a poussé Kiev dans les bras de l'Occident et plus spécifiquement de l'Europe.

En 2014 alors que le peuple occupait la Place Maïdan - dans un mouvement qui aboutit à la chute du gouvernement pro-russe qui s'opposait au rapprochement entre Kiev et Bruxelles - un de mes anciens étudiants ukrainiens au Collège d'Europe à Natolin (Varsovie) m'avait joint sur mon portable. Il souhaitait m'expliquer le sens de son engagement : "J'ai le choix entre un futur à la Biélorusse ou à la Polonaise" me disait-il.

"Comment pourrais-je avoir la moindre hésitation ? En 1990 les revenus moyens des Ukrainiens et des Polonais étaient identiques. Un peu plus de trente ans plus tard, les Polonais sont grâce à leur entrée dans l'Union Européenne, trois fois plus riches que les Ukrainiens".

Aujourd'hui encore, en dépit du raidissement politique incontestable intervenu en Pologne, les Ukrainiens votent avec leurs pieds et continuent par milliers à trouver du travail sinon un refuge en Pologne.

Se pourrait-il qu'en voulant redessiner les contours de l'Europe à son profit, la Russie de Poutine ait politiquement figé davantage encore les divisions existantes et renforcé le camp de son principal adversaire, la démocratie, et cela à ses frontières ? Poutine se serait-il trompé de cible en mettant l'accent sur la problématique de l'Otan ? Ce n'est pas la présence des armes occidentales à ses frontières qui menace Moscou, c'est l'idée de liberté : c'est l'exemplarité d'une quasi normalité démocratique.

Ce n'est pas la présence des armes occidentales à ses frontières qui menace Moscou, c'est l'idée de liberté.

Et si la "Petite Russie" - l'expression classique russe pour décrire l'Ukraine - devenait un modèle pour la "Grande Russie" ?

Poutine pratique le jeu de montagne russe émotionnel

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, l'URSS voulait étendre son idéologie, soit par l'intermédiaire de partis communistes totalement inféodés à sa cause, soit s'il le fallait, par l'intervention de ses chars qui n'étaient qu'à "deux étapes du tour de France cycliste" pour reprendre l'expression du Général de Gaulle formulée en 1947. L'homme du 18 Juin n'avait aucune illusion sur les intentions de Moscou. Il traitait avec la Russie éternelle.

Aujourd'hui les héritiers de l'URSS ne veulent pas étendre leur idéologie - ils n'en ont plus - même s'ils décrient la décadence de la démocratie à l'occidentale. Ils sont motivés par la tradition impériale russe et entendent retrouver, sinon élargir leur sphère d'influence en formulant des exigences totalement inacceptables comme le retrait des troupes occidentales des pays de l'Est de l'Europe membres de l'Otan.

Il y a un risque à pratiquer - comme Poutine semble y prendre goût - un jeu de montagne russe. 

Au moment de la crise des missiles de Cuba en Octobre 1962, les règles de l'escalade étaient comme encadrées par une perception claire de ce qui était en jeu à l'heure de l'équilibre de la terreur : la survie de la planète. Soixante ans plus tard, la conscience de ces règles semble avoir disparu. Et il n'est pas sûr que Poutine soit, comme Khrouchtchev, un homme finalement responsable.

 

Avec l’aimable autorisation des Echos, 21/02/2022.

Copyright : ALAIN JOCARD / AFP

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