AccueilExpressions par MontaigneTrump à Paris : le message de Macron à l’AmériqueL'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.03/07/2017Trump à Paris : le message de Macron à l’AmériqueImprimerPARTAGERAuteur Dominique Moïsi Conseiller Spécial - Géopolitique Moyen-Orient, Europe, Amérique, Asie,... Dominique Moïsi, conseiller spécial de l'Institut Montaigne, analyse chaque semaine l'actualité internationale pour les Echos.Comme il a rencontré Vladimir Poutine à Versailles Emmanuel Macron a raison de recevoir Donald Trump à Paris. Aux deux hommes, il convient de rappeler que l'ouverture sur le monde a fait la grandeur de leurs pays." Il n'est d'histoire que contemporaine ", disait le philosophe italien Benedetto Croce. Mais s'il est inévitable que les historiens interrogent le passé avec les questions du présent, il est dangereux que le présent prenne le passé en otage. C'est ce qui s'est produit en 1995. On se demandait alors, en pleine guerre en Tchétchénie, s'il convenait d'aller à Moscou pour commémorer le cinquantième anniversaire de la victoire sur l'Allemagne nazie. La question est reposée en des termes proches aujourd'hui. Donald Trump vient de prendre la décision irresponsable de retirer son pays des Accords de Paris sur le climat et, pour le récompenser, on l'inviterait au défilé du 14 Juillet ?Pour l'auteur de ces lignes, il n'existe pas le moindre doute. Il fallait aller à Moscou hier et il faut accueillir Donald Trump à Paris aujourd'hui pour célébrer le centième anniversaire de l'entrée des troupes américaines dans la Première Guerre mondiale.La contribution de l'URSS a été décisive pendant la Seconde Guerre mondiale, et l'entrée des États-Unis a très probablement changé le cours de la Première. L'année 1917 était particulièrement tragique. Avec la montée des pertes humaines, produit de stratégies militaires inadaptées, le doute et le découragement s'installaient dans les esprits. L'entrée des Américains dans le conflit allait plus que compenser le retrait des Russes, qui suivit le renversement du régime tsariste. Qui sait quels auraient été le calendrier et l'issue de la guerre sans l'apport des troupes américaines ?Oublier tout cela, au nom de considérations politiciennes ou purement idéologiques, c'est ignorer le sacrifice de tant de jeunes Américains pour une terre et une cause dont ils ignoraient le plus souvent tout.Recevoir Trump, ce n'est pas s'aligner sur ses positions, c'est au-delà de la commémoration du passé, intégrer le fait qu'il est probablement là pour durer encore près de quatre ans, et qu'il est donc préférable de nouer une relation personnelle avec lui. C'est aussi faire le pari qu'il peut-être influençable, précisément parce qu'il est narcissique, imprévisible et contradictoire, parfois jusqu'à l'incohérence.Une telle vision est logique. Elle présuppose néanmoins que l'Amérique de Trump soit prête et désireuse de jouer le jeu, et ce en particulier sur le plan des valeurs. Cette année à la réception commémorant la fête nationale, à la résidence de l'ambassadeur des États-Unis à Paris, on commémorait bien sûr ce centième anniversaire du " Jour de l'Indépendance " (Independence Day). Une armée de figurants en uniformes d'époque se mêlait à la foule des invités et faisait ressortir le contraste existant entre la grandeur des sacrifices du passé et les mesquines réalités du présent. Aucun ambassadeur n'a encore été nommé à Paris, pas plus d'ailleurs qu'à Londres ou dans la majeure partie des grandes capitales mondiales et en cette occasion solennelle - en dépit du talent de la chargée d'Affaires Uzra Zeya - l'ambassade semblait une coquille vide.Mais évoquer les valeurs du passé ne saurait faire de mal. On peut même penser que ce schéma s'inscrit dans une stratégie diplomatique globale. A Versailles, Emmanuel Macron rappelait à Vladimir Poutine qu'il était l'héritier de Pierre le Grand et qu'il pouvait mettre ses pas dans ceux de son illustre prédécesseur en choisissant, comme lui, l'ouverture à l'Ouest.A Paris, le 14 juillet, faire défiler ensemble les troupes françaises et américaines sur les Champs-Elysées, c'est, pour la France de Macron, rappeler aux États-Unis de Trump qu'il fut un temps où l'Amérique était grande, ouverte sur le monde et généreuse. Et si l'Amérique refusait d'entendre ce message, la cérémonie de commémoration d'un passé commun pourrait toujours prendre l'allure d'un passage symbolique de témoin, Paris disant à Washington : " Vous ne voulez plus incarner les valeurs de l'universalisme et la pratique du multilatéralisme. Très bien, j'en prends acte : acceptez que nous reprenions ce flambeau au nom de l'Europe, même si nous sommes bien conscients que nous ne disposons pas des moyens qui sont les vôtres. "Réinscrire la relation franco-américaine dans l'Histoire (avec un grand H) est d'autant plus nécessaire que les risques de dérapage du présent sont multiples. Il y a quelques jours, je participais à Venise à une rencontre entre Italiens et Américains. L'un des hôtes d'honneur était un des dirigeants d'une fondation américaine très conservatrice. Il défendait la politique de Donald Trump et admonestait les Européens de la manière la plus brutale. " Si vous continuez à nous critiquer et à nous humilier comme vous le faites, disait-il, nous deviendrons pires encore et nous vous laisserons entre vous. Souhaitez-vous vraiment vous retrouver seuls face à une Allemagne toujours plus puissante ? " Ce républicain, à la veille du 70e anniversaire du plan Marshall, avait visiblement oublié tout ce que l'Amérique avait fait pour contribuer à la réconciliation entre nations européennes au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.Il y a bien sûr également une rationalité politique, et pas seulement symbolique, à accueillir à Paris Donald Trump, avant qu'il ne se rende à Londres ou même à Berlin. Il s'agit " en passant ", profitant du calendrier, de montrer aux Britanniques que leur choix du Brexit, pourtant si loué par le candidat Trump, ne leur garantit pas le maintien d'une " relation spéciale " avec Washington. Et de signifier aussi à Berlin que Paris renaît.En diplomatie, il existe incontestablement un bon usage de l'Histoire. Recevoir Poutine à Versailles, inviter Trump pour le défilé du 14 juillet, tout cela s'inscrit dans une cohérence stratégique que l'on peut résumer ainsi : utiliser les avantages comparatifs de la France, " la pompe et la gloire du passé " et la présence de ses armées sur de nombreux théâtres d'opérations dans le monde pour lui faire retrouver un peu du rang et de l'influence qui furent siennes. Cela ne " marchera " bien sûr que si les réformes économiques suivent et réussissent.Du même auteur :La descente aux enfers du VenezuelaLa politique étrangère ou l’art de ne pas choisir son campImprimerPARTAGER