AccueilExpressions par Montaigne[Trump II] - Dans le Golfe, l’art du deal dans le désertLa plateforme de débats et d’actualités de l’Institut Montaigne États-Unis et amériques16/05/2025ImprimerPARTAGER[Trump II] - Dans le Golfe, l’art du deal dans le désertAuteur Jean-Loup Samaan Expert Associé - Moyen-Orient Découvreznotre série Présidentielle américaine : Trump IIQue retenir de la visite de Donald Trump dans le Golfe, du 13 au 16 mai ? Les contrats signés en matière d'IA et de défense confirment que, dans les relations internationales, c'est l'approche commerciale qui prévaut et questionnent la place respective des Européens et de la Chine. Sur les dossiers diplomatiques, quel sera l'impact de la levée des sanctions en Syrie ? Que révèlent de l'alliance avec Israël les évolutions relatives au nucléaire iranien ou le cessez-le-feu avec les Houthis ? Par Jean-Loup Samaan.La visite de Donald Trump dans la péninsule arabique du 13 au 16 mai a permis au président américain de réaffirmer son image internationale après l’épisode chaotique - et inachevé - de la guerre tarifaire le mois dernier. Ainsi que lors de son premier mandat, le locataire de la Maison Blanche a choisi les monarchies du Golfe comme première destination d’un déplacement à l’étranger (si l’on exclut sa présence aux funérailles du pape François à Rome le 26 avril). Loin d’être anodin, ce choix de l’administration Trump donne à voir ses préférences diplomatiques : la relation privilégiée entretenue avec les "hommes forts" du Golfe ; la priorité donnée à la diplomatie transactionnelle faite de contrats et de promesses d’investissements ; enfin, une volonté du président américain de s’affranchir des présupposés de l’establishment politique de Washington sur des sujets tels que la levée des sanctions contre le régime syrien ou encore l’accord d’un cessez-le-feu partiel avec les Houthis yéménites. En d’autres termes, ce voyage permet de saisir la logique (car il y en a une) de la nouvelle politique de Donald Trump au Moyen-Orient.Une diplomatie des contrats décomplexéeAvant même le départ de Donald Trump pour l’Arabie Saoudite, la Maison Blanche avait annoncé que le séjour serait marqué par de nombreuses annonces commerciales. La séquence était attendue et devait faire oublier la gestion catastrophique de la guerre tarifaire décidée le 2 avril dernier lors de "Liberation Day". L’avalanche de contrats signés à Riyadh (600 milliards de dollars promis), Doha (243 milliards) et Abu Dhabi (200 milliards) a ainsi confirmé la densité des relations économiques entre les États-Unis et les pays du Golfe, mais elle a aussi permis à Trump de se présenter de nouveau comme le Président des deals réussis. Les annonces ont porté sur les ventes d’armes et l’intelligence artificielle, deux secteurs clés des échanges entre les États-Unis et le Golfe.Plus spécifiquement, les annonces ont porté sur les ventes d’armes et l’intelligence artificielle, deux secteurs clés des échanges entre les États-Unis et le Golfe. Riyad s’engage ainsi à acheter du matériel de l’industrie de défense à hauteur de 142 milliards de dollars.Le montant est présenté comme un "record" des deux côtés et agrège des contrats allant de la défense aérienne aux systèmes de communication maritimes. Les responsables américains et saoudiens auraient par ailleurs discuté de la possibilité de vendre l’avion de combat F-35 au Royaume. Au Moyen-Orient, seul Israël dispose à ce jour du fleuron de l’industrie aéronautique américaine (des négociations avec les Émirats avaient été lancées mais sont suspendues depuis 2022).Cet ensemble de contrats confirme la suprématie américaine sur les marchés d’armement dans la région. Pour l’Arabie Saoudite, c’est aussi un signal politique quant à sa volonté de se maintenir dans l’orbite américaine, en dépit de sa coopération de défense grandissante (mais bien moins structurante) avec la Chine. En creux, ces ventes pourraient être aussi de mauvaise augure pour les industriels de défense européens soucieux de préserver leur présence dans la péninsule arabique.Le secteur de l’IA a également fait l’objet d’annonces majeures. Avant même le début du voyage, la Maison Blanche avait annoncé l’annulation d’une directive de l’administration Biden de décembre 2024 qui restreignait l’accès des monarchies du Golfe aux semi-conducteurs produits aux États-Unis. Le gouvernement américain avait justifié ces restrictions en raison de la proximité jugée trop grande entre les pays du Golfe et la Chine dans le secteur de l’IA.La suspension de cette mesure a été accueillie avec enthousiasme par les monarques arabes et les représentants de la tech américaine. Dans la foulée, la startup saoudienne dédiée à l’IA, "Humain", a confirmé la signature de vastes contrats avec les géants américains Nvidia et AMD. À Abu Dhabi, les annonces ont aussi afflué, notamment avec la signature d’un accord avec les États-Unis pour l’ouverture à Abu Dhabi d’un gigantesque data center sur 26 km2 (le plus grand au monde hors États-Unis).Privilégiant la communication autour de ces transactions, Trump et les membres de son administration n’ont accordé aucune importance à la question des droits de l’homme dans des monarchies absolues qui n’hésitent pas à emprisonner leurs opposants politiques. S’il est de rigueur pour un chef d’État américain de réaffirmer son attachement aux libertés publiques lors de tels déplacements, le sujet a été totalement écarté. Dans un de ses discours, Trump est même allé jusqu’à railler les "nation-builders" et les "néoconservateurs" qui viennent donner des leçons aux dirigeants arabes.Cette évacuation de la problématique démocratique dans la péninsule arabique peut choquer en Europe mais le discours de Trump a été relativement bien accueilli dans le monde arabe. Les dirigeants et une partie de la société civile y voient un discours de vérité, dépourvu de l’hypocrisie associée à l’administration Biden, perçue comme moralisatrice sur les régimes arabes mais détournant le regard face aux crimes de guerre israéliens à Gaza.Cette évacuation de la problématique démocratique dans la péninsule arabique peut choquer en Europe mais le discours de Trump a été relativement bien accueilli dans le monde arabe.Cette diplomatie des contrats s’apparente aussi très souvent à une diplomatie des faveurs et des conflits d’intérêts. La couverture médiatique s’est focalisée sur l’annonce d’un "cadeau" du Qatar à la Maison Blanche d’un Boeing 747 qui devrait servir de nouvel avion présidentiel et dont la valeur est estimée à 357 millions d’euros.Interrogé sur les risques de collusion, Trump a simplement rétorqué aux médias américains qu’il serait "stupide" de refuser un tel cadeau. Cet épisode a fait beaucoup parler mais en réalité, il n’est pas inédit (Doha avait offert le même avion au président turc Erdogan en 2018). Il s’apparente à la pointe d’un iceberg que constituent les relations d’affaires tissées par Donald Trump, sa famille et ses proches conseillers, avec les familles régnantes du Golfe. Entre autres cas, Jared Kushner, le gendre du président et son ancien conseiller durant le premier mandat, est aujourd’hui à la tête d’un fonds de private equity qui a reçu au moins 3,5 milliards de dollars de fonds souverains saoudiens et émiriens. L’Arabie Saoudite est aussi le second investisseur (16,9 %) du réseau social X d’Elon Musk (qui accompagnait Donald Trump durant le séjour).L’étendue des capitaux du Golfe dans les secteurs stratégiques américains leur confère ainsi une influence sans pareil à Washington. Celle-ci s’exprime aujourd’hui sur plusieurs dossiers diplomatiques, à commencer par la Syrie.Le pari syrienSi l’avalanche de contrats durant le voyage de Donald Trump était attendue, l’annonce d’une levée des sanctions américaines contre la Syrie a constitué une véritable surprise. Elle a été suivie d’une rencontre publique entre Donald Trump et le leader syrien Ahmed Al-Charaa à Riyad. À son issue, le président américain a qualifié l’ancien chef terroriste d’"homme jeune, séduisant et solide" et disposant d’une "vraie chance" pour stabiliser son pays.Jusqu’ici, l’administration américaine n’avait pas exprimé sa volonté de mettre un terme à ce régime de sanctions, mis en place il y a 45 ans et renforcé durant la dernière décennie pour isoler l’ancien dictateur Bachar al Assad. Le maintien des sanctions américaines constituait un frein majeur à la reconstruction du pays, et en particulier à l’afflux d’investissements de pays du Golfe. Craignant d’être pénalisés par ces mesures, Riyad, Doha et Abu Dhabi restaient dans l’expectative. En ce sens, la décision de Trump a très certainement été inspirée par les efforts des monarchies arabes pour convaincre Washington de lever ces sanctions. Cette mesure a été suivie d’effets immédiats : deux jours plus tard, le gouvernement syrien signait un accord de 800 millions de dollars avec DP World, la compagnie portuaire de Dubaï pour le développement du port méditerranéen de Tartous.Si la décision prise par Donald Trump a été suivie de réactions positives dans les chancelleries arabes et d’explosions de joie au sein de la population syrienne, les réactions sont beaucoup plus mitigées à Washington. L’administration Biden n’avait eu à gérer la transition politique syrienne que quelques semaines et s’était contentée d’une exemption temporaire des sanctions à titre humanitaire. Dans le jeu politique intérieur, les représentants démocrates et républicains sont peu enclins à se montrer conciliants avec un gouvernement qui reste in fine formé d’anciens cadres de la branche syrienne d’Al Qaïda. En ce sens, la décision souligne la facilité insouciante avec laquelle Trump s’affranchit des positions dominantes du foreign policyestablishment de Washington.Le maintien des sanctions américaines constituait un frein majeur à la reconstruction du pays, et en particulier à l’afflux d’investissements de pays du Golfe.Il reste à savoir comment cette annonce se traduira dans les faits. En règle générale, les sanctions économiques américaines se révèlent plus faciles à mettre en place qu’à supprimer, comme en témoigne le maintien de l’embargo contre Cuba depuis 1958. Le démantèlement de mesures, pour certaines très anciennes, risque de prendre du temps.Une partie de ces sanctions à supprimer nécessitera des décisions au niveau du Congrès. Si la majorité républicaine n’a montré aucun désir de freiner les ardeurs du président depuis son investiture, elle pourrait rechigner et ralentir le processus par le biais de lentes procédures de vérification. Rien ne garantit que Trump et son équipe s’assurent dans la durée du bon déroulement de celles-ci.L’inconnue iranienneL’autre grand dossier politique au cœur de la visite de Donald Trump dans la région portait sur les négociations avec l’Iran en vue de la signature d’un nouvel accord nucléaire. Ici aussi, Trump et ses partenaires du Golfe ont opéré un revirement spectaculaire.En 2018, la première présidence Trump avait mis un terme à l’engagement américain dans le cadre de l’accord conclu par l’administration Obama. Ce retrait avait été suivi d’une stratégie dite de "pression maximale" consistant à renforcer les sanctions économiques contre Téhéran pour mettre à terre le régime.À l’époque, les Émiriens et les Saoudiens soutenaient ardemment cette approche américaine avant d’en constater les limites et de décider, en 2020, de rétablir un dialogue avec le régime iranien. Ce rapprochement s’était traduit par un accord de réconciliation entre l’Arabie Saoudite et l’Iran signé à Pékin en mars 2023. Pour sa part, l’administration Biden avait investi quelques espoirs dans la reprise de négociations avant que les attaques du Hamas en Israël le 7 octobre 2023 et la guerre de Gaza ne relèguent celles-ci au second plan.Contre toute attente (y compris dans le camp républicain), Trump n’entend pas revenir à sa politique de la "pression maximale". Depuis plusieurs mois, il rejette les rumeurs selon lesquelles il soutiendrait des frappes israéliennes contre le programme nucléaire iranien. Son envoyé pour le Moyen-Orient, Steve Witkoff, multiplie les signaux positifs sur la conclusion imminente d’un nouvel accord. Plusieurs séries de négociations ont déjà été conduites à Oman. À ce stade, les Américains et les Iraniens semblent accepter le principe d’un programme d’enrichissement de l’uranium qui serait ramené à un taux de 3.75 % - le niveau convenu par l’accord de 2015. Téhéran s’engagerait par ailleurs à ne pas entretenir d’ambitions militaires en la matière.Malgré l’optimisme des déclarations de l’administration américaine, il subsiste de nombreuses zones d’ombre, qu’il s’agisse des modalités de vérification de l’accord, du processus de démantèlement des sanctions économiques, ou encore du programme balistique iranien. Celui-ci avait été exclu de l’accord de 2015, suscitant les critiques du camp républicain à l’époque. Cette séquence diplomatique confirme une révision majeure de la politique américaine à l’égard du régime iranien.In fine, le séjour de Donald Trump dans la région n’a pas pu s’achever sur la déclaration d’un accord avec l’Iran, comme le leader américain l’aurait très certainement souhaité. Néanmoins, cette séquence diplomatique confirme une révision majeure de la politique américaine à l’égard du régime iranien.En outre, cette inflexion est soutenue par des partenaires saoudiens et émiriens qui ont également à cœur de stabiliser leurs relations avec Téhéran.Une relation américano-israélienne fragiliséeLa visite de Donald Trump au Moyen-Orient a été aussi et surtout marquée par les sujets qui n’ont pas, ou peu, été abordés, et en particulier la relation avec Israël. Avant même le départ du chef de l’État américain, les signaux étaient négatifs. Soucieuse du bon déroulement du voyage présidentiel, la Maison Blanche avait conclu un cessez-le-feu quelques jours auparavant avec les Houthis au Yémen. Après deux mois d’intense campagne aérienne américaine contre le groupe armé, les deux parties ont accepté soudainement un accord qui stipule un arrêt des frappes des Houthis en mer Rouge. Néanmoins, le cessez-le-feu exclut explicitement les attaques des Houthis contre Israël, celles-ci continuant avec notamment des frappes balistiques répétées sur l’aéroport de Tel Aviv. En d’autres termes, Washington se désolidarise ouvertement de l’État hébreu vis-à-vis des Houthis.Le cessez-le-feu en mer Rouge reste fragile et au moindre regain de tension, l’administration Trump pourrait rapidement le déclarer caduque. Néanmoins, il donne à voir une prise de distance surprenante entre les gouvernements américain et israélien. Celle-ci s’ajoute à l’éventualité d’un accord nucléaire iranien qui constituerait un désaveu de Trump à l’égard du premier ministre Benjamin Netanyahou.De même, l’idée d’un processus de normalisation entre l’Arabie Saoudite et Israël, poussée ardemment par Joe Biden tout au long de son mandat et espérée par beaucoup d’Israéliens, a été évacuée du programme de la visite de Donald Trump. Ainsi les annonces relatives aux investissements saoudiens ainsi qu’à un soutien américain au programme nucléaire de Riyad ont été dépourvues de références à un accord avec Israël.La marginalisation de la question israélienne est aussi la conséquence de la stratégie du gouvernement Netanyahu à Gaza avec l’annonce d’un nouveau plan d’invasion du territoire palestinien qui laisse présager une occupation militaire à long terme. Selon les éléments de langage en provenance de Jérusalem, cette escalade permettrait de mettre une pression décisive sur le Hamas pour qu’il s’effondre et libère les derniers otages israéliens (35 selon les estimations officielles). Or, signe que Washington ne semble plus croire en l’approche Netanyahou, l’administration Trump a négocié directement avec le Hamas la libération du dernier otage israélo-américain vivant, Edan Alexander.Il ne faut pas surestimer l’importance de cette prise de distance de Washington à l’égard de l’allié israélien. La rencontre entre Trump et le président syrien Al Charaa s’est accompagnée d’une promesse d’entamer des discussions sur une possible normalisation des relations entre Damas et l’État hébreu. Trump a lui-même démenti qu’Israël était mis de côté par sa politique régionale. Il a par ailleurs répété son souhait de voir les États-Unis "prendre" Gaza et en faire une "zone libre" (freedom zone).Le nouveau Donald Trump veut tourner la page des guerres en cours, de Gaza à l’Ukraine et conclure (le plus rapidement possible) un accord avec l’Iran.La guerre permanente que Benjamin Netanyahou promet aux Israéliens lui permet de maintenir une coalition gouvernementale nécessaire à sa survie politique. Mais la fuite en avant du premier ministre fragilise sa position vis-à-vis d’un Donald Trump qui n’est plus le même qu’entre 2017 et 2021. Le nouveau Donald Trump veut tourner la page des guerres en cours, de Gaza à l’Ukraine et conclure (le plus rapidement possible) un accord avec l’Iran.Comme en témoigne ce voyage dans le Golfe, tout cela doit lui permettre de se consacrer à la signature de contrats de plusieurs milliards de dollars et d’endosser les habits d’un président de la paix (et recevoir, enfin, le prix Nobel qu’il estime mériter). Copyright image : Brendan Smialowski / AFP Donald Trump et le prince d’Arabie Saoudite, Mohammed Ben Salman, à Riyad, le 14 mai 2025.ImprimerPARTAGERcontenus associés 12/05/2025 [Trump II] - Nouvelle géographie du pouvoir à Washington DC Jonathan Guiffard 30/04/2025 [Trump II] - Cent jours pour un chaos Amy Greene 29/04/2025 [Trump II] - 100 jours, mot à maux ? Institut Montaigne