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17/03/2022

Souveraineté énergétique européenne : en finir avec le nucléaire honteux

Souveraineté énergétique européenne : en finir avec le nucléaire honteux
 Cécile Maisonneuve
Auteur
Experte Associée - Énergie, Territoires, Développement durable
 Benjamin Fremaux
Auteur
Expert Associé - Énergie

Dénucléarisation versus décarbonation : depuis dix ans, l’Europe se déchire entre ces deux options, incarnées, pour la première, par l’Allemagne, pour la seconde, par la France. L’absence de toute mention de l’énergie nucléaire dans le plan REPowerEU présenté le 8 mars 2022 par la Commission européenne pour réduire la dépendance de l’Union au gaz russe s’analyse comme un nouvel avatar de cette tension non résolue.

Ce débat doit être rapidement tranché dans le nouveau contexte géopolitique ouvert par l’invasion de l’Ukraine par la Russie, d’autant qu’un troisième terme, latent mais jamais traité sérieusement depuis la crise ukrainienne de 2014, s’impose progressivement dans le débat : celui de notre indépendance énergétique. 

L’Union européenne doit reconstruire sa politique énergétique en priorisant l’indépendance vis-à-vis de la Russie et la décarbonation, la dénucléarisation devant être une option parmi d'autres, accessible aux États-membres qui la souhaiteront et le pourront.

Pour sortir de la dépendance au gaz russe, le plan RePowerEU mobilise tous les leviers…sauf l’énergie nucléaire

L’Union européenne traverse aujourd’hui une crise énergétique majeure, liée à sa dépendance au gaz russe. Si le gaz est au centre des questions énergétiques européennes, c’est d’abord parce que c’est la deuxième source d’énergie la plus consommée en Europe (22 % selon Eurostat) et notamment la deuxième source de production d’électricité (19 % en 2021). C’est ensuite lié à la diversité de ses usages, qui touchent à la vie quotidienne (chauffage des bâtiments) et à la puissance industrielle du continent (processus industriels, vapeur, etc). Enfin, le sujet du gaz est central parce que l’Allemagne, la plus grande puissance économique de l’Union, est concernée au premier chef : elle importe plus de la moitié de son gaz de Russie et est, en volume, de très loin le plus gros consommateur de gaz russe.

La Commission européenne a pris la mesure de cette urgence en présentant, le 8 mars 2022, le plan RePowerEU, qui avance une stratégie de réduction de la dépendance au gaz russe des deux tiers en un an et esquisse l’objectif d’une suppression totale de la dépendance aux énergies fossiles russes à l’horizon 2030. Elle propose de mobiliser plusieurs leviers de politique énergétique  : diversification des fournisseurs de l’Union, notamment par un accroissement de la part du gaz naturel liquéfié dans ses approvisionnements en gaz ; investissements massifs dans les énergies renouvelables ; accélération des politiques d’efficacité énergétique. 

Curieusement, ce plan est muet sur l’option électronucléaire. À cet égard, il contraste avec le plan en dix points présenté quelques jours auparavant par l’Agence internationale de l’énergie (AIE), susceptible de réduire la demande de gaz russe soit d’un tiers en un an (scénario permettant également de maintenir le rythme de baisse des gaz à effet de serre) soit de 60 %, auquel cas l’Union devrait se résoudre à ralentir la décarbonation de son énergie. Ainsi, les experts de l’Agence appellent les exploitants de centrales à redémarrer au plus vite les réacteurs arrêtés pour maintenance ou contrôles de sûreté, ce qui représenterait plus de 20 TWh d’électricité bas-carbone en 2022. La France, grenier à électrons nucléaires de l’Europe, est évidemment concernée au premier chef alors que son parc nucléaire produit à un niveau historiquement bas pour les deux raisons évoquées ci-dessus. En second lieu, les experts de l’AIE recommandent le report des arrêts définitifs de tranche prévus en 2022. Deux États-membres sont concernés : la Belgique, qui a prévu de déconnecter deux réacteurs en 2022-2023 et l’Allemagne dont la sortie complète du nucléaire est prévue pour 2022, avec la fermeture de ses trois derniers réacteurs encore en fonctionnement. Notons que l’AIE ne dit rien des trois réacteurs tout récemment fermés (31 décembre 2021) par l’Allemagne.

L’énergie nucléaire est pourtant nécessaire à la résolution de l’équation énergétique européenne

Un rappel préalable s’impose : l’énergie nucléaire, qui fournit le quart de la production d’électricité en Europe et un peu moins de la moitié de sa production décarbonée, fait de l’Europe le continent le plus nucléarisé au monde. Ce sont ainsi 13 des 27 pays de l’Union européenne qui abritent, aujourd’hui, 103 réacteurs nucléaires opérationnels, représentant une puissance de 100 GWh : l'Allemagne, la Belgique, la Bulgarie, l'Espagne, la Finlande, la France, la Hongrie, les Pays-Bas, la République tchèque, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie et la Suède. La part de l’énergie nucléaire dans le mix électrique de chacun de ces pays est très variable. Un chiffre résume à lui seul ce constat : en 2020, plus de la moitié de l'électricité nucléaire de l'UE était produite dans un seul pays, la France.

Certes, à court terme, l’apport de l’énergie nucléaire dans la résolution de la crise énergétique européenne ne peut être que limité.

L’énergie nucléaire, qui fournit le quart de la production d’électricité en Europe et un peu moins de la moitié de sa production décarbonée, fait de l’Europe le continent le plus nucléarisé au monde.

Nul ne prétend en faire une solution magique. Mais, outre que les mesures préconisées par l’AIE auraient un impact énergétique en accroissant le volume de la production électrique non dépendante du gaz russe, cela permettrait aussi d’éviter un recours accru au charbon. Tout MWh nucléaire supplémentaire contribue à limiter le recours au charbon, qui va être l’un des grands gagnants des mesures de réduction de la consommation de gaz russe à court et moyen terme. La preuve est actuellement donnée par l’Allemagne qui, ne souhaitant ni rouvrir les trois réacteurs qui viennent d’être arrêtés ni revenir sur l’arrêt programmé des trois derniers, vient de relancer ses centrales à charbon. 

En forte croissance dans le mix électrique européen en 2021 (+ 16 %), le charbon devrait ainsi, toutes choses égales par ailleurs, encore croître de 11 % en 2022, reprenant sa place de deuxième source de production d’électricité dans l’Union. À cet égard, ne nous leurrons pas : quel que soit le rythme de développement des énergies renouvelables électriques, leur caractère intermittent appelle des investissements dans des capacités de production pilotables. Réduire le gaz russe aujourd’hui en faisant l’impasse sur l’énergie nucléaire, c’est de facto faire le choix du charbon pour la production d’électricité, la biomasse ne pouvant pas résoudre à elle seule cette aporie.

Le renoncement au nucléaire disponible au profit du charbon a donc un double impact à court terme : environnemental et géopolitique, 50 % du charbon consommé en Europe étant importé de Russie. C’est encore plus vrai à long terme. L’AIE l’a rappelé à maintes reprises : l’énergie nucléaire doit faire partie des solutions pour décarboner notre système énergétique. Tous les pays disposant de cette technologie ont la responsabilité d’en garder la maîtrise pour la développer chez eux ou dans d’autres pays. L’Union européenne, leader en la matière, est concernée au premier chef.

La crédibilité de la politique énergétique européenne, condition de notre sécurité dans la nouvelle donne géopolitique 

En plus de cette urgence environnementale, il faut désormais intégrer la nouvelle donne géopolitique : notre sécurité est intimement liée à la crédibilité de notre politique énergétique. Or, qu’en est-il de la crédibilité de la politique énergétique européenne dès lors qu’elle refuse d’inclure une solution, le nucléaire, tout en promouvant une politique dont les prémisses reposent sur des paris technologiques dont le calendrier et les résultats économiques sont incertains (comme l’hydrogène) ou sur des faits non validés par le réel - fixer des objectifs de renouvelables sans sortir du charbon ou du gaz ne permet pas de baisse massive des émissions de CO2

Développer massivement les énergies renouvelables comme le propose la Commission est absolument nécessaire et sera d’autant plus efficace si, dans le même temps, les sources de production pilotables d’origine fossile voient leur part réduite. L’exemple de l’Allemagne l’illustre parfaitement : les partisans de l’Énergiewende soulignent souvent que la sortie progressive du nucléaire ne s’est pas accompagnée d’un accroissement de la part du charbon. C’est exact mais tel n’est pas le sujet. Les vrais enjeux sont ailleurs : en premier lieu, la sortie du nucléaire a retardé la sortie du charbon ; en second lieu, l’Allemagne ne peut pas sortir du nucléaire (2022) et du charbon (2030) sans recours massif au gaz, quel que soit le développement des énergies renouvelables électriques, du fait du caractère non pilotable de celles-ci. 

Ce raisonnement au niveau allemand vaut pour l’ensemble de l’Union européenne. Pour le formuler autrement, prioriser la dénucléarisation - ou l’absence de nucléaire dans le mix énergétique - signifie mettre au second plan la décarbonation et l’indépendance du gaz et du charbon russes. À l’inverse, progresser rapidement et de manière crédible dans la décarbonation n’est pas compatible avec l’effacement de la solution nucléaire à long terme.En outre, l’énergie nucléaire n’entraînant pas de dépendance à la Russie, il ne saurait exister de souveraineté énergétique européenne sans énergie nucléaire. 

Progresser rapidement et de manière crédible dans la décarbonation n’est pas compatible avec l’effacement de la solution nucléaire à long terme.

Il est temps aujourd’hui d’en finir avec la guerre de tranchée franco-allemande sur l’énergie nucléaire en Europe au profit d’une stratégie crédible s’inscrivant dans le projet de souveraineté esquissé le 2 mars dernier par le Président de la République. 

L’Europe du nucléaire : combien de divisions ?

Avant d’esquisser le contenu d’une telle stratégie, un état des lieux sur la dynamique du nucléaire européen s’impose, sachant que, comme le rappelle le dernier panorama énergétique publié par l’AIE en octobre 2021, entre extension de durée de vie des réacteurs ou au contraire fermeture anticipée, projets en construction et projets envisagés, l’incertitude règne quant au scénario à privilégier sur la part de cette énergie dans le mix européen à 2050. Notons toutefois qu'aucun des scénarios existants n’en envisage une forte croissance. De même, au sein de l’Union européenne, la Commission, dans la vision stratégique à long terme pour le climat qu’elle avait présentée le 28 novembre 2018, cantonnait la part de nucléaire à environ 15 % en 2050, soit un maintien de la capacité actuelle, malgré l’hypothèse d’une croissance significative de la consommation électrique (de 50 à 60 %). 

Le panorama de l’énergie nucléaire en Europe conduit à distinguer cinq groupes de pays :

1. Les pays qui, bien qu’exploitant des réacteurs, souhaitent sortir de cette énergie. 

2. À l’autre bout du spectre, trois pays construisent des réacteurs, dont les mises en service s’échelonnent entre 2022 et 2023 : 

  • L'EPR construit en Finlande a été connecté au réseau le 12 mars 2022. Il fonctionnera à pleine puissance à l’été 2022, fournissant 14 % de l’électricité du pays. 
     
  • EDF a annoncé la connexion de l’EPR français de Flamanville pour 2023.
     
  • Quant à la Slovaquie, elle va connecter successivement deux unités en 2022 et 2023, qui vont lui permettre de devenir un pays exportateur d’électricité. 

3. Outre la France, huit pays européens ont l’intention de lancer, pour certains à court terme, la construction de nouveaux réacteurs, en complément de l’extension de la durée de vie des réacteurs existants que nombre d’entre eux ont déjà lancée.

  • La Hongrie, qui avait signé un accord intergouvernemental avec la Russie en 2021 pour le financement et la construction de deux réacteurs supplémentaires, dont les travaux devaient être lancés en 2022, a confirmé ce projet après l’éclatement de la guerre. Il est cependant de facto remis en cause par la crise, d’autant que le constructeur, Rosatom, est une entreprise d’État proche du Kremlin.
     
  • À l’inverse, la Finlande a, dès l’agression de l’Ukraine par la Russie, stoppé le projet de Fennovoima, pour lequel elle envisageait de recourir à la technologie russe. Il est vraisemblable que cette mise à l’écart de la technologie russe ne remette pas en cause le principe même de la construction d’un réacteur supplémentaire.
     
  • La Slovénie, en partenariat avec la Croatie, projette de construire une à deux unités pour pallier sa sortie programmée du charbon fixée en 2033. 
     
  • La République tchèque est, elle aussi, engagée dans une course contre la montre pour faire face à sa sortie du charbon programmée en 2038, projetant ainsi de lancer la construction de deux réacteurs en 2024.
     
  • La Bulgarie, lourdement dépendante du charbon depuis son adhésion à l’Union européenne qui l’a contrainte à fermer ses vieux réacteurs soviétiques, a mis fin en 2021 au feuilleton à multiples rebondissements de construction d’un réacteur de technologie russe, pour des raisons indépendantes du contexte géopolitique. À l’instar de la Roumanie, elle a signé avec à la fin de l’année 2021 un accord avec la société américaine NuScale pour la construction de réacteurs modulaires (SMR). Elle vient d’annoncer le lancement d’une étude en vue de la construction"rapide" d'un nouveau réacteur sur le site de Kozloduy. La Grèce a fait savoir qu’elle était intéressée pour en acheter une partie de la production future.
     
  • Les Pays-Bas, quant à eux, ont annoncé en 2021 vouloir construire deux réacteurs de grande puissance, de type EPR.


4. Entre les deux, se trouve le camp des pays dont les intentions sont floues quant à l’avenir de leur flotte. Ainsi, la Suède, hantée depuis quarante ans par un débat sur le nucléaire, maintient l’ambiguïté quant au sort de ses réacteurs prévus pour fonctionner jusqu’aux années 2040. Cependant, le pays, qui a fermé deux réacteurs en 2019 et 2020, s’interroge sur leur réouverture. Le débat a commencé dès 2021 lorsque sont apparues de fortes tensions sur le marché de l’électricité suédois, le sud du pays, en situation de pénurie, ayant dû importer de l’électricité - très carbonée- de ses voisins. Une situation qui a déclenché moult débats dans ce pays qui figure sur le double podium de l’électricité la moins carbonée et la moins chère de l’Union.

5. Enfin, la Pologne, qui n’a jusqu’alors jamais recouru à l’énergie nucléaire, souhaite déployer un programme d’envergure (six réacteurs) pour réussir sa sortie du charbon, dont elle est lourdement dépendante. Une grande partie de l’avenir du nucléaire européen se joue dans ce pays, courtisé par la France et les États-Unis pour la fourniture de la technologie de réacteur. 

Une stratégie européenne d’accélération des projets nucléaires s’impose

L’Union européenne a fait la preuve de sa capacité à mettre en œuvre des stratégies ambitieuses dans le déploiement des énergies renouvelables ou, plus récemment, dans celui de l’hydrogène. Elle doit désormais le faire dans le domaine de l’énergie nucléaire.

Cette stratégie pourrait reposer sur trois piliers.

Le premier, préalable à tout autre, est politique 

Les récents débats autour du difficile accouchement de la taxonomie européenne des investissements verts ont exacerbé les divergences intra-européennes sur la vision du rôle de l’énergie nucléaire. À l’évidence, le départ du Royaume-Uni a contribué à transformer le différend franco-allemand sur le sujet en face-à-face stérile et rugueux. La profonde convergence de vues sur le rôle du nucléaire entre deux États-membres puissants, la France et le Royaume-Uni, limitait de facto la tentation allemande de constituer une coalition d’opposants.

Le virulent débat sur la taxonomie a clairement montré que tel n’était plus le cas dans l’Europe post-Brexit, l’Allemagne ayant rassemblé un groupe d’États anti-nucléaires (Autriche, Luxembourg, Espagne…) pour appuyer ses vues. À cet égard, le débat à venir au Parlement européen sur le projet de taxonomie de la Commission proposé le 2 février dernier devrait raviver le spectacle d’une Europe divisée sur la question. 

Dans le nouveau contexte géopolitique, alors que la crédibilité des décisions européennes visant à s’affranchir de la dépendance russe seront scrutées par Moscou, l’Union européenne ne saurait se payer le luxe d’étaler à nouveau ses divergences. Faut-il rappeler qu’à la veille de l’attaque russe contre l’Ukraine, la ministre verte de l’environnement allemande, Steffi Lemke, en visite à Varsovie, déclarait que l’Allemagne utiliserait "tous les moyens légaux au niveau européen" pour empêcher le programme nucléaire polonais ? 

Les États membres doivent passer un accord politique de neutralité sur la question nucléaire.

Les États membres doivent passer un accord politique de neutralité sur la question nucléaire dont les termes seraient les suivants : chacun est libre de ses choix - telle est d’ailleurs la lettre du traité : le choix de son mix énergétique appartient aux États-membres - et il ne saurait être question de bloquer les projets de ceux des États-membres qui souhaitent développer ou simplement préserver leur capacité nucléaire. 

C’est d’ailleurs sur la base de ce libre choix que, sans consulter ses voisins, l’Allemagne a décidé de sortir du nucléaire et d’accroître sa dépendance au gaz russe.

Le second pilier est financier

L’actuelle taxonomie proposée par la Commission, bientôt en débat devant le Parlement européen, est le fruit d’un compromis destiné à surmonter les blocages franco-allemands. 

À ce titre, elle promeut une vision de l’avenir de l’énergie nucléaire en Europe extrêmement conservatrice. En premier lieu, le nucléaire y est qualifié d’énergie de transition, comme le gaz : est-ce compatible avec l’enjeu majeur que représente l’affichage, vis-à-vis de la Russie, d’une politique énergétique crédible et souveraine ? En second lieu, le texte fixe des conditions non atteignables : "Pour être éligibles à la taxonomie, les projets nucléaires devront avoir obtenu un permis de construire avant 2040 pour les modifications d'installations, et avant 2045 pour les nouveaux réacteurs. Par ailleurs, à partir de 2025, ils devront utiliser des combustibles résistant à des températures très élevées pour tenir le choc en cas d'accident (dits "accident tolerant fuel"). Ce type de combustible est actuellement en test aux États-Unis mais il ne sera pas opérationnel ni aux États-Unis ni en Europe d'ailleurs d'ici à 2025. Cette condition n'est pas atteignable". Enfin, le calendrier proposé pour les projets éligibles n’est pas nécessairement cohérent avec le développement des petits réacteurs modulaires (SMR), qui pourraient représenter une partie de l’avenir de l’industrie, notamment à l’export. Ces conditions restrictives font peser de lourdes hypothèques à la fois sur la faisabilité et le rythme des projets, alors même que, en favorisant l’accès à des financements compétitifs, la taxonomie représente un enjeu décisif pour la filière, que ce soit pour financer la construction de nouvelles centrales, rénover les anciennes et en vendre à l'export. 

Dans le contexte d’urgence ouverte par la guerre en Ukraine, les porteurs de projets nucléaires et les investisseurs doivent pouvoir compter sur un outil clair, rapide et crédible, ce que n’est pas la taxonomie en l’état. La réalité est que la situation géopolitique l’a rendue obsolète et qu’elle doit être revue. Il s’agit d’une condition essentielle à la crédibilité du rôle futur de l’énergie nucléaire dans l’équation énergétique européenne. Plus largement, la Commission doit mettre en place une politique de soutien aux États-membres en matière d’ingénierie financière des projets.

La Commission doit mettre en place une politique de soutien aux États-membres en matière d’ingénierie financière des projets. 

Plusieurs schémas de financement sont actuellement testés en République tchèque ou au Royaume-Uni. Pour faire pièce au modèle russe de Rosatom de financement et de construction, il est impératif que soit clarifiée cette question.

Le troisième pilier est industriel 

Le paysage industriel européen est aujourd’hui dominé par deux acteurs, EDF et Rosatom, concurrents mais aussi partenaires. Les concurrents étrangers sont essentiellement américains. 

Autant dire que la crédibilité et l’attractivité du projet nucléaire européen tient en grande partie à la fois à la crédibilité de la stratégie nucléaire française et de l'opérateur national. Celle-ci a été mise à mal au cours des dix années passées, à la fois par la politique de réduction de la part du nucléaire décidée en 2012 et par les insuffisantes performances industrielles du secteur, qu’il s’agisse de la productivité des centrales françaises existantes ou des retards importants (connexion au réseau initialement prévue en 2012, prévue à date pour le second trimestre 2023, pour un chantier commencé en 2007) du projet de construction de l’EPR de Flamanville. Il s’agit là d’un point de préoccupation majeur : à court terme puisqu’il empêche aujourd’hui la France de produire le maximum de mégawattheures faute de disponibilité suffisante du parc existant ; à moyen terme parce qu’il contraint l’ampleur du projet de nouvelles constructions.. Le diagnostic de la filière commandé par l'État à Jean-Maetin Folz en 2018 a été suivi par la mise en œuvre, par EDF, du programme Excell visant à améliorer la performance du chantier Flamanville III et la compétence industrielle de l’ensemble de la filière.

Dans le contexte nouveau qui s’ouvre, il importe dès lors de poser sur la table toutes les options disponibles pour redonner à la filière nucléaire les moyens de son excellence et la capacité à atteindre les objectifs fixés par le politique. Concurrence, alliances nouvelles, gouvernance : aucun tabou ne vaut plus dans l’urgence de la refondation de la politique énergétique européenne, qu’il concerne les réacteurs existants ou ceux à construire. L’industrie a besoin de la confiance et de la constance du politique ; le politique a besoin d’une industrie fiable et qui soit au rendez-vous en termes de coûts et de calendrier. Un contrat clair est nécessaire, par trop mis à mal ces années passées - un contrat qui ne soit pas une réplique des années glorieuses du programme électronucléaire français mais qui soit tourné vers l’avenir et adapté au contexte d’aujourd’hui.

Conclusion : dessiner un chemin vers la souveraineté énergétique

Pour refonder la politique énergétique européenne, l’ordre des priorités est clair : d’abord se débarrasser du gaz russe ; ensuite décarboner. Quant aux projets de dénucléarisation, leur report relève de l’intérêt général européen. À l’évidence, à court terme, le potentiel rôle de l’énergie nucléaire est très limité ; il est important à moyen-terme (amélioration de la performance du parc existant en France, accélération des procédures d’extension de la durée de vie des réacteurs existants) ; il est fondamental, aux côtés des autres technologies et politiques proposées par la Commission, pour la crédibilité de notre politique d’indépendance vis-à-vis de la Russie et de décarbonation à long-terme. 

 

Copyright : JEFF PACHOUD / AFP

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