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29/10/2018

Sommet quadripartite à Istanbul - retour des Européens dans une éventuelle négociation sur la paix en Syrie ?

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Sommet quadripartite à Istanbul - retour des Européens dans une éventuelle négociation sur la paix en Syrie ?
 Michel Duclos
Auteur
Expert Résident, Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie

Étrange attelage que celui de Messieurs Erdogan, Macron, Poutine et de Mme Merkel à Istanbul ce samedi 27 octobre. Etrange d’abord parce que les Russes s’étaient bien gardés jusqu’ici d’associer en quoi que ce soit les puissances européennes à leurs démarches sur la Syrie. Ils préféraient la discussion directe avec Washington, et à défaut ils utilisaient le format dit d’ "Astana" réunissant Russes, Turcs et Iraniens. De ce point de vue, le sommet d’Istanbul constitue une première satisfaction pour Emmanuel Macron, qui prône depuis un certain temps un rapprochement entre le "groupe d’Astana", que l’on vient d’évoquer, et un "small group" comprenant en particulier les Etats-Unis et les trois principales puissances européennes. Bien sûr, un tel rapprochement offrirait à la France, espère-t-on à Paris, une plateforme pour revenir dans une éventuelle négociation. Quant à M. Erdogan, il n’a pas ménagé ses sarcasmes à l’égard des Européens jusqu’à une date récente, mais les circonstances – la crainte d’un tête-à-tête pesant avec la Russie – l’amènent à valoriser le rôle médian potentiel de la Turquie.

Étrange attelage aussi car les protagonistes poursuivent, dans l’affaire syrienne, des objectifs – des agendas comme l’on dit maintenant – très différents voire incompatibles. Les Russes ont un intérêt à normaliser la situation en Syrie, en restaurant si possible l’autorité de leur allié de Damas sur l’ensemble du territoire et en obtenant une re-légitimation de leur poulain sur le plan international. Ils ont bien compris que le point faible des Européens tient à leur hantise de la question des réfugiés. Ils incitent les Européens à sortir leur porte-monnaie pour financer la reconstruction en échange de quoi ils s’efforceront d’obtenir du régime syrien des conditions de sécurité propices à un retour des réfugiés. 

Les russes ont bien compris que le point faible des Européens tient à leur hantise de la question des réfugiés.

L’Allemagne est vulnérable à cette argumentation pour des raisons évidentes. Comme la France, elle ne veut cependant pas à ce stade prendre le risque de perdre la carte d’une contribution à la reconstruction aussi longtemps que Bachar al-Assad ne montre aucune disponibilité à accepter une transition politique à Damas. La France et l’Allemagne mettent donc l’accent sur l’accès des convois humanitaires dans l’immédiat, et sur le déclenchement d’un processus politique

La première étape serait la convocation du "comité constitutionnel" prévu par la médiation onusienne et que le régime syrien continue de rejeter pour l’instant. La Turquie a d’autres objectifs à la fois plus directs et plus existentiels : limiter le risque de nouveaux afflux de réfugiés et surtout lutter contre le PYG, la branche syrienne du PKK kurde.

L’un des dangers du sommet d’Istanbul était de voir les Européens fléchir vis-à-vis de l’argumentation russe. Des témoins rapportent que dès le début de la rencontre, M. Macron a pris soin de rappeler qu’il n’y aurait pas de financement de la reconstruction sans transition politique. Un autre danger aurait pu être une division entre les Européens et Washington : Trump et Macron se sont parlé à deux reprises avant Istanbul et l’homme de la Maison Blanche a fait savoir que le Président français s’exprimerait "au nom du small group". On pouvait craindre enfin que le Président Erdogan ne s’en tienne pas à son rôle d’hôte bienveillant mais assène ses obsessions antikurdes. Il a su s’auto-limiter.

Pourquoi le sommet d’Istanbul a-t-il pu se dérouler dans de bonnes conditions ? Pour deux raisons essentielles.

En premier lieu, la situation à Idlib constituait un terrain d’entente puissant entre la Turquie et les deux Européens. Les trois pays ont un intérêt commun à ce que le cessez-le-feu et la mise en place d’une "zone démilitarisée", agréée à Sotchi le mois dernier entre la Turquie et la Russie, "tiennent". Le communiqué final, fruit manifestement de longues négociations, reflète cette préoccupation. Il appelle à un lasting ceasefire (cessez-le-feu durable). La Russie fait sur ce point un geste dans la direction de ses trois partenaires, car elle sait que dans l’esprit de son allié syrien, le gel de la situation à Idlib ne saurait être que provisoire.

En second lieu, sur d’autres points pour lesquels la Russie et les deux Européens ont des vues incompatibles, des formulations de compromis ont été trouvées. Un paragraphe, souhaité par la France, est consacré à la mise en garde contre un nouvel usage de l’arme chimique "d’où qu’il vienne" (concession à Moscou). S’agissant du processus politique, les quatre "appellent à la réunion avant la fin de l’année […] du comité constitutionnel, qui accomplirait la réforme constitutionnelle, ouvrant la voie à des élections libres et honnêtes". Conte de fées ? Faisons un peu d’explication de texte : le comité constitutionnel sera réuni avant la fin de l’année "si les circonstances le permettent" – ce qui signifie que les Russes ne garantissent pas que le régime d’Assad lèvera ses objections. Les "élections libres et honnêtes" seront, est-il précisé, ouvertes à la diaspora syrienne, point important pour les Occidentaux car c’est le seul espoir qu’Assad ne soit pas réélu dans un fauteuil comme de tout temps.

Les Français et les Allemands veulent faire pression en faveur d’un processus politique, les Russes veulent faire avancer une contribution anticipée de l’Europe à la reconstruction, les Turcs veulent pérenniser le gel dans la province d’Idlib.

C’est le paragraphe sur les réfugiés qui est le plus long et sans doute le plus significatif : il faut, est-il indiqué, "créer les conditions d’un retour sûr et volontaire des réfugiés et personnes déplacées", ce qui passe par une "protection des personnes de retour chez elles contre l’insécurité, les persécutions politiques ou les arrestations arbitraires" mais aussi "des infrastructure humanitaires, y compris en matière de distribution d’eau, d’électricité, de santé et de services sociaux". C’est presque un appel d’offre. Sans doute y a-t-il derrière ces mots l’esquisse des termes d’une négociation autour de cette question des réfugiés, dont on a vu qu’elle est centrale dans la stratégie russe pour obtenir des Européens une normalisation avec leur protégé de Damas.

Le format d’Istanbul est-il appelé à se perpétuer ? Ses protagonistes indiquent que ce n’est pas le cas bien entendu. La France et l’Allemagne ont-elles gagné un ticket d’entrée dans les discussions qui vont sûrement rebondir d’une façon ou d’une autre, avec les Américains notamment et un nouveau représentant des Nations-Unies, sur le règlement de la crise syrienne ? En fait, ces deux questions restent totalement ouvertes. La "durabilité" du gel de la situation à Idlib est incertaine, le régime d’Assad s’efforçant déjà, au nom de la lutte contre le terrorisme, de grignoter les marges de la zone démilitarisée. Par ailleurs, les Turcs d’une part et les Américains et leurs alliés d’autre part occupent toujours de vastes zones de la Syrie du Nord et du Nord-Est, les premiers pour contrer les Kurdes, les seconds en soutien aux Kurdes syriens. Il est vraisemblable que les termes du communiqué d’Istanbul vont fournir des arguments à chacun des signataires pour tenter de pousser les autres dans la direction qu’ils souhaitent : les Français et les Allemands pour faire pression en faveur d’un processus politique, les Russes pour faire avancer une contribution anticipée de l’Europe à la reconstruction, les Turcs pour pérenniser le gel dans la province d’Idlib.C’est ainsi que la diplomatie est souvent une forme de judo en costume cravate. Les Iraniens, même si eux ne portent pas de cravate, ont certainement prêté attention à ce qui se passait à Istanbul. Ils ne manqueront pas, dans les semaines qui viennent, de veiller à revendiquer de nouveau leur participation à toute tentative de règlement.

Crédit photo : OZAN KOSE / AFP

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